Sophie Chauveau : Diderot, le génie débraillé (tome 2 : les Encyclopédistes)/ Roman encyclopédique !
Après le tome 1 : Diderot, le génie débraillé, les années bohème, qui m’a procuré un plaisir somme toute bien relatif, voici le tome 2 : Diderot, le génie débraillé, les Encyclopédistes, écrit par Sophie Chauveau en 2010, et paru aux éditions Télémaque. Ici, l’ennui prend largement le dessus sur le plaisir !
Nous retrouvons Diderot, emprisonné dans le donjon de Vincennes : emprisonnement finalement aménagé puisque l’écrivain peut y travailler comme il veut. A sa sortie, il se lance dans l’entreprise encyclopédique avec D’Alembert. Non pas sans mal, car après des débuts enthousiastes et fulgurants, les disputes et des polémiques éclatent entre les divers philosophes chargés d’écrire les articles, notamment à propos de l’article Genève, très dur avec la ville protestante ; des interdictions et autres censures ralentissent et compromettent le succès de l’entreprise. C’est au cours de ces années que Diderot se brouille pour toujours avec son meilleur ami, Rousseau. Question vie personnelle, Diderot perd ses enfants, puis devient à nouveau papa d’une petite Angélique dont il est gaga. Cependant, il y a belle lurette que Diderot n’aime plus sa femme, Nanette, et qu’il la trompe. Il rencontre Sophie Volland dont il tombe éperdument amoureux : cette dernière sera à la fois pour lui, une maîtresse, une amie, une complice de tous les instants. Cependant, cette dernière entretient des liens incestueux avec ses deux sœurs, ce qui trouble Diderot qui deviendra également l’amant de Jeanne et de Charlotte : il est fasciné par les lesbiennes et s’en rend d’autant plus compte qu’il découvre que sa sœur, Denise, vit avec une femme. Question amitié, ce n’est pas la joie non plus : outre Rousseau, Diderot est torturé par sa relation avec Grimm, homme tyrannique et intolérant envers ceux qui ne partagent pas ses idées. Par ailleurs, les amitiés constituées lors de l’entreprise encyclopédiques se distendent, notamment celle avec D’Alembert, noble, reçu à l’Académie, fréquentant les salons. Diderot écrit beaucoup… cependant, il a bien conscience que ses écrits pourraient lui attirer des problèmes : il n’a plus guère envie de tâter à la prison, et puis, il songe beaucoup à sa fille, qu’il veut doter, pour laquelle il souhaite trouver un bon parti. Prudence, prudence, donc. Cependant, cette tiédeur le torture. Lui qui a toujours voulu révolutionner le monde avec ses idées préfère le confort bourgeois d’une vie rangée, sans problèmes, couverte d’honneurs. Il tombe amoureux d’une certaine Catherine de Meaux qui lui bat froid, raison pour laquelle il tombe en dépression et décide de voyager vers la Russie afin d’y rencontrer Catherine II, sa protectrice. En passant par la Hollande, il découvre la mer, il souhaiterait vivre là. Cependant, la Russie l’attend, avec à la clé, une belle désillusion : despote éclairée, Catherine II aime les beaux-penseurs, mais n’est pas prête à changer quoique ce soit dans sa manière de gouverner. Déçu, il rentre en France. Retrouve sa vie, le travail, l’écriture : il rencontre Beaumarchais, son plus fervent admirateur, s’enthousiasme pour les Insurgents d’Amérique, menés par La Fayette, rencontre celui qu’il a toujours admiré, voulu égaler : Voltaire. Cependant, la vieillesse le guette : il souffre de violentes coliques, de malaise : autour de lui, c’est la bérézina : Rousseau meurt, puis D’Alembert, Sophie Volland, sa tendre maîtresse, enfin, c’est au tour de sa petite fille, Minette, de passer l’arme à gauche. Sentant ses forces décliner, Diderot cherche à rassembler tous ses écrits, afin qu’ils soient publiés de manière posthume : il meurt comme il a vécu, dans l’amour de la vie : en mangeant un abricot.
Sophie Chauveau est ici davantage essayiste et cela se sent fortement dans la manière qu’elle a d’aborder son Diderot : on a donc affaire à un très long article encyclopédique, très érudit, totalement instructif, qui ne correspond en rien à ce qu’attend un lecteur de roman.
La partie sur la bataille Encyclopédique est particulièrement fastidieuse à lire : on y perd Diderot qui s’efface devant l’œuvre et les turpitudes qui l’entourent. L’ensemble – qui tient quand même presque la moitié du livre – n’est qu’une suite d’informations brutes : qui a dit quoi, qui s’est disputé avec qui, pour quelle raison, qui devait participer à la rédaction d’un article et ne l’a pas fait… Il y a tant et tant d’informations qu’on les oublie quasiment toutes pour ne retenir que les grandes lignes, grandes lignes que, de toutes manières, je connais déjà.
Inutile de dire que dans Diderot, le génie débraillé, les encyclopédistes, il n’y a aucune scène : uniquement la narration rapide des divers épisodes de la vie de Diderot, rapide car très érudite : il y a tant à dire ! Le travers d’un tel parti-pris, c’est qu’on reste toujours à l’extérieur des personnages qui sont traités comme des objets d’étude. Bref, ici, encore plus que dans le tome 1, jamais, on n’entre dans l’ambiance du XVIIIème, dans l’esprit de Diderot, des autres personnages : l’ensemble reste froid et très distancié.
Quand à la pensée de Diderot, elle reste traitée de manière superficielle. Certes, je connais bien la Religieuse, Jacques le Fataliste, Le neveu de Rameau, et là-dessus, les quelques phrases présentatives des œuvres me suffisent… mais la pensée scientifique de Diderot ? Alors là, je sèche et ce n’est pas Sophie Chauveau qui aura éclairé ma lanterne :
« Le but de Diderot est d’affirmer une sensibilité universelle, l’hétérogénéité de la matière, et traiter de la vie éternelle via les molécules… »
Rien compris ! Et les points de suspension de Sophie Chauveau laissent à penser que cette dernière n’est pas plus calée sur la question que moi. Bref, on dira que Diderot était matérialiste. Ça, on le savait déjà, mais ce n’est pas grave.
Quant au personnage de Diderot, le portrait qui en est fait, il est conforme à celui du premier tome : travailleur infatigable, passionné, sensuel et libertin, fidèle en amitié… Bon : rien que des qualités, puisque même son attitude de mari infidèle trouve grâce aux yeux de Sophie Chauveau qui le disculpe en brossant le portrait d’une épouse hargneuse, dévote, insupportable pour le grand philosophe qu’est Diderot qui ne l’a néanmoins jamais quittée. Bref, on est ici dans un total parti-pris hagiographique : Saint Diderot, gloire à toi (oups, je crois qu’il avait une dent contre la religion ! Tant pis pour Sophie Chauveau). Par ailleurs, elle brosse un portrait négatif de tous les autres philosophes : Rousseau en prend plein le nez (normal ! Il a osé attaquer Saint Diderot dans ses confessions), Grimm est égoïste, dur avec les autres qu’il veut faire plier à ses exigences, le chevalier de Jaucourt est insignifiant… Bref, il n’y a que Diderot qui soit beau et gentil.
Enfin bref, si vous êtes passionné par le siècle des Lumières, par Diderot, ce n’est pas en lisant Diderot, le génie débraillé que vous prendrez votre pied : ce roman est totalement dénué d’âme. Au lieu de vous taper les 600 pages des deux tomes, je vous conseille plutôt de lire un article d’encyclopédie sur Diderot : vous perdrez moins de temps, pour un résultat comparable.
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