Serge Moati : Villa Jasmin/Un pied à terre sympathique
Voici un titre qui fleure bon les chaudes soirées d’été, lorsque les bruits de l’après-midi s’apaisent, et que les odeurs de jasmin embaument le jardin. Villa Jasmin, c’est le joli titre d’un roman un peu moins joli écrit par le très télévisuel Serge Moati ; ce roman parait en 2003 aux éditions Fayard.
Dans ce roman, Serge Moati rend hommage à son père et à cette maison qu’il a fondée en Tunisie : la Villa Jasmin. Il entreprend donc de raconter leur histoire. Serge Moati père est un juif d’origine italienne tandis qu’Odette, sa future épouse, est juive d’origine tunisienne. Ils se rencontrent sur la scène du théâtre Rossini alors que Serge est metteur en scène. Très vite, ils se marient, malgré leurs différences d’origine. Serge rêve d’une maison nouvelle dans un quartier qui n’existe pas encore : cette demeure sera appelée Villa Jasmin. Pour gagner sa vie, il devient journaliste people pour un journal détenu par son copain Max : Tunis soir. Cependant, son engagement envers les idées communistes fait qu’il sera inquiété lorsqu’un certain Peyrouton prend le pouvoir en Tunisie. La famille Moati quitte la Tunisie et s’installe à Paris. Serge écrit alors dans Le populaire, un journal très ancré à gauche. Cependant, lorsque la guerre 40 éclate, il est envoyé comme soldat en Tunisie, à Bizerte. Puis, alors que Pétain signe l’armistice, la Tunisie se met au pas et c’est l’amiral Esteva qui dirige ce protectorat français. Malheureusement, de petits nazillons impriment leurs idées antisémites : Guilbaud et Rahn sont de dangereux personnages qui mettent en place la persécution des juifs. Par ailleurs, la Villa Jasmin est réquisitionnée par le nazi Rahn et ses acolytes. Un jour, c’est la catastrophe : Serge Moati, (pour rappel toujours le père) résistant, est arrêté alors que le réseau est démantelé et le 7 avril 1943, il est déporté à Sachsenhausen. Il est encore vivant lorsque le camp est évacué et qu’il est rapatrié en France. Il arrive à Paris le 12 juin 1943, et placé à la prison des Tourelles dont il s’évade. C’est alors qu’il entre dans un réseau de résistants et participera à la libération de Paris. De retour en Tunisie, il retrouve sa femme Odette et ses deux enfants : Vivi et Nine. En 1946, vient au monde Henry Moati, qui n’est autre que notre écrivain-journaliste qui a repris le prénom de son père. En Tunisie, la grande affaire, c’est la lutte pour l’Indépendance. Serge Moati soutient l’indépendance, ce qui lui vaudra un malheur : la villa Jasmin est attaquée par la main rouge, organisation secrète des patriotes français. Le 1er juin 1955, Bourguiba, le leader indépendantiste prend les rênes du pouvoir en Tunisie. Peu après, les parents du petit Henry Moati meurent. C’en est est fini de la villa Jasmin. Retour en France pour celui qui deviendra le Serge Moati qu’on voit à la télé
Immanquablement, Villa Jasmin est un roman qui comporte de belles pages. Plusieurs fois, Serge Moati établit un dialogue avec ses parents, par delà la mort. Il leur dit son amour, converse avec eux comme s’ils étaient encore vivants, leur raconte ce qu’ils n’ont pas su, n’ont pas pu voir, puisqu’ils sont morts jeunes, dans les années 50. Notamment, il se penche sur la vie de leur ennemi, Guilbaud – celui qui a envoyé Serge Moati père au camp de Saxo - qui vivra longtemps et bien, en Espagne, en Argentine ou en Suisse. L’Histoire est parfois injuste.
Le roman rend également hommage à ce père, que notre Serge Moati national admire et qu’il a si peu connu ; ce Serge Moati qui fut résistant méconnu car socialiste - les socialistes n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient vu leur appartenance et leurs sacrifices dans la Résistance. A travers ce père, c’est aux résistants socialistes que Serge Moati rend hommage : il n’y a pas que les Gaullistes et les Communistes qui se sont sacrifiés pour la France !
Et puis, bien évidemment, il s’agit aussi de rendre hommage à la Tunisie que le petit Henry Moati a connue, cette Tunisie de son enfance dont il reste nostalgique. Il évoque les quartiers, les cinémas, les rues de Tunis, mais aussi le soleil, la plage, les odeurs, bref, la douceur de vivre en ce pays, à cette époque de la colonisation française finissante.
Mais Moati ne se contente pas de rendre hommage aux hommes et aux pays qui ont forgé son identité. Il veut aussi salir ceux qui ont arrêté et déporté son père, ceux qui ont pactisé avec Hitler, ceux qui se sont soumis à la politique de Pétain. Alors, la plume de Moati se fait haineuse et dégoutée.
Ainsi, Villa Jasmin comporte de belles pages émouvantes. L’écriture de Moati est faite de phrases courtes, sèches, nominales, des phrases qui frappent l’esprit et l’oreille du lecteur. On reconnait en effet, le style oral que Moati emploie lorsqu’il commente les documentaires sur les guerres du XXème siècle. Le roman aurait sans doute plus de cachet s’il était lu à haute voix par l’auteur.
Cependant, Villa Jasmin n’est pas un roman totalement réussi. L’auteur éprouve des difficultés à mêler vie politique, Histoire et vie intime. C’est surtout vrai au début du roman avant la déportation du père. Moati parle de la Tunisie, de la vie politique de ce dernier, et en oublie tout le reste, à savoir : l’histoire de sa famille. Par ailleurs, Moati n’est pas non plus un historien-romancier : il raconte l’histoire des pays à toute vitesse, de manière désincarnée. Certes, je n’attends pas d’un roman qu’il me donne un cours d’histoire, mais quand même ! Il faut que le roman soit homogène !
Ainsi donc, Villa Jasmin est un roman inégal, qui parfois agace par son ton empreint de solennité, de grandiloquence, et parfois de pathétique un peu trop larmoyant. Cependant, c’est un roman sincère.
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