LECTURES VAGABONDES

            Il paraît, selon ce qui est écrit sur le bandeau qui orne la couverture de Les derniers romantiques – roman écrit par Tara Conklin et paru en 2020 aux éditions de L’Archipel – que Jonathan Franzen va trembler devant cette écrivaine prodige. Il me sera difficile de répondre à cette exclamation car je n’ai jamais lu un SEUL roman de Jonathan Franzen. Par contre, j’ai lu Les derniers romantiques et voici ce que j’ai envie d’en dire. 

            Nous sommes en 2079. Fiona Skinner donne une conférence sur le climat – désormais totalement déréglé – dans un auditorium. Soudain, une jeune fille qui se prénomme Luna se lève et Fiona en est toute décontenancée car celle-ci ressemble à une autre femme nommée Luna qu’elle a connue par le passé. Alors, elle se met à raconter son histoire et celle de ses frères et sœurs. Tout commence à la mort de leur père : Ellis Avery Skinner, au printemps 1981. Leur mère, Noni, sombre dans une profonde dépression et ne s’occupe plus de ses enfants. Livrés à eux-mêmes, Reine, Caroline, Joe et Fiona vivent des moments exquis au bord du lac et font connaissance de Nathan et d’Ace qui deviennent leurs camarades. Jusqu’au jour où la vie reprend, ce qui met un point final à ce que les uns et les autres appellent la grande parenthèse. Bientôt, chacun mène sa propre vie. Caroline épouse Nathan, et devient mère, Reine poursuit des études de médecine et rencontre Jonathan qu’elle épouse ; Fiona, qui a des aspirations littéraires, tient, pour l’heure, un blog intitulé La dernière romantique qui deviendra, plus tard Les dernières fois. Par ailleurs, elle accumule les liaisons sans lendemain jusqu’au jour où elle rencontre Will avec lequel elle va cohabiter pendant de longues années. Quant à Joe ? Joe est au centre des préoccupations de chacune. De leur mère, d’abord, qui le chouchoute particulièrement et le place au-dessus de ses filles alors qu’elle tient à ses principes féministes. Cependant, un jour, Fiona apprend que son frère Joe, dans le passé, s’est drogué ; que c’est Ace qui lui procure la drogue dont il a besoin ; que s’il a été renvoyé de l’équipe de base-ball dans laquelle il excellait, c’est pour cette raison. Et puis, un jour, le drame éclate : Joe est accusé de harcèlement sexuel par une collègue de la boîte pour laquelle il travaille : Morgan Capital. Conséquence ? Joe perd son travail et sa fiancée, Sandrine Cahill. C’est à San Francisco que Joe tente tente de se reconstruire. Il rencontre Luna et c’est le grand amour. Alors qu’ensemble, Joe et Luna ont des projets, la drogue et l’alcool sont aussi invités au sein de leur couple. Un nouveau drame éclate : alors qu’il a trop bu, Joe fait une mauvaise chute dans la cuisine et meurt. Luna reste introuvable mais les trois sœurs la recherchent pour lui donner la bague que son fiancé Joe lui destinait. Cette recherche durera des années et n’aboutira jamais… Sauf quand, dans cette salle de réunion, en l’an 2079, une femme en tout point comparable à la Luna qui devait épouser Joe, apparaît devant Fiona alors âgée de 102 ans et seule survivante de toute l’histoire. C’est alors qu’elle découvre que Luna était enceinte de Joe quand ce dernier a trouvé la mort, et que le fils qu’elle a eu de lui a eu, à son tour, une fille. Luna est donc la petite-fille de Joe.

            Avec Les derniers romantiques, Tara Conklin signe un roman étrangement assez addictif. Étrangement ? Car certes, il n’évoque que de petites choses de la vie comme, par exemple, l’emménagement de Caroline à Hamden, non loin de New York. Cependant, ces scènes d’un quotidien banal permettent de mettre en scène des relations familiales. Certes, dans la famille Skinner, elles sont fusionnelles. Mais lorsqu’on gratte un peu la surface, on se rend compte que les mensonges et les non-dits sont nombreux, notamment en ce qui concerne l’addiction de Joe à la drogue. Par ailleurs, de violentes disputes éclatent parfois ; par exemple, lorsque Fiona engage une voyante pour retrouver Luna, un conflit éclate entre celle-ci et sa sœur Caroline ; les deux femmes ne se verront plus pendant longtemps.

            Et puis, un sentiment particulier unit les femmes de la famille Skinner : l’amour qu’elles portent toutes pour Joe. Il est le seul homme de la famille et ses trois sœurs le chouchoutent. Quant à sa mère, féministe convaincue, elle marque sa préférence pour ce fils qu’elle estime promis à un avenir exceptionnel dans le monde du base-ball. Malheureusement, ce fils pour l’une, ce frère pour les autres, tourne mal et peut-être est-ce là la conséquence d’une enfance surprotégée.

            Cependant, j’émettrai quelques réticences en ce qui concerne Les derniers romantiques. En effet, Tara Conklin a fait des choix narratifs surprenants. Pourquoi, en effet, a-t-elle choisi d’utiliser la forme du récit rétrospectif ? Nous sommes en 2079, l’auteure évoque la crise climatique qui frappe la planète. Étrange contextualisation puisque cette crise n’a rien à voir avec l’histoire racontée par ailleurs, dans le flash-back. Pourquoi avoir choisi un seul pan narratif ? En effet, le roman raconte l’histoire de la famille Skinner, famille frappée par le drame du décès de Joe, fils et frère adoré. Cependant, la petite fille de Joe, Luna n°2, en 2079, vient trouver Fiona… Pourquoi si ce n’est pour échanger avec elle au sujet de la famille Skinner ? Mais la jeune fille est étrangement absente de cette confrontation qu’on dirait plutôt à sens unique, toute concentrée qu’elle est sur le passé de Fiona. On attendait que cette rencontre entre Luna n°2 et sa grand-tante comportât un enjeu ; mais il n’y en a aucun et on ne saura rien de la famille que Luna n°1 fonde avec Joe – de manière posthume en ce qui le concerne.

            Ainsi, le roman Les derniers romantiques vaut vraiment le détour et puisqu’en couverture, comparaison est faite avec Jonathan Franzen. Je pense bientôt faire une descente dans l’œuvre de ce dernier.