LECTURES VAGABONDES

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Serge Joncour : l’homme qui ne savait pas dire non/ni oui, ni non.


                Sans doute vais-je être un peu dure avec ce roman somme toute globalement assez plaisant : l’homme qui ne savait pas dire non, écrit par Serge Joncour en 2009 et paru aux éditions Flammarion. Il faut dire que j’attendais beaucoup de cette œuvre pour en avoir vu une présentation plus qu’alléchante.

 Joncour, en effet, semblait proposer – à travers un personnage qui ne sait pas dire non -  une fable bien caustique sur la société actuelle et sur la nature humaine en général. « En voilà une idée qui me plaît, me suis-je dit, à l’heure où le gouvernement français s’attaque férocement à nos libertés et à nos acquis sociaux sans que personne n’y trouve clairement quelque chose à redire ».

J’attendais donc de ce roman une satire bien sentie du « oui » qui semble être le seul mot qu’on sache dire, désormais.

« Acceptez-vous de travailler plus pour une retraite moindre ? »/ « Oui, avec l’allongement de la vie, c’est normal. Et puis, c’est un problème démographique. Il n’y a pas d’autre solution ».

« Acceptez-vous de travailler plus pour gagner moins ? »/ « Oui, il faut bien dégraisser le mammouth de la fonction publique qui coûte trop cher à l’état. On va mieux employer les heures des fonctionnaires, qui désormais seront rentables.»

« Acceptez-vous qu’on taxe encore plus les fumeurs ? »/ « Oui, les fumeurs sont des êtres nuisibles qui coûtent cher à la société. Il faudrait même les condamner à de la prison ou à des stages dans un centre de rééducation afin de leur mettre un peu de plomb dans la cervelle. »

« Vous acceptez donc qu’on taxe aussi ceux qui ne mangent pas cinq fruits et légumes par jour (les frites ne comptent pas pour un légume), et qui ne pratiquent pas une activité physique régulière ? »/ « Ben…. ! »/ « Madame, Monsieur, soyez logique. L’obésité, la sédentarité coûtent très cher à la société : maladies cardio-vasculaires, augmentation de la superficie occupée par les postérieurs dans les avions, les métros… Nuisance esthétique... »/ « Oui »/ « Taxons donc le petit rosé de Provence, les barbecues d’été et la sauce Curry Mango de Heinz. Détaxation totale des épinards à l’eau, des choux de Bruxelles vapeur et de la margarine légère Tournesol enrichie aux omégas 3 »/ « Miam ! Oui ! Bon appétit ! ».

Malheureusement, l’homme qui ne savait pas dire non n’a pas vraiment tenu cette promesse d’une satire bien saignante de toutes les manipulations dont nous sommes les objets, de toutes nos faiblesses, de toutes nos compromissions. Non, non, non, et non… Il ne l’a pas tenue.

Quelques mots sur la trame d’ensemble du roman.

Beaujour est un handicapé du langage. Il a perdu un mot essentiel du vocabulaire courant, un mot qu’il n’arrive pas à prononcer : le mot « non ». A toutes les questions qu’on lui pose, il répond par « oui », ce qui le place bien souvent dans des situations cocasses et embarrassantes, notamment sur le plan sentimental, comme vous pouvez le deviner.

Cependant, Beaujour exerce un métier où le fait d’avoir perdu le mot « non », de ne pouvoir même le prononcer peut s’avérer être extrêmement fâcheux. En effet, notre héros effectue des sondages d’opinion : il soumet des questionnaires aux gens qui répondent par « oui » ou « non » aux différents items proposés. C’est ainsi que pour éviter le mot perdu, Beaujour trafique les questions à poser afin que ces interlocuteurs soient tentés d’y répondre par « oui » ou par « sans avis », raison pour laquelle le patron de l’agence est très satisfait : les sondages tournent autour de 98%  de « oui »… Très vite, Beaujour se voit confier une mission de haute importance, mission qu’il ne peut refuser : une entreprise qui songe à délocaliser sa production dans un bled de Roumanie a commandé un sondage préparatoire au déracinement de ses employés : flexibilité oblige ! « Aimeriez-vous vivre à la campagne, à quelques kilomètres de l’usine où vous travaillez ? » Réponse : « oui », bien évidemment.

Cependant, Beaujour vit mal cette situation d’acquiescement permanent à tout ce qui est demandé par les autres : il part à la recherche du moment de sa vie où il a perdu le mot « non ». Pour cela, il commence à écrire des textes dans lesquels il explore les origines du monde pour ensuite descendre vers l’époque moderne et sa propre enfance.

