LECTURES VAGABONDES

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Wieslaw Mysliwski : L’art d’écosser les haricots/Plein de petits haricots magiques…

       

          Après l’art et la manière, le septième art et la tête de lard…. Voici un roman au titre énigmatique et quelque peu baroque : L’art d’écosser des haricots est écrit en 2006 par Wieslaw Mysliwski et parait en 2010 en France aux éditions Actes Sud. A noter que pour ce roman, Wieslaw Mysliwski a reçu le prix Nike, la plus importante récompense littéraire de son pays.

 

          Le gardien d’un village de vacances désert reçoit la visite d’un voyageur qui désire lui acheter des haricots. Tout en les écossant, le vieil homme raconte sa vie. A travers une multitude d’anecdotes soigneusement développées émergent divers portraits bien nuancés. Tout d’abord, il y a un mystérieux monsieur Robert pour lequel notre vieux gardien a joué un tango et qui lui a lancé une invitation à venir passer des vacances chez lui. C’est lui qui est à l’origine de l’emploi de gardiennage qu’exerce notre héros. Cependant, Robert a disparu après avoir vendu sa boutique et sa maison : la raison de cette disparition ? Probablement des soucis de santé. Après avoir évoqué la vie de ses grands-parents et celle de l’oncle Jan, puis, à l’école, sa rencontre avec le professeur de musique - un alcoolique notoire qui aura su insuffler à notre héros sa passion pour le saxophone – l’actuel gardien du village-vacances raconte sa vie sur les chantiers en tant que soudeur ou électricien. C’est alors qu’il rencontre une femme qui le fascine mais avec laquelle la relation reste platonique ; elle s’appelle Basia et épouse un gars du chantier avec lequel elle sera malheureuse. Lorsqu’un orchestre se forme sur le chantier où il travaille, notre saxophoniste intègre le groupe des musiciens. Il rencontre, sur son lieu de travail, un magasinier, féru de musique, qui lui apprend à se perfectionner. Et puis, conversation se faisant, il évoque son enfance, pendant la guerre. Alors qu’il est témoin de l’incendie de la ferme familiale, il s’enfuit et se cache dans une niche à légumes. Ce sont des partisans qui l’ont découvert. Il se lie d’amitié avec la jeune et jolie infirmière qui a l’habitude de se baigner nue devant lui. Cependant, elle sera tuée lors d’une attaque. On se sait pourquoi, mais le gardien finit par parler longuement d’un homme qu’il a rencontré dans un café et avec lequel il a discuté de tout et de rien : de grandes choses, mais surtout de petites choses concernant la vie. Retour à l’enfance. L’école dans laquelle il atterrit après la mort de l’infirmière. Il est alors hébergé chez la femme du garde-champêtre. A la fin de la guerre, notre saxophoniste prend le train avec un chapeau auquel il tient énormément – et qu’il a acheté chez un marchand particulièrement volubile – et l’oublie dans le wagon : grand drame ! Ceci dit pendant quelques temps, notre héros a voyagé de train en train et vivotait en vendant des babioles et de la nourriture. Il se souvient aussi d’une veuve un peu particulière, chez laquelle il a logé et qui lui a fait perdre sa virginité. Mais il faut bien achever ! D’ailleurs, n’en avez-vous pas suffisamment dans votre besace, des haricots ?

 

          Difficile de résumer un roman aussi particulier que L’art d’écosser les haricots. En effet, la narration est totalement déstructurée et suit le fil d’une conversation à bâtons-rompus. Pas de chronologie, donc, et des allers et retours sur des sujets déjà évoqués auparavant. Mais le plus remarquable, c’est que le narrateur, qui n’est autre que le gardien d’un village-vacances désert, s’attache à de petites choses qui paraissent, de prime abord, sans intérêt.

          Pourtant, c’est avec grande appétence que le lecteur avale ces petites histoires, tels des haricots. On ne s’ennuie jamais en lisant L’art d’écosser les haricots. Il faut dire qu’à travers ces chroniques d’une vie mouvementée sans l’être, des portraits se dessinent – même si tous les personnages du roman, y compris le narrateur – restent anonymes. Chacun porte en lui mélancolie, sentiment d’échec, désir de rompre une sempiternelle solitude… et chacun aussi a ses petites manies, ses petites bizarreries. Prenons l’exemple du magasinier passionné de saxophone qui décide d’offrir son instrument au narrateur, puis, regrettant sa perte, décide de le lui racheter ! Et puis il y a aussi le chapelier qui a vécu toute sa vie parmi les chapeaux et qui ne peut parler d’autre chose que de ses couvre-chefs. Certains peuvent être cruels, à l’instar de la femme du garde-champêtre qui a hébergé le narrateur pendant la guerre ; d’autres peuvent être égoïstes, comme l’homme de ce train qui bouscule tous les bagages pour pouvoir mettre le sien sous le prétexte qu’il hait le désordre et que chaque chose doit être à sa place. Enfin, d’autres font preuve d’une certaine humanité, comme cette veuve qui sera la première maîtresse du narrateur et qui le berce doucement sur sa poitrine pour qu’il s’endorme.

          En réalité, L’art d’écosser des haricots obéit à une certaine vision de la vie et à une certaine philosophie, également. Toutes ces petites histoires, toutes ces petites rencontres sont autant de haricots qui, une fois écossés, tombent dans la besace. Telles de petits haricots, elles bondissent et rebondissent dans la bouche du narrateur. Mais surtout, ce qu’on retient de la vie, les souvenirs qui restent d’elle, sont semblable à ces petits haricots insignifiants. C’est là le mystère de la mémoire qui retient de petites choses et efface, parfois, des choses plus importantes. Cependant, il y a peut-être autant de leçons à tirer sur les sujets de l’humain et de la condition humaine à travers les petites anecdotes insignifiantes que dans les grandes épopées avec personnages extraordinaires. Ici, nous n’avons que des personnages ordinaires, mais, parce qu’on se penche sur eux, ils deviennent extraordinaires.

          Enfin, même si la vie du héros-narrateur a connu quelques agitations, notamment pendant la guerre, une impression de calme et de sérénité imprègne le roman. En effet, on imagine bien cette rencontre entre le narrateur qui écosse les haricots et le visiteur qui vient en recueillir quelques-uns, un soir, au coin du feu, dans ce village vacances désert. Certes, il y a dialogue entre les deux hommes, mais n’est écrite que la parole de celui qui écosse les haricots. Si bien que son interlocuteur qui réagit mais dont nous ignorons comment, c’est peut-être bien nous, les lecteurs du roman. Alors, vraiment, c’est avec grand peine que j’ai refermé ce roman et soigneusement emmagasiné tous ces savoureux petits haricots magiques que le gardien du village m’a confié ! A moi d’en faire bon usage !



01/08/2021
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