LECTURES VAGABONDES

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Pierre Lemaitre : Couleurs de l’incendie / Pas très incendiaire

   

    Aujourd’hui, je vous présente la suite d’Au revoir là-haut, le célèbre prix Goncourt 2013 traitant du marché du souvenir au lendemain de la première guerre mondiale. Il parait que Pierre Lemaitre va pondre une trilogie. En attendant le troisième tome, voici donc le second intitulé Couleurs de l’incendie, écrit par Pierre Lemaitre en 2018 et paru aux éditions Albin Michel.

 

          Nous sommes en février 1927. Marcel Péricourt, le célèbre banquier, vient de décéder et c’est l’heure de ses fastueux obsèques. Entre autres membres de la famille, il faut compter avec sa fille, Madeleine Péricourt, son frère, Charles Péricourt, accompagné de son épouse Hortense et de ses deux filles. Est présent aussi dans les rangs, Gustave Joubert, qui gère avec talent la banque Péricourt. Celui-ci aurait bien voulu épouser Madeleine qui est divorcée et a un fils, Paul. Mais il s’est heurté au refus de la jeune femme. C’est le jeune Paul qui va troubler la cérémonie d’enterrement de son grand-père : le petit garçon se jette de la fenêtre de sa chambre devant toute l’assemblée. Il est en vie, mais restera paralysé. Madeleine n’a plus le cœur à profiter de la vie : elle veut s’occuper de son fils handicapé et renvoie son précepteur qui fut aussi son amant : André Delcourt. Cependant, Joubert renouvelle sa demande en mariage auprès de Madeleine et se voit à nouveau éconduit. Par ailleurs, son oncle Charles, député, s’est vu attribuer une maigre partie du l’héritage Péricourt et, face à des gros ennuis d’argent, il s’est heurté à une fin de non-recevoir de la part de Madeleine. Les deux hommes vont s’allier pour faire leur fortune et ruiner Madeleine. Joubert lui fait acheter des actions dans le pétrole roumain, affaire qui, il le sait déjà, va capoter et laisser la faveur au pétrole irakien dans lequel il investit. Les journalistes relaient copieusement l’information selon laquelle le pétrole roumain est une excellente affaire et André Delcourt, l’ex-amant de Madeleine, devenu journaliste au Soir après que celle-ci lui a mis le pied à l’étrier, n’est pas étranger à la divulgation de cette rumeur. Bref, s’en est fait de la fortune de Madeleine qui voit sa banque passer aux mains de Joubert, ainsi que sa fastueuse demeure. Et c’est sans compter avec Léonce, sa gouvernante, qui épouse Joubert après avoir trahi sa patronne. Pour achever la pauvre Madeleine, voilà la crise de 1929 qui ruine totalement les banques familiales : la banque Péricourt disparait. Et puis, c’est la révélation de trop : Paul, dans une crise, lui avoue qu’il a été abusé par son précepteur, André Delcourt, l’ex-amant de Madeleine devenu journaliste. Voici donc Madeleine, déclassée, vivant sur le modèle de la petite bourgeoisie, habitant un modeste appartement parisien. Elle élève son petit Paul qui s’est pris de passion pour l’art lyrique et pour une chanteuse en particulier : Solange Gallinato. Il la rencontre lors d’un voyage en Italie et régulièrement, ils échangent des lettres. Mais Madeleine n’a qu’une seule envie : se venger de ceux qui ont causé sa ruine. Pour ce faire, elle va s’appuyer sur l’aide de Dupré. D’abord, elle va faire de Léonce sa complice forcée : en effet, la jeune femme est déjà mariée à un certain Robert et est forcée d’acheter le silence de Madeleine en l’aidant à ruiner son nouveau mari, Joubert. Celui-ci s’est lancé dans un mouvement nommé la Renaissance Française qui chapote son entreprise d’aéronautique ; son but, innover et proposer un moteur à réaction révolutionnaire. Mais Robert est là, au sabotage de l’entreprise de Joubert. Lorsque ce dernier est quasiment à terre, Madeleine lui assène l’estocade en allant monnayer ses plans auprès de l’Allemagne nazie. Joubert est arrêté et condamné pour haute-trahison. C’est au tour de Charles Péricourt d’essuyer les foudres de Madeleine. Celui-ci est devenu le président d’une commission destinée à lutter contre l’exil fiscal, alors qu’en tant que député, il s’est toujours opposé à l’impôt qu’il considère comme du vol légal. C’est en mettant au jour le carnet d’un banquier qui détourne de l’argent en Suisse pour le compte de clients fortunés que Madeleine confond Charles qui pourtant, n’est pas coupable : en effet, certains passages du carnet ont été maquillés par un faussaire engagé par Madeleine. Ainsi, Charles Péricourt est-il condamné pour exil fiscal ; mais sa plus grande punition, c’est d’avoir perdu son épouse Hortense au moment où les soucis l’assaillent. Reste donc à punir André Delcourt qui, malgré ses tendances pédophiles, se tient à carreaux et mène une vie d’ascète. Là encore, Madeleine va monter une combine pour se venger de lui et de ce qu’il a fait subir à son fils Paul. Le journaliste sera inculpé dans le viol et le meurtre de Mathilde Archambault, une jeune fille retrouvée morte à Raincy. Certes, de ce crime, il n’est pas responsable, mais peu importe pour Madeleine qui désormais vit tranquille auprès de son complice Dupré et de son fils, Paul, qui, après la mort de Solange Gallinato, s’est lancé dans la publicité et la confection d’un baume amaigrissant. Une arnaque qui rappelle celle d’Edouard Péricourt et d’Albert Maillard dans Au revoir là-haut.

