LECTURES VAGABONDES

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Alex Haley : Racines / De bien solides racines

   

        Aujourd’hui, je vais ressortir un best-seller paru en 1977, le dépoussiérer et vous le proposer. Il s’agit du roman Racines écrit par Alex Haley. Franc succès pour cette œuvre qui a obtenu le prix Pulitzer et qui a été adaptée pour la télévision sous forme de feuilleton à la fin des années 70. On peut trouver Racines aux éditions J’ai lu.

 

          Le jeune Kounta Kinté nait au cœur de la Gambie, dans une tribu Mandingue, à la fin du XVIIIème siècle. C’est là qu’il grandit entre les siens et les autres membres de la tribu. Cependant, à l’âge de 17 ans, il est enlevé par des marchands d’esclaves et acheminé par bateau en Virginie, dans le comté de Spotsylvanie. Là, il est vendu à un propriétaire blanc – William Waller - pour travailler aux champs. Révolté et insoumis, Kounta tente par quatre fois de « marronner » (c’est-à-dire s’enfuir). Malheureusement pour lui, il finit par y laisser un pied – on le lui coupe - afin qu’il ne se sauve plus. Cependant, lorsqu’il reprend conscience après la fièvre que lui a occasionnée la mutilation, il se trouve sur le domaine du frère de William Waller, John Waller. Ce dernier, en effet, scandalisé par le traitement infligé à Kounta Kinté, l’a racheté à son frère. C’est donc dans la plantation de m’sieur John que Kounta coule des jours plutôt heureux. Il épouse Bell, la cuisinière, dont il aura une fille : Kizzy. Mais celle-ci, une fois grande, alors qu’elle est amoureuse d’un jeune esclave révolté qu’elle aide dans sa volonté de s’enfuir, est vendue à Tom Léa, un petit propriétaire blanc du comté de Caswell en Caroline du Nord. Violée régulièrement par son maître, Kizzy met au monde un enfant mulâtre qui se prénommera George. Très vite, le jeune garçon est employé par le maître (accessoirement son père) à l’élevage des coqs de combat. C’est en effet grâce à cette activité que m’sieur Léa met du beurre dans les épinards. Mais un jour, alors que George peine dur pour racheter sa liberté, son maître, ruiné à la suite de mauvais paris sur ses coqs, envoie le jeune homme en Angleterre. Le reste de sa famille (et il y en a ! Vu le nombre incommensurable d’enfants nés de l’union de George et de son épouse Matilda) sera vendu à un planteur de tabac du comté d’Alamance, m’sieur Murray. L’ainé, Tom, se charge donc du rôle de chef de famille. Garçon sérieux, il devient forgeron et excelle dans cette activité. Il épouse Irène dont il aura plusieurs enfants. A la fin de la guerre de sécession, lorsque tous les esclaves sont déclarés libres, toute la famille s’installe à Jackson, dans le Tennessee. Là, elle commence à éclater. A la fin du roman, Alex Haley (descendant de Kounta Kinté) raconte pourquoi et comment il est parti à la recherche de ses racines et a formé de projet d’écrire Racines

 

          Avec Racines, Alex Haley signe un roman intéressant, quoiqu’un peu longuet (presque 600 pages) et pas forcément bien construit.  

          En effet, le livre s’ouvre sur une première partie très longue qui porte sur l’enfance et l’adolescence du héros du roman : Kounta Kinté, l’ancêtre africain d’Alex Haley lui-même. C’est ainsi que le lecteur pénètre dans la vie quotidienne d’une petite tribu mandingue et découvre ses mœurs, ses us et ses coutumes. C’est aussi l’occasion de rencontrer les grandes figures du village : le marabout, le conseil des anciens, l’Alimamo ou encore l’Arafong. Avec Kouta Kinté, on partage la joie de vivre puisque l’année est émaillée de nombreuses cérémonies et fêtes, mais aussi le malheur et les difficultés car il faut composer avec les sécheresses, les animaux dangereux ou encore les décès de proches… Et puis, on parle aussi de ces enlèvements d’hommes et de femmes qui se multiplient dans la région. Etre enlevé par des chasseurs d’esclaves, c’est le destin qui attend le jeune Kounta Kinté : c’est peu après sa période d’initiation qu’il sera arraché brutalement aux siens et à son village. Ainsi, cette première partie constitue-t-elle un hommage appuyé à la culture tribale africaine qui n’est, finalement, pas si différente des cultures dites civilisées : de religion musulmane, c’est au rythme des saisons et des cérémonies familiales, religieuses et sociales que la vie s’écoule.

