LECTURES VAGABONDES

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Rohinton Mistry : Une simple affaire de famille/Un roman complexe

 

 

          De retour d’Inde, j’avais envie de prolonger ce merveilleux voyage par des lectures venues de ce pays. C’est d’autant plus vrai que je connais très mal la littérature indienne. Commençons donc par un poids lourd de la littérature mondiale : Rohinton Mistry ; il écrit Une simple affaire de famille en 2002 et le roman parait en France en 2004 aux éditions Albin Michel.

 

          Nous sommes à Bombay à la fin des années 1990, dans la communauté parsie. C’est l’anniversaire du vieux Nariman et toute la famille est présente. C’est donc l’occasion de présenter d’abord les Vakeel, chez lesquels Nariman vit ; cette branche est composée de deux beaux-enfants : Coomy et Jal. Mais Nariman a une fille prénommée Roxana. Elle a épousé Yezad Chenoy et a deux fils : Jehangir et Murad. Mais derrière la fête, il y a la défaite. Coomy et Jal en ont assez d’héberger le vieux Nariman, grabataire et atteint de la maladie de Parkinson. C’est donc dans le petit appartement de sa fille, Roxana, que le vieillard s’installe. Ses dernières lueurs de conscience, il les met au service des souvenirs de son seul véritable amour : Lucy. Un amour contrarié car la jeune fille n’appartient pas à la communauté parsie. Nariman a dû épouser une autre femme, ce qui a anéanti la jeune fille qui, devenue folle, tombe du haut d’un rempart. Cependant, la vie est dure pour la famille Chenoy. Certes, il y a Nariman dont il faut s’occuper et qui n’est plus très propre, et une bouche de plus à nourrir, c’est trop pour Yezad qui travaille dans une boutique d’accessoires sportifs - le Bombay Sporting goods - dont le patron est Mr Kapour. Son salaire est assez bas, alors il tente sa chance au Matka (sortes de paris sportifs illicites). Cependant, le filon n’aura pas le temps de rapporter : les paris sont interdits. Jehangir, le fils, tente aussi de mettre du beurre dans les épinards en organisant une sorte de racket aux devoirs. Mais lui aussi doit cesser ses petites affaires lorsque Miss Alvarez, la maîtresse, découvre le pot au roses. D’un autre côté, Jal, mais surtout Commy, n’ont guère envie de voir revenir chez eux le vieux Nariman. Ils prétextent donc des travaux dans leur appartement pour se donner un délai supplémentaire de tranquillité. Mais ils engagent un incapable, Edul Munshi, et Coomy sera punie de sa méchanceté : alors qu’ils sont en plein travaux, une poutre s’écroule et tue sur le coup Coomy et Edul. D’un autre côté, Mr Kapour, le généreux et poétique patron du Bombay Sporting goods, trouve la mort dans une rixe avec des racketteurs qui voulaient faire payer au vieil homme la possibilité de garder le nom de Bombay – et non Mumbay – à son enseigne. Finis les rêves de voir le vieil homme se lancer dans une carrière politique ! Soupçonné d’avoir voulu voler l’enveloppe qui contenait la somme due au racket, Yezad est licencié. Cinq ans plus tard, nous retrouvons la petite famille bien changée : elle s’est installée avec Jal, dans le grand appartement qui appartient à Nariman – mort, désormais. Depuis un certain temps, Yezad s’adonne à la religion et lorsque pointe le spectre d’une mésalliance dans la famille, il est intransigeant. C’est sur une fête d’anniversaire – et non de mariage - celle des 18 ans de Murad, que se termine le roman.

 

          Inutile de rêver « voyage » ! Une simple affaire de famille n’est pas un roman sur l’Inde en général – quoique ! – mais bien plutôt une étude d’individualités liées par des relations familiales ou professionnelles. Il s’avère que l’œuvre, sur ce dernier point, est riche de diverses nuances traduisant la complexité des relations humaines. A un bout de la chaine, il y a la mesquine Coomy qui, même si elle habite avec son frère Jal dans l’appartement du vieux Nariman, n’entend pas assumer la charge de l’ancêtre grabataire. A l’autre bout de la chaine, il y a le généreux Mr Kapour qui, alors que chacun compte ses sous, entend bien honorer toutes les fêtes importantes de toutes les religions : c’est ainsi qu’il prépare Noël et qu’il distribue des bonbons aux enfants qui passent devant sa boutique. Mais Coomy comme Mr Kapour trouveront la mort, l’une à cause de son entêtement à ne pas vouloir héberger son vieux beau-père – elle est punie de cette attitude et est écrasée par le plafond de la chambre de Nariman qui s’écroule - l’autre, Mr Kapour, de manière absurde, pris au piège par des racketteurs – le généreux Mr Kapour meurt donc à cause de la corruption qui sévit dans la ville de Bombay. Entre les deux, il y a tous les autres, particulièrement Yezad qui se casse la tête pour arrondir les fins de mois et donner à sa famille une vie meilleure : acte honorable s’il en est, sauf que les options qu’il choisit pour parvenir à ses fins sont illégales et contestables. Cependant, Yezad découvre la religion et ce qui, au départ, s’avérait positif, devient négatif car notre homme tombe dans le fanatisme religieux et finit par infliger à son fils ce qu’a subi Nariman dans sa jeunesse, à savoir la ruine d’un amour pour une question de différence religieuse.

          Certes, au premier plan d’Une simple histoire de famille, il y a l’humain. Mais il y a aussi une immersion dans la ville de Bombay et ses problèmes. Là sévit la corruption. Certes, elle est liée à la pauvreté, et elle génère la violence. Elle existe autant dans les affaires privées que dans les affaires publique, ce qui est proprement scandaleux. Par exemple, Mr Kapour se voit obligé de payer un impôt parce que son enseigne porte le nom de « Bombay » donné à la ville par les anglais alors que celle-ci s’appelle désormais « Mumbay » en Indi. La question de la prise en charge des plus pauvres et des déshérités est également au cœur de l’œuvre à travers le vieillissant Nariman : désormais dépendant, il est une lourde charge pour sa famille.

          Mais même si Une simple histoire de famille est une œuvre assez noire, elle comporte aussi de la lumière. Trois générations se retrouvent sous le même toit et dans l’adversité, elles se serrent les coudes et font preuve d’amour les unes envers les autres. Par ailleurs, même si les personnages font souvent preuve de mesquinerie dans leur attitude, ils restent sympathiques, car l’auteur semble éprouver pour l’humanité une forte empathie.

          Inutile de dire qu’Une simple histoire de famille n’est pas un roman simple. Il traduit avec beaucoup de nuances la complexité des relations humaines et sociales. Inutile de dire que je compte bien découvrir toute l’œuvre de Rohinton Mistry, à commencer par son roman le plus connu : L’équilibre du monde.



21/02/2021
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