Amélie Nothomb : le sabotage amoureux / un sabotage littéraire ?
Mais, non ! Hélène ! Sabotage littéraire ! Tout de suite les grands maux ! Il s’agit seulement du second roman d’Amélie Nothomb ! Le sabotage amoureux, paru en 1993 aux éditions Albin Michel… sans doute le moins bon Nothomb que j’ai pu lire jusqu’ici.
Nous sommes à Pékin, à la fin des années 60. La petite Amélie a sept ans et vit dans le ghetto réservé aux ressortissants étrangers : San Li Tun. Elle raconte les cinq années qu’elle a vécues en Chine, années émaillées par une grande passion éprouvée pour Eléna, une petite italienne et des guerres entre enfants de différentes nationalités : il faut bien passer le temps. Les ennemis sont d’abord les Allemands de l’Est, puis vient le tour des Népalais.
Avec le sabotage amoureux, Amélie Nothomb nous livre quelques bribes d’enfance revues et corrigées par un regard d’adulte. Ainsi, l’œuvre est-elle émaillée par de nombreux commentaires sur la Chine, la guerre, l’amour ; ce sont d’ailleurs ces trois paramètres qu’Amélie Nothomb réunit plus ou moins péniblement, plus ou moins heureusement, dans le sabotage amoureux.
D’abord, la Chine : c’est la dimension la moins exploitée de l’œuvre, et pour cause ! La petite Amélie vit dans un ghetto cosmopolite duquel les Chinois sont absents. L’ensemble est plutôt coupé du reste de la Chine : c’est un univers fait de béton et de ventilateurs. En aucun cas, nous n’avons l’impression de pénétrer les mystères de la culture chinoise de la fin des années 60, ni même aucun univers particulier.
Ainsi, bien loin de pénétrer le temps et l’espace chinois de l’époque, nous nous en éloignons plutôt. En effet, les enfants sont préoccupés par une guerre qui a fait long feu : la guerre contre les Allemands de l’Est ; ainsi, on s’en prend à la fois aux anciens nazis, et aux communistes. Evidemment, ces tensions sont sans doute représentatives de l’état d’esprit des parents : les enfants ne choisissent pas un tel ennemi innocemment. Cependant, les rivalités au sein du ghetto et le racisme ne sont pas véritablement les centres d’intérêt d’Amélie Nothomb qui cherche à se concentrer exclusivement sur l’enfance.
Une enfance peu ou prou démystifiée car les enfants ne sont pas tendres entre eux ! Ils se livrent aux tortures dans la cuve à pipi, s’insultent, s’humilient les uns les autres. Cependant, Amélie ne révolutionne rien, et Pergaud fait beaucoup mieux avec la guerre des boutons.
Par ailleurs, notre écrivaine intellectualise trop les choses, affirmant à droite et à gauche qu’elle était déjà ainsi à l’époque : dénuée de toute fraicheur, de toute naïveté, déjà bien cynique et un brin impertinente. Dommage, car on peine à s’attacher à cette enfant-là qui nous parait vaguement atypique, inclassable, hors-norme, trop adulte. L’enfance qui ne l’est pas n’offre qu’un intérêt limité. Bref, on a ici le cul entre deux chaises : pour Amélie, son vélo est un cheval, mais elle est déjà capable de disserter sur L’Iliade d’Homère : et c’est là que se rejoignent péniblement les thèmes de l’amour et de la guerre.
Car il ne faut pas oublier que la guerre de Troie a eu lieu pour l’amour de la belle Hélène, ici représentée par belle Eléna. Indifférente aux jeux des enfants, indifférente aux autres, Eléna fait montre de froideur à l’égard d’Amélie qui se morfond et se demande comment elle pourrait faire pour attirer l’attention de son aimée.
« Oui, ma bien-aimée, tu souffres par moi, ce n’est pas que j’aime la souffrance, si je pouvais te donner du bonheur, ce serait mieux, seulement j’ai bien compris que ce n’était pas possible, pour que je sois capable de t’apporter du bonheur, il faudrait d’abord que tu m’aimes, et tu ne m’aimes pas, tandis que pour te donner du malheur, il n’est pas nécessaire que tu m’aimes, et puis, pour te rendre heureuse, il faudrait d’abord que tu sois malheureuse – comment rendre heureux quelqu’un d’heureux - Donc, il faut que je te rende malheureuse pour avoir une chance de te rendre heureuse après, de toute façon, ce qui compte, c’est que ce soit à cause de moi, ma bien-aimée, si tu pouvais éprouver pour moi le dixième de ce que j’éprouve pour toi, tu serais heureuse de souffrir, à l’idée du plaisir que tu me ferais en souffrant ».
J’ai choisi cet extrait qui résume bien toute la problématique amoureuse du roman. Amélie est d’abord prête à subir les pires humiliations pour attirer l’attention de sa belle : elle se livre aux épreuves infligées par cette dernière ; par exemple, courir très longtemps alors qu’elle est asthmatique. Seulement, si le prince charmant réussit à conquérir sa belle en étalant des preuves de bravoure et de courage, ce n’est pas le cas d’Amélie qui se sabote ! En effet, plus elle se plie aux caprices d’Eléna, moins cette dernière a d’estime pour elle. Si bien qu’Amélie décide d’adopter l’attitude inverse : affecter dureté et froideur à l’égard d’Eléna. Et ça marche ! La fillette souffre et met un pied à terre devant Amélie, qui, en grande bécasse, se sabote une seconde fois en avouant à la petite peste son amour.
Ainsi, le roman montre-t-il à quel point le sentiment amoureux peut se révéler tyrannique et sadomasochiste. Il est une lutte de pouvoir : voir l’autre à genoux devant nous, tester sur lui notre toute puissance, évaluer l’ampleur de l’adoration qu’il éprouve pour nous. Oui, l’amour, selon Nothomb, c’est une guerre que l’on mène à l’autre qui est en réalité notre ennemi, tant la limite entre amour et haine est ténue, acculant les partenaires à s’agresser mutuellement pour mieux protéger le sentiment secret qui fait si mal. On aurait aimé voir cette thématique plus finement développée et mise en scène, mais encore s’agit-il ici d’un apprentissage du sentiment amoureux : un brouillon qui trouvera un accomplissement bien mieux abouti dans Stupeur et tremblements.
Enfin, l’humour d’Amélie, certes présent dans le sabotage amoureux, se révèle être assez lourd. Dommage. Il faut dire que contrairement aux autres romans de l’écrivaine, on trouve ici très peu de dialogues, dialogues qui font la légèreté et la grâce pétillante de l’écriture de Nothomb.
Bref, entre une Chine inexistante, une enfant déjà grande dont le regard se confond trop avec celui de l’adulte, ce qui les amène à se gêner réciproquement, des guerres entre enfants racontées avec un humour poussif, une problématique amoureuse inaboutie, on est convaincu que le sabotage amoureux n’est sans doute pas le meilleur Nothomb, mais offre l’intérêt de proposer, en jachère, les grandes thématiques de romans postérieurs bien moins sabotés.
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