LECTURES VAGABONDES

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Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos : Les liaisons dangereuses ou Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres.

 

 

          Rien qu’en lisant ce titre au complet, on se dit qu’on connait mal ces fameuses liaisons dangereuses pourtant mondialement connues. D’abord, le nom de l’auteur in extenso : à Choderlos de Laclos vient s’ajouter le prénom, Pierre-Ambroise ; et puis le titre Les Liaisons dangereuses, roman épistolaire qui, pour donner un effet de réel et de vérité se renomme ainsi : Lettres recueillies dans une société et publiées pour l’instruction de quelques autres. Reste à dire de cette grande œuvre fut publiée en 1882.

 

          En effet, comme on va le voir, ces quelques 175 lettres se présentent comme relevant d’une vraie correspondances entre une poignée de personnages. Présentons-les. La marquise de Merteuil a été trompée par le comte de Gercourt qui l’a quittée pour une autre. Furieuse, elle veut se venger. Elle apprend que le comte veut épouser Cécile de Volanges ; ni une ni deux, la marquise écrit au vicomte de Valmont, un de ses anciens amants, pour qu’il séduise la jeune fille et la déshonore. Mais le vicomte a, pour l’heure, d’autres chats à fouetter. Il veut à tout prix séduire la prude Madame de Tourvel. La chose est certes, compliquée, mais nos deux correspondants adorent les défis amoureux. Cependant, Cécile de Volanges tombe amoureuse du chevalier Danceny et la marquise se plait à rapprocher les deux tourtereaux. De son côté, le vicomte de Valmont apprend que la mère de Cécile, madame de Volanges, dit du mal de lui à la présidente de Tourvel. Dès lors, il va s’employer à obtenir les faveurs de Cécile, ce qui ne tarde guère, même s’il s’est introduit dans le lit de la jeune fille par ruse. De son côté, la marquise de Merteuil s’entiche du chevalier Danceny et se charge de faire son éducation. Les choses se compliquent lorsque madame de Tourvel cède aux avances du vicomte de Valmont. Certes, l’homme semble avoir des sentiments véritables envers sa conquête, mais son orgueil démesuré et la volonté de faire bonne figure vis-à-vis de la marquise le poussent à rompre, puisqu’il est parvenu à ses fins. Bien évidemment, tout libertin qui se respecte ne doit pas s’engager dans une relation sentimentale qui le dominerait ! Mais en contrepartie de sa rupture, le vicomte demande les faveurs de la marquise, qui refuse de se donner – considérant qu’elle n’est pas la première dans le cœur du vicomte – et l’humilie en choisissant de faire passer ce blanc-bec de Danceny devant lui. Dès lors, la guerre est déclarée entre les deux correspondants autrefois amants, puis complices. Madame de Merteuil révèle au chevalier Danceny la liaison qu’entretient sa bien-aimée Cécile avec le Vicomte. Et tout s’enchaine tragiquement. Tandis que Madame de Tourvel se meurt de chagrin et devient folle après la rupture humiliante que lui a infligée le Vicomte, le Chevalier Danceny blesse mortellement Valmont dans un duel à l’épée. Mais avant de mourir, ce dernier confie au jeune homme les lettres de la marquise de Merteuil qu’il possède. Celle-ci est désormais montrée du doigt par toute l’aristocratie parisienne et part pour Amsterdam alors que la petite vérole s’est déclarée et la défigure. Cécile de Volanges entre au couvent, le Chevalier Danceny part pour Malte. C’est madame de Rosemonde qui détient désormais la correspondance de son neveu le vicomte de Valmont – Danceny lui a donné ces lettres. Elle décide de laisser l’oubli s’installer car de trop nombreuses personnes y sont compromises.

