Carole Fives : que nos vies aient l’air d’un film parfait / Un roman presque parfait.
On se souvient tous de la pétillante Lio débarquant dans la chanson au début des années 80 et enchaînant les tubes au top 50. Amoureux solitaires a fait partie des petites rengaines qui ont bercé le début de mon adolescence : et le fameux « que nos vies aient l'air d'un film parfait » de ponctuer la chanson de manière péremptoire. Des années 80 à l'année 2013, il n'y a qu'un pas que Carole Fives franchit de manière triomphale avec cet éclatant premier roman : que nos vies aient l'air d'un film parfait, paru aux éditions Le Passage.
Nous sommes à Hardelot, au début des années 80, pendant les vacances de Pâques. La vie d'une famille va basculer : une banale affaire de divorce et plus rien ne sera jamais plus comme avant. Commence pour Tom et sa sœur une vie itinérante entre l'appartement du père et la maison de la mère. Un jour, la mère demande à la sœur de pousser Tom à témoigner en sa faveur pour qu'elle puisse obtenir la garde de son fils. Dépressive, la mère ne supporte pas la vie sans Tom alors l'arrangement se fait ainsi : la fille reste avec le père dans le Nord, la mère emmène Tom dans le Sud. Commence alors le travail de l'éloignement qui disloque les liens entre le père et le fils, entre la sœur et le frère.
Je ne sais pas si proposer un résumé de Que nos vies aient l'air d'un film parfait est bien judicieux. En effet, l'intérêt du roman ne réside guère dans l'histoire, banale, mais dans la manière de la traiter. Une famille, quatre personnages, mais seulement trois voix : celle du père qui quitte son épouse dépressive au prix de ses enfants ; celle de la mère, pleine de rancœur vis-à-vis de son ex-mari ; celle de la sœur privée de son frère, Tom, qu'elle aime tellement. Seul Tom, enjeu de la séparation, n'a pas droit à la parole : ce n'est qu'à la fin qu'une lettre de lui parvient à la sœur et qu'on apprend à travers ses propres mots ce qu'il est devenu - des années plus tard - et vaguement, comment il a ressenti le divorce de ses parents. Ces trois voix se mêlent donc pour donner leur point de vue sur le déchirement que constitue la dislocation d'une famille, la difficile reconstruction d'une vie après la séparation. Cependant, seule la sœur prend le parti de s'adresser directement à son frère par le biais du tutoiement, manière bien originale de faire sentir au lecteur combien ce frère lui manque : Tom n'est pas là pour répondre et la voix de la sœur se perd dans le silence.
Bien sûr, ce roman a des défauts : le choix de trois narrateurs anonymes (le père, la mère, la sœur ne sont nommés que par le lien familial qui les unit à Tom) donne à l'œuvre un caractère universel et intemporel : c'est l'histoire d'une famille qui éclate, c'est une histoire largement répandue et c'est toujours la même chanson. L'histoire de la famille de Tom, c'est un peu celle de toutes celles qui se séparent un jour. Cependant, Carole Fives a voulu quand même inscrire l'ensemble dans une période déterminée : les années 80 et c'est bien péniblement qu'elle tente de donner cette petite touche de couleur particulière. Quelques allusions à des événements marquants, les paroles du papa pingouin qui ponctuent certains chapitres, bref, on n'échappe pas à l'impression que les années 80 sont une pièce rapportée artificiellement dont on se demande quelle utilité elle peut avoir dans un roman qui se réclame, par ailleurs, d'une certaine intemporalité.
Par ailleurs, ce roman est très court : il se lit en à peine une heure. Cependant, ce n'est pas vraiment un défaut car, comme je l'ai dit, l'histoire n'est peut-être pas ce qui importe. Il s'agit plutôt d'exprimer la violence des séparations familiales et la douleur qui les accompagnent. Que nos vies aient l'air d'un film parfait résonne comme un grand cri d'amour, de déchirement, de désespoir et un cri ne dure jamais des lustres ! Il est nécessairement court et par conséquent, la forme du roman est parfaitement adaptée à son objectif. L'écriture de Carole Fives claque et résonne avec une grande justesse ; par moments, l'auteure atteint un tel lyrisme que je me suis dit que l'amour que la sœur éprouve pour son frère Tom est excessif et plutôt exceptionnel. Mais ensuite, je me suis souvenue des liens très forts qui m'unissaient à ma sœur cadette quand j'étais môme. Je crois qu'à l'époque, je n'aurais pas supporté d'être séparée brusquement d'elle. Ensuite, on fait chacun sa vie, mais les choses se modifient alors en douceur et on a le temps de s'adapter et d'accepter les changements dans les rapports familiaux.
Que nos vies aient l'air d'un film parfait fait partie de la sélection des bouquinales 2013 organisées par la ville d'Hazebrouck et c'est vraiment une très belle révélation : un premier roman très réussi, très poignant… aussi bon que… qu'un banana split ? Certes, l'ensemble aurait plutôt le goût salé des larmes, mais il faut bien conclure ! Fichtre ! Je ne sais pas trop ce que Lio a voulu dire avec ses histoires de bananes à déguster… mais que nos vies aient l'air d'un film parfait, c'est un amour de roman tout comme le banana split est un amour… de dessert, bien évidemment.
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