David Foënkinos : nos séparations… avant la rencontre.
En voilà un titre bien équivoque ! Mais ce n'est pas moi qui l'ai inventé, ce sont mes élèves… puisque dans quelques mois, nous allons rencontrer David Foënkinos le cadre d'un travail sur son œuvre. En attendant, j'ai eu envie de lire son avant-dernier roman nos séparations, paru en 2008 aux éditions Gallimard. Un roman plein de fraîcheur et de sensibilité… mais qui n'a finalement plus grand-chose à voir avec l'œuvre qui m'a permis de découvrir cet écrivain : le potentiel érotique de ma femme. L'humour est certes, toujours présent, mais de manière plus fondue dans un ensemble qui se veut plus réaliste.
Il n'est en effet plus question ici d'évoquer des personnages qui ont une part inhérente de farfelu. Non. Dans la délicatesse, comme dans nos séparations, les personnages n'ont pas l'âme du jardin secret … Ils n'ont plus cette part délirante propre à chacun … car qui n'a pas en lui un petit grain de folie qui à la fois le distingue et le rend complémentaire des autres ?
Dans nos séparations, comme dans la délicatesse, on est dans la comédie bourgeoise sensible, où l'humour n'est plus véritablement intrinsèque aux personnages, mais résulte plutôt de situations loufoques et parfois à la limite de la vraisemblance : comme disent les classiques, le vrai n'est parfois pas vraisemblable.
Quelques mots de l'histoire.
Alice et Fritz s'aiment… mais ne vivront jamais véritablement ensemble. D'abord, ils sont fiancés… copains-copines. Cependant Alice est une fille de bourgeois bien coincés sur leurs principes et Fritz est fils de beatnik… Ils se séparent donc une première fois : incompatibilité familiale. Fritz aura, entre temps, une liaison assez physique avec Céline Delamare… Mais il retrouve Alice aux détours de la vie. Décidément, c'est elle qu'il aime. Il veut l'épouser… Malheureusement, le mariage tourne court… Alice, toute de blanc vêtue, comprend que la veille de l'engagement, Fritz a passé la nuit avec la couleur rouge : Céline Delamare. Séparation… et la vie qui continue avec une autre femme, Iris… un enfant naît : Gaspard… et puis Alice, décidément… mariée, une fille, Caroline… Nos amoureux-séparés se retrouveront, cependant, le temps d'un adultère… quelques temps, donc….car Alice est une bourgeoise… elle ne quittera pas son mari. Mais leurs enfants respectifs grandissent et se plaisent… ils ont tous deux les dents du bonheur… et c'est sur cette jolie note que se termine ce roman de l'amour à mort… qui sera peut-être vécu en continu par la génération suivante.
Pour avoir lu la délicatesse il y a quelques semaines, j'ai envie quand même de souligner le manque de profondeur des personnages : on retrouve les mêmes quidams, comme dans une sorte de décalcomanie, mais dans des situations différentes. La femme : c'est une bourgeoise aux longs cheveux lisses, elle porte des talons aiguilles, elle a ce geste magique qui arrête le temps, et cette part de mystère qui séduit tant celui qui tombe amoureux d'elle. Elle reste quelque peu insaisissable. Lui, il ne comprend pas bien ce qui lui arrive… il fait des bêtises qu'il paye cher dans nos séparations… un peu moins dans la délicatesse.
Entre deux ruptures avec Alice, Fritz connaît d'autres femmes : Céline, Iris… des femmes qui semblent plutôt meubler l'entre-deux de ce premier amour qui se vit en pointillé… peut-être est-ce ici le parti-pris de Foënkinos qui a décidé de se concentrer sur « la femme », celle qu'on ne peut oublier. Car véritablement, Céline, Iris sont plutôt des personnages esquissés à la va-vite qu'autre chose.
