Tom Wolfe : Moi, Charlotte Simmons / Tom + Charlotte + moi : cocktail réussi !
L’heure de la rentrée des classes va bientôt sonner, mais ne perdons pas de temps et sautons à pieds joints, d’ores et déjà dans l’univers impitoyable de l’école avec ce roman plutôt réjouissant : Moi, Charlotte Simmons, écrit par Tom Wolfe en 2004 et paru aux éditions Robert Laffont.
Charlotte Simmons vient d’achever brillamment sa scolarité au lycée de Sparta, petite ville des montagnes de Caroline du Nord. Elle s’apprête à entrer dans la prestigieuse université de Dupont. La jeune fille nourrit de grandes espérances quant à la nouvelle vie qui s’ouvre devant elle. En effet, à Sparta, elle n’a jamais réussi à se faire beaucoup d’amis. Un tantinet bêcheuse, elle refuse de se compromettre avec les garçons, ne sort jamais et ne pense qu’à ses études. Enfin va-t-elle pouvoir évoluer dans un univers qui lui correspond ! La réalité s’avère cependant un tantinet différente. L’université est un repère de filles et de fils de bonne famille qui ne pensent qu’à faire la fête, à boire de l’alcool, à coucher ensemble. Charlotte est esseulée et s’enferme, dans un premier temps, dans les études. Cependant, la jeune fille est aussi très jolie et attire les convoitises de trois garçons très différents : le fils à papa Hoyt Thorpe, le garçon « le plus cool » de l’université, Adam Gellin, brillant étudiant d’origine modeste qui écrit des articles pour le journal de l’université, et enfin, Jojo Johanssen, le talentueux basketteur de l’équipe universitaire. Peu à peu, la jeune fille comprend que pour exister à Dupont, les études ne sont pas la panacée : il faut sortir, boire, avoir des amis « cools », un petit ami « cool », porter des jeans Diesel… c’est ainsi que la jeune fille va faire son apprentissage de la vie. Entre illusions et désillusions, Moi, Charlotte Simmons raconte l’itinéraire d’une jeune fille brillante qui désire briller au sein de l’université de Dupont.
Moi, Charlotte Simmons est avant tout un roman d’apprentissage doublé d’une satire féroce du monde des universités de prestige américaines. La jeune Charlotte est tiraillée entre les valeurs qui l’ont toujours gouvernées : le travail, l’excellence, l’attachement à sa famille, et les valeurs qui règnent au sein de l’université : l’alcool, le sexe, la frime. En refusant de céder à ces dernières, elle attire les moqueries et se forge une réputation de bêcheuse ringarde. Face à elle se dresse la très « cool » Beverly, sa compagne de chambre. Souvent ivre, toujours entre deux conversations téléphoniques, dotée de la plus belle collection de jeans Diesel jamais vus, Beverly n’hésite pas à mettre Charlotte à la porte de la chambre lorsqu’elle décide de passer la nuit avec un garçon « cool », rarement le même. Et puis Charlotte rencontre Hoyt, le plus beau garçon de l’Université, et aussi « le plus cool ». Elle plait beaucoup à ce dernier, et en éprouve une immense satisfaction. En effet, en s’affichant au bras de Hoyt, Charlotte suscite la jalousie des autres filles et a enfin l’impression d’exister. Lors d’une soirée, elle cède aux avances du garçon et couche avec lui. Cependant, très vite, c’est la déconvenue : Hoyt raconte à tous ses potes comment il a réussi à dépuceler l’inaccessible Charlotte Simmons ; par ailleurs, il n’a guère l’intention de poursuivre plus loin l’aventure avec la jeune fille qui tombe en dépression et rate plus ou moins ses examens. Finalement, Charlotte parviendra à réaliser son rêve : briller ! Elle deviendra la petite amie du fameux basketteur Jojo Johanssen et suscitera la jalousie et la convoitise de toutes les filles de Dupont ! Quelle réussite !
Parmi les prétendants de Charlotte, on trouve le brillant mais le sans sou Adam Gellin. Lui aussi a la rage de réussir. Il travaille comme livreur de pizza pour payer ses études, et écrit des articles pour le journal de l’Université. Sa réussite ? Tout comme Charlotte, il ne la devra guère à son esprit. En effet, le jeune homme a eu vent d’une histoire sordide et racoleuse qu’il publiera dans le journal sous le titre : la nuit de la turlute. Un gouverneur a été surpris en plein ébat sexuel avec une étudiante de Dupont dans le parc de l’Université. L’article fait son petit effet, et Adam, qui en est l’auteur, devient donc une vraie star sur le campus.
Avec le personnage de Jojo Johanssen, Tom Wolfe égratigne le sport et son statut au sein des universités américaines. En effet, le sport, c’est la vitrine de l’université qui se doit d’avoir des équipes du feu de dieu. Cependant, les sportifs sont loin d’être des intellos, et bénéficient de cours de niveau inférieur dispensés par des professeurs complaisants. Par ailleurs, il est de bon ton, chez les sportifs, de mépriser les études : ainsi, Jojo fait-il faire ses dissertations par Adam qui outrepasse un peu son rôle de répétiteur : en effet, cette pratique est officiellement interdite. L’affaire est révélée par un professeur acrimonieux et retors qui ne voit pas d’un très bon œil la présence de sportifs décervelés au sein de l’université. Jojo en sera quitte pour une belle frayeur : pendant quelques temps, le coach ne lui accordera plus sa confiance, ce qui hypothèquera sérieusement l’avenir du jeune sportif.
Bref, Moi, Charlotte Simmons est un livre plutôt caustique qui règle ses comptes avec l’hypocrisie qui règne dans les universités de prestige américaines. Dans ces écoles, le travail n’est pas forcément la panacée de la réussite : des réseaux se créent, et il est de bon ton d’entrer dans l’un d’entre eux par des moyens tout autres que le travail : la frime, l’argent, la provenance sociale. Par ailleurs, les relations qui s’établissent entre les étudiants sont souvent cruelles et impitoyables : entre les jalousies et les cancans, il faut se faire sa place pour être reconnu. Les rapports entre les étudiants et les professeurs ne sont guère plus tendres : le bienpensant professeur Quat – qui s’affiche à la gay pride de l’université tout en mentionnant qu’il est marié et père de famille dans ses discours (histoire de ne pas prêter à confusion ! Il y a des limites à la tolérance, quand même !) – est prêt à mettre en péril l’avenir de deux étudiants qui ont chacun du mérite dans leur domaine en révélant l’histoire des dissertations monnayées, le professeur Starling, d’un seul regard, octroie félicitations ou blâmes aux étudiants dont l’amour-propre est souvent malmené, Buster Roth, le coach de l’équipe de basket, défend à ses étudiants d’être intellectuellement brillants.
Enfin, à travers la peinture sans complaisance du monde universitaire américain, Tom Wolfe fustige toutes les sociétés occidentales et leur mode de fonctionnement. Il est clair que pour parvenir, le travail n’est pas la seule voie possible. On peut épouser une star, s’immiscer dans un réseau, faire preuve d’immoralité et de culot… autant de comportements également adoptés à Dupont ou ailleurs. Vive donc l’école, cet univers impitoyable où on forge son avenir d’une manière ou d’une autre. A la veille de la rentrée des classes, voilà de quoi broyer du noir ou du rose !
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