 

          Ce second tome qui suit Au revoir là-haut, Couleurs de l’incendie, est censé raconter l’entre-deux guerre marqué par le spectre du nazisme et celui du fascisme. Pour éclairer ces menaces qui planent sur cette période, Pierre Lemaitre invente le personnage de Solange Gallinato qui chante contre le IIIème Reich son dernier récital, La crise de 29 est illustrée par la ruine de Madeleine. La montée des nationalismes est symbolisée par l’implication de Joubert dans le mouvement de la Renaissance Française, et celle de Delcourt qui va lancer un journal - le licteur - qui capote avant d’être réellement dangereux. Mais tous ces personnages ne parviennent pas à incarner véritablement ce qu’ils sont censés représenter. On ne sent pas l’ambiance glauque de cette période qui est ici, sans odeur et sans saveur.

          Dans Couleurs de l’incendie, Pierre Lemaitre reprend les mêmes ingrédients que ceux qu’il a utilisés dans Au revoir là-haut ; à savoir : une bonne dose de magouille sympathique qui met sur le devant de la scène un handicapé et toute une petite bande débrouillarde qui a des comptes à régler avec l’un ou l’autre – donc, on va surfer sur le thème de « la vengeance est un plat qui se mange froid » mettant en scène une louchée de fripouilles qui profitent du trouble de l’époque pour faire des affaires fructueuses. Sauf qu’ici, ces deux ingrédients composent une sauce ne prend pas autant que celle d’Au revoir là-haut. La raison de ce raté – même si Couleurs de l’incendie n’est pas un mauvais roman - c’est que l’œuvre propose une vision du monde vraiment trop manichéenne et que les personnages sont beaucoup plus caricaturaux. Par ailleurs, Paul, le personnage handicapé, est une pièce rapportée : il reste extérieur à la vie de celle qui se venge, à savoir, sa mère, Madeleine ; par conséquent, toutes les histoires qui mettent en scène Paul sont des annexes à l’intrigue principale.  

          Cependant, le roman met aussi en avant des personnages baroques comme Solange Gallinato. Mais à quoi sert-elle sert sinon à proposer une incursion peu convaincante au sein de l’Allemagne nazie lors d’un récital qu’elle a préparé pour infliger un camouflet à Hitler ?

          Pour terminer et conclure, j’ai passé un bon moment de lecture entre les pages de Couleurs de l’incendie. L’écriture de Pierre Lemaitre est vive et alerte ; il y a aussi beaucoup d’humour. J’attends donc le dernier tome de la trilogie inaugurée par Au revoir là-haut. Sans doute sera-t-on alors propulsé au cœur de la seconde guerre mondiale.  

 



28/01/2024
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