Le roman alterne donc une succession de scènes de la vie quotidienne de Beaujour, scènes plus ou moins décousues, qui globalement peinent à mettre en place une histoire réellement prenante et satirique et des passages typographiés en italique, intitulés « l’ouvroir des mots perdus, broderie n°… »  qui ne sont autres que les textes de Beaujour parti à la recherche du « non » à travers l’écriture. Les premières « broderies » sont assez poétiques : elles évoquent un monde quasiment vierge de toute civilisation…. C’est somme toute passablement ennuyeux. Ensuite, on arrive à une réflexion plus intéressante sur la société de consommation, responsable, selon Joncour, de notre propension au « oui » :

« Mon père et ma mère étaient blanc d’origine, et pour ce qui est de nous autres leurs enfants on ne pourrait pas mieux dire qu’on était blancs nous aussi, nés dans les faubourgs pavillonnaires d’une ville créée de toutes pièces, sur les champs de blé d’Ile-de-France. Les villes nouvelles, dans les années soixante-dix, c’était l’ébauche d’un monde nouveau, rythmé par les nouveautés du Salon des Arts Ménagers. Le progrès n’en finissait pas de répandre ses promesses concrètes, on ne se refusait rien, une machine à laver, oui, la télé qui ferme à clé, oui, le téléphone, oui, une voiture, un fer à vapeur, un grille-pain, un micro-onde, oui, oui, oui et oui.»

Sans doute y a-t-il ici une part de vérité : habitués au confort, à dire « oui » à tout ce qui est présenté par la publicité  (devenue notre sainte bible) comme étant la base du bonheur des hommes - comme si le bonheur était un truc qu’on achète - nous devenons des légumes parqués individuellement dans des lotissements modernes, bien plus occupés à consommer qu’à faire des grèves illimitées qui obligent à se serrer vraiment la ceinture. Joncour ne va pas jusque là dans sa réflexion, et c’est dommage… en réalité, sans doute, la tournure spéciale et mal assise que prend le roman - entre un personnage qui se livre à la quête individuelle d’un mot perdu et une réflexion plus globale sur le danger de la perte de ce mot - le permet mal.     

Ensuite, à travers le personnage de Beaujour, Joncour met en évidence l’intérêt que peut avoir un patron… - et implicitement, bien sûr, un gouvernement - à avoir face à lui des employés - une société - qui dit « oui » à tout. Bien entendu, la responsabilité des instituts de sondage dans l’affaire n’est pas épargnée. « Vous ne savez pas encore pour qui voter ? Suivez le troupeau ! ».

Cependant, la dénonciation de la manipulation de l’opinion publique, du règne absolu de l’individualisme, de la perte de conscience collective, de la compromission des syndicats avec le pouvoir, de tout ce qui fait reculer le refus… elle est bien faible, inexistante sur certains points. C’est bien dommage ! Pourtant, je trouve l’idée de départ du roman absolument fabuleuse !

Enfin, le personnage de Beaujour. Il a le charisme d’une asperge dans les scènes de vie quotidienne : et pour cause ! Il n’offre de résistance à rien ! Cependant, les broderies littéraires qu’il nous offre sont écrites dans des styles différents (tantôt poétique, tantôt plus satirique)… Cette profondeur sied mal à un personnage par ailleurs insaisissable. Sur ce coup-là, le lecteur ne suit pas.

Bref, l’homme qui ne savait pas dire non est un roman qui comporte des qualités indubitables, mais qui a du mal à se mettre en route et à tenir les promesses portées par le titre. Il offre l’intérêt principal d’amorcer une réflexion sur notre société. Réflexion que le roman ne porte pas suffisamment.

Que reste-t-il donc à espérer ? Pas grand-chose. Que la jeunesse descende dans la rue pour dire ce que nous ne savons plus dire plus ? Bof. On rêve tous de refaire le monde à 20 ans. Et puis finalement, on ne refait rien du tout. On termine tous dans l’acceptation. Même celle de plaider coupable pour tous les maux du monde : rançon du « oui ». La faim dans le monde ? C’est de ta faute ! « Oui » ! Le réchauffement climatique, c’est de ta faute ! « Oui ! ». Le trou de la sécu, c’est de ta faute ! « Oui ! ». Heureusement, nous avons un président exemplaire, le meilleur des hommes ! Il est venu au pouvoir pour la rémission de nos péchés : il ne boit pas, ne fume pas, fait du sport. En plus, il se serre rudement la ceinture ! à lui et à toute sa famille, qu’il fait trimer dur pour y arriver ! Grâce à sa politique édifiante, on est plus tolérant les uns envers les autres (français de toutes origines, de tous âges, de toutes catégories sociales), on est moins pauvre, également, car l’état intervient sciemment pour répartir plus équitablement les impôts et les richesses afin de réduire les inégalités. Oui ! Lui et son gouvernement, ils refont le monde pour nous. On a tous vu le fabuleux clip vidéo de la super équipe en train de refaire le monde… Ils vont même jusqu’à nous divertir bien plus que les guignols ! Alors ? Que demande le peuple ?

Pourquoi dirait-on « non » ? On se le demande !

En attendant, je vous laisse avec ce grand penseur et philosophe picard qui apporte pour moi une réponse à la question : « pourquoi ne savons-nous plus dire « non ?».

(« Ben, dis donc, Hélène, tu serais pas en train de faire de la pub pour ton pote ? »... « Beh, oui »).




11/02/2010
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