Sylvain Ouillon : Les jours/Vivement la nuit !
Voici un premier roman qui sort de l’ordinaire ! Un roman qui peut donner envie d’aventure et d’exotisme ! Pourtant, son sujet principal, c’est la mémoire et le souvenir. Mémoire et souvenir d’une famille formidable, mais aussi très quelconque. Ce roman s’intitule Les jours ; il est écrit par Sylvain Ouillon, et paraît en 2019 aux éditions Gallimard.
Commençons donc par le premier cahier qui concerne Lucien Devoise, avant 1927. L’homme a un frère, Pierre, assez vif et trublion, et une sœur, Renée. Tous trois se souviennent de leur grands-parents, parents, enfance… ce qui donne lieu à quelques bribes de souvenirs pour les uns, un portrait un peu plus étoffé pour les autres comme pour Augustin Devoise, le père des trois enfants. C’est un homme sain, qui aime le sport, qui fut fonctionnaire aux Postes. Il a embrassé l’idéologie communiste à une époque où le marxisme était encore une toute nouvelle théorie : admirateur de Jaurès, de Zola, il a connu Lénine qui, dans sa jeunesse, a résidé à Paris. Après la guerre, et pendant les années folles, le jeune Lucien se passionne pour la musique et accompagne au piano des films muets. Il aime particulièrement le jazz. Mais nous sommes en 1927 et il est temps de retourner dans le passé pour faire connaissance avec la future épouse de Lucien. Simone Sevrin avant 1927. Originaire de l’est de la France, les Sevrin auront souffert de la guerre 14, du fait de la proximité de la région avec l’Allemagne. Après la guerre, Auguste et Eugénie Sevrin décident de tenter leur chance à Madagascar. Sur le bateau qui les emmènent en cette lointaine contrée, Lucien et la fille des Sevrin – Simone – se rencontrent et tombent amoureux l’un de l’autre. Pourtant, il leur faudra plusieurs années avant de pouvoir se marier car Auguste, le père de Simone, installe son entreprise d’exploitation du bois dans la baie d’Antongil en pleine cambrousse, tandis que Pierre est affecté au service de la Poste à Tananarive. Après leurs épousailles, Lucien et Simone vont alterner les épisodes de vie malgaches et français (la famille de Lucien est restée en région parisienne, à Fontenay-aux-Roses. Ils connaîtront des événements douloureux, comme la perte d’un enfant, le petit Jacky, ou encore celle de son père, disparu lors d’un ouragan qui a déchainé la rivière près de laquelle il vivait. De son côté, Pierre s’installe au Maroc où il mène une vie d’aventurier et amoureusement tumultueuse, même s’il est marié à Edmé. Renée, quant à elle, épouse Michel. Pendant la seconde guerre mondiale, toute la famille, où qu’elle vive, s’engage dans les forces françaises libres auprès du général de Gaulle. Après la guerre commence la décolonisation qui débute en Indochine. Bientôt, la vie à Madagascar devient risquée ; Lucien et Simone, qui ont des enfants – Luce et Miche - décident de poursuivre l’aventure des colonies en Afrique noire, à Brazzaville, au Congo, puis à Bangui, en République centrafricaine, puis au Soudan, à Fort-Lamy. Et la vie s’écoule tranquillement, jusqu’au retour définitif en France. Aujourd’hui, Lucien et Renée sont morts. Leur fille, Luce, est la mère du narrateur – derrière lequel se cache très certainement l’auteur lui-même. Mais avant de trépasser, l’un et l’autre ont livré à ce dernier leurs souvenirs de vie d’expats.
Les jours est un roman vraiment original. Il est composé de longues citations qui viennent ouvrir les différents chapitres successifs, de passages où le narrateur donne la parole aux personnages du roman - Renée, Lucien, Pierre, d’autres encore, témoignent de leur vie passée, comme peuvent le faire, parfois, les grands-parents devant leurs petits-enfants. Il comporte aussi des bornes où le narrateur évoque la grande Histoire et son évolution en regard de la petite histoire des personnages. Ces bornes vont de 1900 à nos jours. Et puis, bien évidemment, il y a le récit de la vie des personnages. La narration, quant à elle, est prise en charge par un narrateur-personnage (je) qui pourrait bien cacher l’auteur lui-même. Les personnages ne seraient alors que les ancêtres de l'auteur, particulièrement, ses grands-parents.
