Boris Pahor : La porte dorée… et la clef n’y était pas !
En lisant ce roman, j'ai eu l'impression de retourner vingt ans en arrière, sur les bancs de la fac de lettres, à l'époque où il fallait absolument (sous peine d'être un super paria de la ringardise !) se saquer les écrivains à l'intellectualisme soporifique…. A croire que la valeur de ces écrivains se mesurait à l'aune de la ténacité avec laquelle les candides étudiants parviendraient jusqu'à la dernière page sans périr d'ennui avant ! « Fichtre ! Je me suis envoyé un Kristéva et autres Sollerseries, cette nuit… ça m'a révolutionné la cervelle ! ». Interdit d'avouer que c'était peut-être un peu autre chose que simplement « génial » !
Eh bien ! Dans la catégorie « roman intellectualiste et soporifique », j'ai nommé Boris Pahor : La porte dorée, paru en 2002.
Quelques mots sur cet auteur plusieurs fois proposé pour le prix Nobel de littérature : né à Triestre en 1913, il fut déporté à Dachau et Bergen-Belsen et cette expérience des camps de la mort est l'un des fils directeurs de son œuvre.
Pourtant, la porte dorée n'a rien d'une œuvre pessimiste. Igor Sevken est un écrivain slovène de 65 ans qui a connu l'horreur des camps d'extermination du régime nazi. Il écrit de nombreux articles sur cette expérience et reçoit, un jour, une lettre d'une certaine Lucie Huet, jeune femme de 30 ans. Elle pose, dans sa première lettre, la problématique du roman : peut-on rapprocher un destin individuel torturé de l'atmosphère terrifiante d'un camp d'extermination ? S'ensuit une correspondance entre les deux personnages principaux, puis une rencontre, puis une histoire d'amour. Lucie confie à Igor les viols incestueux à répétition que son père lui faisait subir dans le grenier, lorsqu'elle était petite. Ainsi donc, une complicité s'instaure entre deux êtres à l'âme et au corps brisés par deux formes de mal absolu. Cependant, il y a la porte dorée, celle de l'amour, c'est elle seule qui peut ouvrir sur une renaissance du corps et de l'esprit.
Une bien belle histoire, me direz-vous ? Peut-être. Mais l'écriture académique, intellectualisante et desséchante de Boris Pahor nous plonge bien vite dans un ennui profond.
Par ailleurs, le roman obéit à une construction très libre. Igor est un intellectuel qui voyage avec ou sans Lucie. Ainsi, sont évoquées les promenades en amoureux où les deux héros conversent de choses et d'autres très passionnantes et passionnelles :
« est-ce que le « Paolo et Francesca » de Rodin peut être une allégorie de notre amour ? » / « J'ai vu Hiroshima mon amour et tu m'es apparue dans le rôle d'Emmanuelle Riva »…. Fichtre ! si un jour, un homme me déclarait ainsi sa flamme, je crois bien qu'il éteindrait illico presto la mienne ! Mais pour vous faire goûter toute l'ampleur du potentiel de séduction de la conversation d'Igor Sevken, il me faut quand même restituer une discussion érotico-amoureuse de nos héros.
- Parle-moi plutôt de tes visites aux artistes.
- Elles ont commencé avec le sentiment de rester sans toi. En premier lieu, j'avoue, il y a eu une exigence de sensation et cette crainte que quelque chose ne s'interpose, l'influence d'un trouble qui se reproduit quand il y a au programme une belle rencontre, un voyage, un résultat désiré. Donc, je m'en suis un peu détaché et, par association, je suis passé du manque de ton corps à la mort des corps que ce siècle s'est offerte avec, en fait, beaucoup d'indifférence. Et je me suis en quelque sorte consolé en me rendant chez les Grecs.
- Et tu es resté sans réponse.
- Cette visite et les deux suivantes ont été positives dans la mesure où les artistes ont toujours été attirés par le corps. Cette vérité, fort banale, finit de l'être si on considère de quelle façon l'art contemporain présente des surfaces riches en couleurs, et des combinaisons plaisantes, merveilleuses en tant qu'art décoratif, mais sans établir de rapport avec la quintessence de l'existence.
- Visiblement, c'est avant tout la destruction des corps dont tu as été le témoin qui t'importe.
- Je la pose même en prémisse, si je puis dire, mais le problème s'élargit avec la question du mal absolu dont nous avons déjà discuté et le moyen de trouver la sortie de ce cercle magique.
- Le mal est en l'homme, voilà l'axiome.
Cependant, lorsque Igor n'est pas avec Lucie, il voyage, visite les musées et les bibliothèques, tombe sur de grands auteurs slovènes dont il développe la pensée… sans doute intéressante pour son prochain article, qui doit avoir pour sujet la lutte contre le fascisme entre les deux guerres dans les régions du littoral slovène : une grande saga avec de nombreuses guest stars : l'évêque Fogar, Rossellini, Lussu, Mitti, Cernac, Zeleu, Dolenc.. On s'arrête-là ?
Ces passages extrêmement touffus de l'histoire slovène sont écrits de manière fragmentaire, si bien qu'on perd totalement les pédales entre des anecdotes saupoudrées ça et là et qui ne se détachent sur aucun grand repère historique précis. Pour bien tout comprendre, encore faudrait-il être un super-spécialiste de l'Histoire slovène !
Bref, il faut s'accrocher, et je ne suis pas convaincue que ce roman en vaille la peine. Car si j'aime les romans "intellectuels" qui donnent à penser et à réfléchir, selon le "placere et docere" latin (plaire et instruire : fonction de la littérature) j'ai horreur des romans intellectualistes qui me donnent l'impression d'être une fieffée imbécile, vu que je ne connais pas la moitié des références « nec plus ultra » qui y sont citées et qui sont surtout là pour que l'auteur se prouve à lui-même qu'il est bien intronisé dans un monde culturel sélectionné, de pointe, un monde qu'il est de bon ton de maîtriser pour entrer dans le panel des esprits supérieurs…. Je dirais « nobélisables ». Je ne prends, par ailleurs aucun plaisir à lire un roman pour lequel la présence et le recours systématique à l'Encyclopédia Universalis sont nécessaires.
Bref, je déconseille ce livre à celui qui recherche un bon bouquin pour se relaxer intelligemment après le boulot....
La porte dorée est une œuvre, qui à mon sens, se réserve à ceux qui souhaiteraient faire une thèse universitaire sur Pahor et son rapport à la Slovénie.
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