          Cependant, le gros du roman s’intéresse à la traite des noirs, marquée par la violence. A ce niveau, le passage qui concerne l’acheminement des esclaves vers les Etats-Unis par bateau est particulièrement éprouvant. Des hommes sont en effet liés et enchainés les uns aux autres dans la cale du navire. Ils marinent dans leur vomi, leurs excréments. L’odeur est insoutenable ; les maladies font rage ; la vermine prolifère. On imagine également les maltraitances physiques infligées aux prisonniers par l’équipage. Cependant, là n’est pas la seule violence : violent est l’acte d’arracher un être humain à ses racines ; beaucoup ne survivront pas à ce déracinement. Une fois vendus à un maître, les esclaves connaîtront d’autres violences : si certains maîtres sont bons, d’autres sont sadiques, fouettent et mutilent leurs esclaves. Par ailleurs, ces derniers doivent accomplir quotidiennement un travail souvent exténuant. Enfin, les familles peuvent aussi être brutalement démembrées car le maître peut décider de vendre à un autre tel ou tel esclave qu’il possède.

          Mais Racines, c’est aussi un roman sur la résilience. En effet, si au départ, accepter son sort d’esclave lui est insupportable et inconcevable, Kounta Kinté finit par s’y résoudre : il poursuit sa vie en Virginie et oublie progressivement son passé. Marié, il a une fille, Kizzy. Il finit même par apprécier son maître pour sa bonté et la considération que ce dernier manifeste à l’égard de son handicap : son travail consiste à conduire le buggy de m’sieur John Waller, son maître, un médecin qui se déplace beaucoup dans le comté.

          Pourtant, ce roman comporte aussi bien des défauts.

          Tout d’abord, je n’ai pas apprécié la construction du roman. En effet, on suit pendant plus de la moitié du roman, l’itinéraire de Kounta Kinté, l’ancêtre africain et premier esclave de la lignée de l’auteur. Cependant, on le quitte brutalement pour suivre sa fille, Kizzy, soudainement arrachée à sa famille pour être vendue à un autre maître. Jamais plus le lecteur n’aura de nouvelle de Kounta Kinté. Et l’auteur procède de même avec les autres personnages de la lignée. Après s’être intéressé à Kizzy, c’est à son fils George que le roman consacre ses pages, puis à Tom. Plus on avance, plus les choses sont narrées de manière rapide et globale si bien que le lecteur n’a plus aucun souvenir de ceux qui ont vécu libres, à la fin du roman. Bref, pour chacun des personnages qu’on suit, on a une sensation d’inachevé, d’un virage à 360°. Sans doute cette manière de faire est-elle voulue. Fidèle à l’image de l’arbre généalogique, Alex Haley a d’abord évoqué les racines (le village africain de Kounta Kinté) et le tronc (Kouta Kinté l’esclave), avant de raconter les plus grosses branches et de terminer par les ramifications. Cependant, ce schéma n’est pas concluant lorsqu’il s’agit d’un récit car le lecteur aime savoir ce que devient un personnage qu’il a suivi pendant plus de la moitié du roman ; il aime aussi que, s‘ils font partie du roman, les personnages soient un peu étoffés et pas seulement mentionnés à toute vitesse, en quelques dizaines de lignes.

           Et puis, quelle est cette sale habitude de vouloir imiter l’accent nègre à tout prix ? Margaret Mitchell sera taxée de raciste lorsqu’elle mettra dans la bouche des esclaves du domaine de Tara des propos tels que : « Oh ! m’sieur, ça m’fait gros su’l’ patate ». Il est vrai que vouloir imiter ce parler à l’écrit – sans doute pour tenter de coller à la réalité – n’est pas pour flatter l’intelligence des esclaves qui paraissent ici totalement bêbêtes. Cependant, Alex Haley étant noir – et Margaret Mitchell, blanche - on ne le taxera pas de raciste et on lui décernera même le prix Pulitzer pour ce roman.

           Quant aux dernières pages du roman, elles m’ont fondamentalement déplu. En effet, Alex Hayley y décrit les motivations qui l’ont conduit à écrire Racines. Il y évoque sa vie : son travail, sa famille, son enquête sur ses origines et sa rencontre avec le village où est né Kounta Kinté, son ancêtre. On tombe alors dans une sorte de postface de l’auteur qui n’a rien à voir (sur le fond comme sur la forme) avec le roman proprement dit. Pourtant, ces pages en font partie, comme Alex Hayley fait aussi partie de la lignée de son personnage, certes. Cependant, ce mélange des genres est surprenant et fonctionne mal.

           Tous ces défauts ne doivent pas dissuader ceux qui auraient envie de lire Racines d’Alex Hayley. Ce roman est plaisant à lire, globalement. Il suffit juste d’accepter les étranges partis-pris de l’auteur dont le projet aurait peut-être dû être mieux délimité.



05/03/2023
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