Un des objectifs de Sylvain Ouillon, dans ce roman, c'est de faire le lien entre les destinées individuelles et la destinée collective de la France. Il se focalise particulièrement sur le destin des expats qui ont vécu à la fois les guerres du XXème siècle et la décolonisation. Bien avant, les arrière et arrière-arrière grands-parents étaient de simples paysans ; mais avec l’industrialisation, ils ont vu leur destin changer, car l'histoire collective modifie les destins particuliers. Par exemple, pense toujours bien, avant de juger quiconque, que si tu étais né en 17 à Leidenstadt, tu aurais peut-être été un nazi dans les années 1930-40.
Au départ, le roman est étourdissant ! On est passionné par ces individus obscurs de la fin du XIXème dont on recherche les traces et dont les mémoires ont gardé si peu ! mais ces personnages sont traités comme les ancêtres qui ont permis de donner le jour aux deux personnages principaux, Lucien et Simone Devoise. On passe très vite sur leurs destinées.
A partir de là, le roman passionne moins car Lucien et Simone ne sont jamais de véritables personnages mais bien des personnes qui ont réellement vécu et qu’on traite ainsi. Seuls comptent les souvenirs que le narrateur a d'eux et par conséquent, ce dernier refuse de romancer Les jours, si bien qu’on se trouve devant une succession de propos issus des différents membres de la famille Devoise ou Sevrin qui alternent avec la trame du roman. Le narrateur se contente de résumer et de commenter leur vie sans jamais la mettre en scène. Il n'utilise guère les ficelles propres au roman : pas de dialogue, pas de pensée intime ; seuls ce que font les personnages, et où ils vont semble intéresser le narrateur.
De plus, comme Sylvain Ouillon est océanographe, il décrit longuement les magnifiques paysages de Madagascar. C'est ainsi que Les jours, d'un roman passionnant devient vite un roman ennuyeux car on n’a aucune empathie avec les personnages qui restent creux, sans personnalité, au cœur desquels on ne pénètre jamais. Certes, il faut accepter le parti-pris de l’auteur qui se borne à ne s’attacher qu'aux seuls souvenirs qu'il a de ses grands-parents et aux propos décousus qu’il a pu recueillir et dont il se souvient. Son objectif est de questionner la mémoire et le souvenir. Mais libre au lecteur de trouver le résultat ennuyeux à lire.
Par ailleurs, on se demande si l’auteur, sans le vouloir, ne fait pas l’apologie du colonialisme. Certes, il s'en défend, mais on sent une réelle nostalgie pour la « grande époque » des colonies françaises, époque qu’il aurait sans doute bien voulu vivre. Mais il est né trop tard pour en avoir eu la possibilité, alors il vit la sacro-sainte décolonialisation par procuration à travers ses grands-parents qui, eux, l'ont vécue. Cette vie paraît bien tranquille, plus exotique, plus sauvage. Les colons sont au contact d’une nature luxuriante, amplement décrite, même si elle est aussi, parfois, cruelle.
Et puis, pourquoi Sylvain Ouillon utilise-t-il tant de citations ? Pêle-mêle, on trouve des extraits – souvent assez longs - d’œuvres et d’auteurs érudits, parfois philosophiques et abstraits. Extraits de leur contexte, on ne comprend pas forcément quel lien il faut faire entre la citation et le chapitre qui va suivre. Ainsi, la lecture de ces considérations venues de nulle part sont pénibles. Par ailleurs, les commentaires de l’auteur sont en grande partie appuyés sur les pensées des autres. Sylvain Ouillon ne sait-il pas penser tout seul comme un grand ?
Bref, Les jours, c’est une œuvre intéressante seulement pour Sylvain Ouillon lui-même. Le lecteur, lui, en a vite assez de lire plus de 500 pages de souvenirs et de mémoire personnels. Lire Les jours, c’est un peu comme si tu regardais pendant 3 heures les films VHS personnels d’une famille lambda que tu ne connais pas. Tu imagines ?
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