 

             Comme l’indique le titre complet de l’œuvre, Les liaisons dangereuses ont une visée morale – et peut-être quelque peu moralisatrice. Choderlos de Laclos y dresse le portrait d’une aristocratie libertine tout à fait cruelle et hypocrite qui s’oppose à une autre, prude et austère dans ses principes pétris de morale catholique. Mais finalement, les manipulateurs Merteuil-Valmont sont tous deux punis, même si, dans leur chute, ils entrainent aussi des âmes pures, ou d’autres innocentes qu’ils ont corrompues. La morale est donc sauve !

                Mais pourtant, on ne peut s’empêcher d’être fasciné par cette marquise de Merteuil qui réussit à imposer sa loi dans une société machiste aux apparences puritaines. On sait que Choderlos de Laclos était sensible à la cause féministe. Ainsi, certains propos tenus par la marquise de Merteuil dénoncent la condition des femmes au XVIIème siècle et montrent comment une femme finalement exceptionnelle a su s’en affranchir ; malheureusement dans le secret car la marquise doit préserver une réputation intacte dans sa société, ce qui n’est qu’à moitié le cas pour le vicomte.

           Par ailleurs, ce roman offre aussi un portrait complexe du libertinage de mœurs. Si l’on affiche la recherche du plaisir comme grand principe, on se rend très vite compte de l’enjeu de ces liaisons dangereuses n’est pas le sexe, mais le sentiment. Ainsi, le vicomte de Valmont, tel Dom Juan, prend plaisir à observer toutes les petites conquêtes quotidiennes qu’il remporte dans le cœur de la présidente de Tourvel, il en éprouve un plaisir sadique. Et la marquise de Merteuil éprouve ce même plaisir sadique à défaire les réputations, à marquer son pouvoir sur les autres : elle va, par exemple, saper la réputation d’un certain Prévan qui s’amuse à la critiquer ouvertement dans la société ; et quand on s’attache à la marquise, celle-ci réagit tel un serpent qui mord sa proie de manière sournoise. Mais finalement, les libertins sont avant tout des orgueilleux égoïstes assoiffés de pouvoir. Dans un siècle qui voit son déclin, le désœuvrement les pousse à se lancer à l’assaut des seules conquêtes qui leur restent pour briller : les conquêtes amoureuses qu’on peut qualifier de dérisoires et de pathétiques. 

         D’ailleurs, c’est bien cette lutte à mort entre deux orgueils monstrueux – celui de la marquise et celui du vicomte – qui va entrainer leur chute. Ainsi, le véritable enjeu de ces imbroglio de liaisons fomentées et manipulées par la marquise et le vicomte se trouve dans la complexité de la relation entre nos deux libertins : anciens amants, ils n’en ont pourtant pas fini de jouer à l’amour vache en se jetant au visage leurs exploits amoureux, en se provoquant, en se lançant des défis. Le vicomte et la marquise s’aiment-ils encore ? Sans doute à leur manière, mais jamais en se l’avouant, jamais en baissant la garde car céder s’est faire aveu de faiblesse et sur ce point, nos deux complices et rivaux sont de vrais libertins.

          On trouvera parfois longuet la multiplication des lettres redondantes. Certes, les avancées du vicomte dans le cœur et l’esprit de la présidente de Tourvel sont lentes et rapportées dans le moindre détail. Mais cette lenteur est nécessaire au roman : conquérir une prude, c’est agir comme une araignée qui tisse patiemment sa toile et qui doit s’y reprendre à plusieurs fois lorsqu’on la saccage.

          Mais globalement, Les liaisons dangereuses, c’est une œuvre fascinante, qui rend compte du libertinage propre à l’aristocratie du XVIIIème siècle, mais qui est aussi intemporelle dans l’analyse des cœurs humains et du fonctionnement amoureux. Je suis convaincue qu’il y a une part d’orgueil et d’égoïsme dans ce sentiment qu’on décrit comme si noble : l’amour. Les liaisons dangereuses viennent magnifiquement illustrer cette certitude.



18/05/2020
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