LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Ray Kluun : En plein cœur/A lire à cœur ouvert.

              C’est une certitude : le cancer est une maladie qui fait peur et qui, lorsqu’elle touche une famille, l’ébranle sérieusement. Il est cependant vrai qu’il est très difficile d’écrire un bon roman sur le sujet : on tombe facilement dans le pathos sirupeux ou les considérations du style « brèves de comptoir » tant le sujet est proche de nous tous. Alors lorsque Ray Kluun s’empare du sujet en 2007 aux éditions Presses de la cité dans son roman En plein cœur, il n’échappe pas aux affres du pathos dégoulinant et terriblement attendu… cependant, paradoxalement, c’est aussi grâce à cette émotion - certes sirupeuse mais profondément sincère - qui se dégage de l’ensemble qu’il sauve son livre de l’insignifiance.

 

              Stinj et Carmen forment un couple heureux : réussite professionnelle, une fille adorée – Luna. Et pourtant, le cancer va venir tout chambouler. Un jour, Carmen apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Dès lors, c’est la descente aux enfers : chimiothérapie épuisante, perte des cheveux, ablation du sien malade… Stinj accompagne comme il peut son épouse. Cependant, Stinj est aussi un homme qui aime s’amuser et vivre. Il n’entend pas renoncer aux sorties en boîte avec les copains, ni aux parties de drague effrénées. Et puis, l’existence est tellement triste et difficile auprès de Carmen que Stinj finit par tomber amoureux d’une jeune femme pleine de vie et de charme : Maud. C’est alors que commence le mensonge et la double vie. Stinj finit par rompre, cependant, alors que l’état de Carmen se dégrade et qu’une mort rapide est désormais inéluctable. Stinj accompagnera son épouse jusqu’à la délivrance finale, tout en ménageant son avenir : en effet, il s’est, en douce, réconcilié avec Maud.

 

              Avec En plein cœur, Ray Kluun nous offre un livre assez ambigu : à mi-chemin entre l’expression d’un désir de vivre que l’auteur voudrait revendiquer haut et fort - même s’il choque les consciences, écœurées par un tel égoïsme - et un témoignage d’amour envers une épouse atteinte d’un cancer incurable. Car en effet, l’auteur, en 2001, a perdu sa femme dans des circonstances similaires à celles relatées dans En plein cœur, et certains passages, dans le livre – notamment à la fin – sont empreints d’une charge émotive très intense liée au vécu de Ray Kluun. Pas facile de faire le grand écart entre les deux aspirations du roman !

              D’abord, bien évidemment, on n’échappe pas à la description clinique de la maladie : rendez-vous interminables dans les hôpitaux, séances de chimiothérapies, examens en tout genre, rencontres avec d’autres personnes atteintes de la maladie… etc… Le déroulement médical de l’affaire ne nous est pas épargné. Passons. Nous sommes nombreux à avoir accompagné un proche dans ce difficile et douloureux combat… Ces pages, nous les attendons, car elles nous renvoient à un vécu qui nous a forcément marqués. Chacun est juge de l’intérêt et de la qualité littéraire de telles pages du style « attention ! témoignage-douloureux-sortez-vos-mouchoirs ».

              Cependant, pour échapper à la norme liée au thème du cancer qui veut plus ou moins qu’on « soutienne-pleurniche-accompagne » le malade, Ray Kluun a tenté de prendre le contrepied de cette posture. En effet, Stinj aime faire la fête et faire l’amour ; ce n’est pas parce que sa femme est atteinte d’un cancer incurable qu’il va renoncer à la vie ! Pour intensifier le côté « hymne à la vie » de son roman, Ray Kluun adopte un ton léger et rigolard tout à fait inconvenant. Ainsi, Carmen prend-elle avec humour sa maladie et les dégradations physiques qu’elle engendre ; ainsi Stinj adopte-t-il un ton faussement décalé pour parler de la situation dans laquelle la maladie de sa femme le plonge.

          Petite plongée dans le ton du roman :

 

         « J’efface son courriel en soupirant. Encore quelqu’un qui me conseille d’aller voir un psy. Mais qu’ils arrêtent ! Je lui dirais quoi, à ce psy ? ! Que j’ai eu un accident de voiture avec 3,5 grammes d’alcool dans le sang parce que je roulais comme un débile, tout ça parce que je venais de recevoir un appel de ma femme au moment où je baisais avec une stagiaire et un ex – qui, par ailleurs, est également une très bonne amie de ma femme, docteur – après m’être engueulé avec ma maîtresse – que je continue à baiser, malgré la promesse que j’ai faite à ma femme de ne plus lui être infidèle jusqu’à sa mort ( oui, à propos, elle a un cancer et elle va bientôt mourir) ? ! »

 

          Vous l’aurez remarqué, le roman est très mal écrit : ce style « parlé » très relâché pour faire « cool » est assez insupportable. On ajoutera à la laideur de cette écriture la superficialité des personnages tous très convenus : une très courageuse femme atteinte d’un cancer (elle se bat, elle est quand même drôle, elle veut le bonheur de sa famille et tant pis pour elle), un homme qui aime sa femme mais qui aime aussi la vie (par « la vie », il faut comprendre : les boîtes de nuit, les femmes, l’alcool, les bars branchés, les copains, le foot)… les deux personnages principaux du roman ont un côté tellement stéréotypé que l’aspect soi-disant sulfureux du « mec qui trompe sa femme mourante » est totalement égalisé, raboté, édulcoré. Ah oui, j’oubliais ! La profession de Stinj ? Cadre supérieur dans la pub, bien évidemment.

          Enfin, pour faire moderne, le roman adopte une présentation particulière : des chapitres très courts, surmontés, en chapeau, de paroles de chansons contemporaines de tout style (de Bruce Springsteen aux pointer sisters en passant par Jacques Higelin). A l’intérieur, façon guide du routard, on trouve la description des bars, boîtes, restaurants à la mode à Amsterdam, ou encore la biographie de chaque personnage croisé dans le roman, qu’il soit important ou non : manière bien formelle de changer de ton au cœur même du récit. 

          Malgré ces défauts non négligeables, En plein cœur sait nous émouvoir : on sent, surtout à la fin du roman, que l’histoire racontée par Ray Kluun a été vécue de plein fouet et certains passages ont un parfum d’authentique vérité : c’est ce qui sauve le roman. Alors, si vous êtes adeptes de ces romans où pointe le vécu, si vous êtes adeptes de ces romans dits modernes au style très best-sellers, si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête avec une histoire compliquée et des personnages finement ciselés, alors, En plein cœur est pour vous : une thématique courante et actuelle, des personnages attendus, des intentions choquantes qui ne choquent personne… Voilà de quoi passer un agréable moment de lecture sans s’en prendre plein la tête !



23/05/2021
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