Saphia Azzéddine : Combien veux-tu m’épouser ? / Saphia prend cher !
La belle et talentueuse Saphia Azzéddine est une habituée de ce blog. Elle est souvent bien aimée, même si ses romans exploitent souvent le même filon de la place de la femme dans la religion musulmane ou dans la banlieue. Une fois n’est pas coutume, Saphia Azzéddine nous emmène dans le monde des nantis avec ce roman paru en 2013 aux éditions Grasset : Combien veux-tu m’épouser ?
La jeune, belle et riche Tatiana a rencontré le grand amour sur une île des Seychelles. Il s’appelle Philip. Le mariage est prévu pour tantôt. Cependant, en attendant la cérémonie, chacun a son mot à dire sur ce couple de rêve. Chacun apporte son point de vue. La sœur de Tatiana, Anastasia, se veut désabusée et cynique. Dans le fond, elle envie sa sœur, rêve d’un beau mariage et finit
par céder à la tentation d’une vie conventionnelle. Le frère, Alexandre, vit déjà une vie d’homme marié, père de famille, jouissant d’une bonne place. Pourtant, il n’est pas heureux et fait un burn-out dont il peine à se remettre. La tentation est grande, pour lui, de tout laisser tomber. Et puis, il y a la bonne à tout faire de la famille, envieuse et pleine de fiel. Il faut la comprendre ! Ses patrons font comme si elle n’existait pas. Pourtant, si elle avait été plus rapide, elle aurait pu épouser monsieur et être à la place de Madame ! Une Madame un peu bêbête ; mariée à un Monsieur un peu cynique, qui n’apprécie pas vraiment son futur gendre. Et Philip ? Le futur époux de Tatiana ? Que pense—t-il de sa promise ? Nous découvrons que l’amour que Tatiana éprouve pour Philip n’est pas tout à fait réciproque : lui, c’est l’argent qui l’intéresse. Originaire d’une famille modeste et tape-à-l’œil, il veut jouir ! Pourtant, un peu avant le mariage, il avoue à sa fiancé combien il en a assez de jouer le gendre idéal, combien il trouve sa fiancée bête et superficielle : une enfant gâtée, née avec une cuillère d’argent dans la bouche, qui n’a connu que le luxe et le confort. Tatiana est effondrée, mais elle ne rompt pas les fiançailles. Le mariage a lieu, comme convenu. Mais au lieu d’une déclaration d’engagement, la jeune femme crève l’abcès et fait son mea culpa : oui, elle est une femme superficielle, égoïste, etc. C’est sur la base de la lucidité que le couple démarre dans la vie… et dans l’amour.
J’ai été un peu déçue par ce roman de Saphia Azzéddine, bien plus à l’aise lorsqu’il s’agit de parler banlieue et religion que d’évoquer les petites filles riches, car avec Combien veux-tu m’épouser ? on nage en plein dans le stéréotype et la comédie sentimentale cousue de fil blanc.
Le roman se construit en chapitres alternés qui font entendre la voix de la belle et riche Tatiana, de son fiancé, Philip, et de différents personnages qui tous connaissent la mariée et sont invités au mariage. Et chacun de donner son point de vue sur Tatiana, sur Philip, sur ce mariage. Entre jalousie, critique, ou admiration, nous découvrons que le sort de Tatiana n’est pas aussi enviable qu’il y parait : en effet, elle est très amoureuse de Philip et ne se rend pas compte que ce dernier n’est intéressé que par l’argent, que depuis le début, cette extraordinaire histoire d’amour n’est que malentendu car si Philip avait décidé de passer ses vacances sur cette île pour milliardaires dans l’archipel des Seychelles, c’est qu’il chassait les ingénues richissimes.
Tatiana est donc le stéréotype de la pauvre petite fille riche qui ne voit pas qu’on ne l’aime que pour son argent. C’est une oie blanche, assez bête, au demeurant, et superficielle. Elle ne pense qu’à ses tenues de jour ou de soirée, aux cocktails dans lesquels elle fait la roue comme une paonne, aux diners en amoureux au bord d’une piscine ou au bord de la mer avec un poisson grillé très rare et exotique au menu.
Philip, quant à lui, est le prototype du coureur de dot, sans scrupule. Il sait ce qu’il veut et pour lui, la fin justifie les moyens. Il vient d’une famille libanaise très vulgaire et clinquante qui fait honte à la famille de Tatiana qui n’a guère envie de l’inviter à la cérémonie ! Ici, Saphia Azzéddine croque avec une certaine énergie le portrait de la famille libanaise haute en couleur, gouailleuse, un peu trop spontanée pour être classe. Bien évidemment, le thème du rejet de cette tribu par la très guindée famille de Tatiana est attendu et on n’y coupe pas.
Reste les autres personnages. Tous regardent différemment le couple Tatiana-Philip, mais là où Saphia Azzéddine manque un peu de cohérence, c’est que le mariage et le couple d’une fille riche avec un coureur de dot est censé être au centre du roman ; or, bien souvent, les autres personnages ne pensent pas grand-chose de nos deux tourtereaux et évoquent plutôt leur propre vie et leurs propres problèmes, ce qui n’a rien à voir avec l’objet du roman. Certes, toutes ces histoires achèvent de peindre la misère des riches et de ceux qui gravitent autour d’eux : entre dépression, arrivisme, mariage raté car trop rigide, fausse rébellion, on a le choix parmi tous les stéréotypes qui courent sur les riches.
Cependant, jusque-là, le roman reste consommable et même assez épicé, comme on aime.
Mais là où rien ne va plus, c’est à la fin. Saphia Azzéddine nous sert deux scènes grotesques qui font penser aux happy-end cousus de fil blanc des comédies sentimentales américaines ; exemple de dénouement d’un film dont j’ai oublié le titre : « ils sont au bord de la rupture, mais alors qu’elle, actrice, est sur scène pour jouer le rôle de sa vie et que lui, est dans la salle à l’observer, elle oublie son texte et se lance dans une déclaration d’amour passionnée devant la salle qui applaudit ; et pour finir, ils s’embrassent avidement, à pleine bouche, devant la foule en délire ! The end ! ». On a tous vu ce genre de scène assez improbable ! Eh bien, Saphia Azzéddine nous fait elle aussi ce coup-là ! Beurk ! Mais avant que Tatiana, au lieu de dire simplement « oui » à Philip, lui déclare, devant le curé et toute l’assemblée, qu’elle est désormais lucide et gnagnagna… », on avait déjà dû avaler la scène où Philip dévoile le fond de son cœur à Tatiana ! Fichtre, on y croit ! Après avoir couru après un beau mariage, alors qu’il est en passe de réaliser ce pour quoi il a tant œuvré, il balance avec cynisme toute la vérité quitte à ruiner tous ses efforts. Non, on n’applaudira pas Saphia Azzéddine pour ces scènes ridicules, bien trop appuyées, totalement improbables, qui jurent avec la prétendue satire qu’elle entendait mener jusqu’à présent.
Ainsi, si Combien veux-tu m’épouser ? n’est pas le meilleur roman, ni le plus percutant de Saphia Azzéddine, il reste agréable à lire. Peut-être le titre est-il à revoir ? « Combien veux-tu m’oublier ? »
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