Des situations loufoques, il y en a. Après son mariage raté avec Alice, Fritz se retrouve à vendre des cravates en Bretagne : petit clin d'œil en douce au fameux film : les galettes de Pont-Aven. Humour morbide, parfois, lorsque les personnages, plus ou moins ivres viennent semer la zizanie dans un enterrement : situation symbolique, aussi. N'est-ce pas là qu'Alice et Fritz enterrent leur amour ?
Cependant, encore une fois, on se laisse emporter par Foënkinos et son écriture magique, une écriture multicolore, toute en respiration naturelle : les mots coulent, justes à chaque fois. Une écriture poétique, également, en demi-teinte, où l'absolu côtoie le dérisoire… Foënkinos sait combiner l'art de l'image surprenante et celui du mot à la douceur sensible et nuancée dans l'évocation des sentiments.
Quelques extraits.
« Elle savait me retenir, aussi je dois bien le dire. Céline avait une façon si précise de voyager de la douceur intimidée à une forme presque brutale d'assurance érotique. De son plus grand âge, elle me dominait sûrement, mais il arrivait fréquemment que je prenne en charge nos ébats, et j'aimais alors tenir sa nuque comme s'il s'agissait de son cœur ».
Ou encore :
« Après quelques semaines dans la pénombre, nous avons décidé de sortir. On se promenait, on allait déjeuner, on allait au cinéma, on visitait des musées, on parlait de livres. J'avais l'impression de revivre la vie que j'avais vécue dix ans auparavant. Toutes ces scènes étaient comme une décalcomanie de ma jeunesse. Nous étions là, dans nos moments, hors du temps, et il m'arrivait de croire que tout serait encore possible. Il m'arrivait de penser que rien n'avait existé, que j'avais rêvé les dix dernières années. »
Ces lignes, je les ai prises au hasard. Et je les trouve belles… comme toutes celles qui parcourent nos séparations. Car sans doute est-ce là, la sincérité de l'œuvre : Foenkinos ne triche pas avec l'écriture qui distille les sentiments ressentis sur le vif par ses personnages. Et peu importe si dans le fond, ces derniers manquent un peu d'épaisseur, d'un regard plus incisif de l'auteur sur eux : ce regard moqueur et distancié qu'on a tellement l'habitude de rencontrer dans la littérature ! Et qu'on pouvait aussi trouver dans le potentiel érotique de ma femme. Mais Foenkinos évolue… Il adoucit l'ironie : la tendresse et la délicatesse sont davantage sa marque de fabrique, aujourd'hui.
Cependant, j'ai aussi envie de dire que les personnages de nos séparations, et de la délicatesse ont aussi une sorte d'épaisseur à leur manière : celle de la fugacité… qui est finalement notre lot à tous. « Ce matin, je m'éveille ainsi, je pense ceci d'elle/de lui, je vais faire cela par amour pour elle/pour lui ». Mais on ne sait pourquoi au juste on agit ainsi aujourd'hui… juste parce que c'est aujourd'hui et qu'aujourd'hui, je suis ainsi dans certaines circonstances d'humeur et de contingences sociales. Demain, je ferai peut-être le contraire tout en recherchant le même but, mais demain est un autre jour, avec une autre humeur et d'autres contingences. Et il en va de même pour l'autre... Alors, comment faire pour s'entendre dans toute cette anarchie de jeux sans règle - autre que celle du jour - qu'on décide de s'imposer les uns et les autres ?
C'est sans doute-là qu'est la magie des personnages de Foënkinos : cette impression d'être face à des êtres qui vont un peu à vau-l'eau d'eux-mêmes – comme nous tous - sans jamais être éborgnés par l'auteur qui éprouve pour eux, c'est sûr, une véritable tendresse – une tendresse totalement dénuée de méchanceté.
On peut déplorer ou non cet adoucissement de Foënkinos dans sa manière de prendre aux tripes ses personnages. Mais la magie, pour sûr, est toujours là.
Ainsi donc, je crois qu'il n'y aura jamais séparation d'avec David Foënkinos qui reste un écrivain avec lequel je passe - sans que jamais il ne trahisse cette promesse-là - un savoureux moment de lecture.
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