LECTURES VAGABONDES

                Voici le second roman de Natsuo Kirino que je lis. Si j’ai été captivée par la lecture de Out, la chose est nettement moins avérée pour Le vrai monde, paru en 2010 en France aux éditions du Seuil.

                Le roman présente quatre jeunes écolières : Toshiko, la sérieuse, Terauchi, la douée, Yuzan, la lesbienne, et Kirarin, la fille libérée - et un jeune garçon plutôt insignifiant surnommé Le lombric. Ce dernier assassine sa mère à coup de batte de base-ball. Il s’enfuit et va trouver de l’aide auprès de sa voisine, Toshiko et de ses trois amies. En effet, le jeune homme a subtilisé le téléphone portable et le vélo de Toshiko et il appelle les jeunes filles dont les numéros sont inscrits dans le répertoire. Yuzan lui offrira un vélo et un téléphone portable non volés, Kirarin rejoindra Le lombric et vivra avec lui une cavale qui se terminera mal : elle meurt dans un accident de voiture.

Quant à Terauchi, Le lombric l’appelle et lui demande d’écrire une nouvelle qui ferait de lui un héros ; la jeune fille refuse et indique à la police où le meurtrier et Kirarin se trouvent. Ainsi, se sentant coupable de l’accident de voiture qui a lieu pendant la fuite du couple, Terauchi se suicide. Toshiko, qui ouvre et ferme le roman est donc principalement celle qui a créé le lien entre Le lombric et ses amies tout en n’étant que témoin de toute l’histoire.

                Le roman se construit sur l’alternance des témoignages : chaque personnage prend à tour de rôle la parole et livre au lecteur une partie de l’histoire : la partie dans laquelle il est impliqué. Ainsi se succèdent les témoignages de Toshiko, Yuzan, Kirarin, Le Lombric, Terauchi. Ce choix de narration s’avère souvent intéressant… Je dis bien « souvent » car, en ce qui concerne Le vrai monde, ce n’est pas le cas. Yuzan, par exemple, n’est que très peu impliquée dans l’histoire ; elle intervient donc une seule fois, pour livrer son vécu de lesbienne qui peine encore à assumer sa sexualité et sa très légère intervention dans l’épopée du Lombric. On se demande à quoi sert son intervention car ce personnage n’intéresse personne et n’apporte rien à l’histoire. C’est aussi le cas de Toshiko, dont j’ai évoqué le rôle sans doute important, mais finalement très léger, dans le résumé.

                Outre l’intérêt de la présence de la voix de certains personnages dans l’économie du roman, se pose le problème de l’intérêt de l’histoire. En effet, dès le départ, nous savons que Le lombric a tué sa mère à coups de batte de base-ball et qu’il s’enfuit pour échapper à la police. Le roman ne joue donc pas la veine policière : nous ne saurons rien de l’enquête qui est menée sur l’affaire, car le roman est centré sur la cavale du Lombric qui s’effectue avec l’aide des filles. Il semble donc que l’auteure veuille privilégier la veine psychologique : pourquoi des adolescentes sans histoire décident-elles d’aider un jeune garçon capable d’assassiner sa mère dans la plus abjecte des violences ? Pourquoi un jeune garçon sans histoire assassine-t-il sa mère dans la plus abjecte des violences ? A ces questions, l’auteure apporte une réponse assez noire et cruelle, mais finalement superficielle : les adolescentes vivent dans un monde fait de solitude et de brutalité. C’est l’été et elles sont soumises au rythme intensif des cours de perfectionnement. Déjà, le monde des adultes les oppresse et brise leurs rêves. Le lombric, en assassinant sa mère, fait, à leurs yeux, œuvre de révolte contre les exigences des adultes… et voilà ce que les filles ont envie de soutenir, voilà ce qui force leur respect et leur donne envie d’aider l’assassin. Quant au lombric, on ne sait ce qui l’a motivé dans l’accomplissement de ce geste, mais ce qui est sûr, c’est que ce meurtre fait de lui un héros et cette sensation nouvelle pour lui qui n’a aucune envergure, l’enivre au point qu’il envisage de retourner tuer son père… mais il n’aura guère le temps de mettre en pratique ce projet car l’accident de voiture viendra mettre un terme à la cavale du jeune homme.

                Si le roman offre donc des portraits d’adolescents apparemment sans histoire mais qui, en réalité, se cherchent dans un monde qu’ils subissent et dont ils ne veulent pas forcément, il a pour ambition aussi de proposer une épopée dans le style de « la fureur de vivre » à la « Bonny and Clyde ». Le lombric et Kirarin sont en cavale, pensent à tuer, à braver les lois du monde, et se tuent dans un accident de voiture causé par une poursuite avec les flics. Rien de très palpitant : le scénario est éculé et Natsuo Kirino ne le renouvelle pas. Elle l’utilise sans y mettre aucune inspiration, sans y mettre aucun souffle. Très décevante et sans grand intérêt s’avère être cette histoire de cavale adolescente en pleine révolte. Il est vrai que cette dimension-là du roman, Natsuo Kirino l’a très peu travaillée. Elle en avait pourtant l’envie, aurait-on pu croire, car à un moment, la relation entre Le lombric et Kirarin semble basculer : la jeune fille a fini d’admirer le garçon qui s’énerve et décide de demander à Terauchi d’écrire une nouvelle sur lui. Mais le renversement de situation s’arrête là.

                Ainsi, si le roman Le vrai monde propose une vision noire de l’adolescence, adolescence qui offre une réponse violente, amorale et désespérée au monde proposé par les adultes, l’ensemble peine à trouver un souffle et une âme particulière. Par ailleurs, on ne coupe pas à la sensation de superficialité : on se dit qu’il y a quelque chose qui cloche, quelque chose qui manque, bref, que le roman est imparfait et inaccompli.

                 Ainsi donc, avec tout ce qu’il a de cruel, d’imparfait et d’insatisfaisant, on préfèrera les vraies histoires de faits divers qui nous échoient tous les jours dans le vrai monde à la lecture de Le vrai monde de Natsuo Kirino, un roman dont l'intérêt reste limité à tous les niveaux.