LECTURES VAGABONDES

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Françoise Chandernagor : L’allée du roi / Voix royale

          Après trois tentatives avortées, voilà que j’ai réussi à achever le roman que Françoise Chandernagor a fait paraître en 1981 aux éditions Juillard et qui s’intitule L’allée du roi, souvenirs de Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, épouse du roi de France. La raison n’en est pas l’ennui, mais la longueur conséquente de l’ouvrage (778 pages).

 

          Avec L’allée du roi, nous entrons de plain-pied dans le Grand Siècle, le XVIIème, siècle de Louis XIV, roi soleil. Après une enfance et une adolescence tumultueuses (née dans la prison de Niort d’un père (Constant d’Aubigné) aventurier et d’une mère peu aimante, a grandi en partie dans le château de Mursay auprès de sa tante protestante dans un bonheur simple et champêtre, en partie dans l’île de Guadeloupe) elle devient l’épouse de Paul

Scarron, le poète paralytique (auteur du célèbre Roman comique) qui tient un salon libertin et contestataire et donne dans la littérature satirique. Partisan des frondeurs, le salon périclite à la fin de la rébellion avant de reprendre de plus belle. Françoise Scarron s’y fait remarquer et y noue des amitiés et des amours. A noter parmi les élus du cœur de la jeune femme, le maréchal d’Albret, dont elle tombe amoureuse ou encore Ninon de Lenclos, la libertine, et Monsieur de Villarceaux, qui devient son amant. Après la mort de son époux, Françoise est invitée une première fois à Versailles pour une grande fête de plusieurs jours qui l’éblouissent. Alors, le cœur du roi Louis XIV balance entre deux belles maîtresses : Madame de La Vallière et Madame de Montespan, de plus en plus favorite. Cette dernière confie les bâtards qu’elle met au monde à Françoise Scarron dont elle devient l’amie. Cependant, le roi ne se désintéresse pas de ces enfants-là et vient les visiter régulièrement. Il rencontre forcément Françoise, leur gouvernante, et se laisse séduire par son esprit, ce qui déclenche la jalousie de Madame de Montespan, la favorite. Dès lors, cette dernière adopte un comportement agressif envers sa rivale et n’hésite pas à l’humilier publiquement.  Pour cette raison, le roi octroie à Françoise le titre de Marquise de Maintenon. Fatalement, elle devient maîtresse clandestine du roi. Alors que l’intérêt du roi à son vis-à-vis s’émousse et qu’il se tourne vers une jeune mademoiselle de Fontange, Athénaïs de Montespan trempe dans l’affaire des poisons qui serait peut-être à l’origine du décès de sa jeune rivale. Mis au courant de la duplicité de son ancienne favorite, le roi s’éloigne d’elle. A la mort de Marie-Thérèse, la reine, Louis épouse dans le secret, la veuve Scarron, Françoise de Maintenon dont l’avis, désormais, va peser sur les affaires de l’Etat. Elle place ainsi ses hommes qui ne sont pas toujours de très bons ministres. Elle tente d’adoucir le roi sur la révocation de l’édit de Nantes, en vain. Enfin, elle fonde Saint-Cyr, une institution destinée à l’éducation des enfants qui s’oriente bientôt vers le « quiétisme », ou « l’amour pur » pour Dieu, forme extrême et quelque peu intégriste de la foi. Cette position déplait aux jésuites qui tiennent pavé haut à la cour et ennuie le roi Louis qui demande à son épouse de faire le ménage à Saint-Cyr. Cependant, les positions en matière de religion de madame de Maintenon poseront encore problème lorsque celle-ci accorde son soutien à Fénelon, le janséniste. Cependant, la fin du règne du roi Soleil est bien sombre. La guerre reprend à propos de la succession d’Espagne et épuise la France. La famine gronde. Des décès successifs privent la France des descendants directs du roi Louis. Ce sera donc le neveu de Louis, le duc d’Orléans, qui assurera la régence jusqu’à la majorité de son fils, encore enfant lorsque Louis décède d’une gangrène à la jambe. Madame de Maintenon termine ses jours à Saint-Cyr, loin de la cour qu’elle ne comprend plus et qui ne l’attire plus. L’éducation des enfants a toujours été sa passion et alors qu’elle sent la mort approcher, elle écrit ses mémoires pour édifier la jeune Marie de La Tour, élève à Saint-Cyr.

 

          L’allée du roi ravira les lecteurs qui s’intéressent à l’Histoire. En effet, le roman se base sur de nombreuses sources historiques et l’auteure propose à la fin de l’ouvrage des notes qui indiquent ce qui est vrai de ce qui est fictif. Nous observons donc que L’allée du roi fait la part belle à la vérité historique. Pourtant, le lecteur n’a jamais l’impression d’avoir entre les mains un précis d’Histoire, mais bel et bien un vrai roman – ou plutôt, de vraies mémoires.

          D’abord, Françoise Chandernagor s’est appropriée la langue de l’époque, une langue toute en élégance qui fait penser, en terme de phrasé, à du Molière. Quel plaisir de se laisser bercer par ce langage tout droit venu des fins-fonds du Grand Siècle, le XVIIème siècle !

          Puis, de ces mémoires fictives, émerge le portrait d’une femme hors du commun à la vie trépidante et surprenante. Partie de rien, après avoir connu des périodes de misère, Françoise d’Aubigné, la petite fille du grand poète de la fin du XVIème siècle, la veuve de l’écrivain Paul Scarron, va accéder aux plus hautes sphères du pouvoir monarchique en épousant - rien que ça ! – le roi Louis XIV. Il est vrai que notre héroïne ne manque pas d’esprit et est doté d’un caractère énergique, fier et volontaire. Pourtant, des zones d’ombres sont aussi perceptives dans la personnalité de madame de Maintenon. Parfois, elle est influençable et manque de discernement. C’est notamment le cas lorsque la marquise devient la femme du roi et qu’elle soutient un tel ou un autre ; au final, ses choix ne sont pas toujours judicieux. Par ailleurs, en vieillissant, madame de Maintenon fait preuve d’un certain intégrisme religieux et verse même dans ce mouvement extrémiste et illuminé qu’est le quiétisme.

          Forcément, lorsqu’on est à ce point introduit à la cour de Versailles, on laisse aussi la part belle à la peinture satirique ou non des autres personnalités influentes de l’époque. En première ligne, on trouve la belle Athénaïs de Montespan, favorite du roi pendant de nombreuses années. Extravagante, colérique et lunatique, la belle mènera la vie dure à celle qu’elle a choisi comme gouvernante pour ses enfants. En première ligne, également, on trouve le roi Soleil, Louis XIV. Egocentrique, il se positionne comme le centre du monde et exige qu’on cède à toutes ses envies.

          Enfin, L’allée du roi propose une passionnante chronique du règne de Louis XIV. Si les grandes étapes de ce règne sont bien établies - de la Fronde aux grandes fêtes de Versailles, pour s’achever dans la tristesse – les petites affaires qui ont pu secouer le royaume sont aussi évoquées – par exemple, l’affaire des poisons, ou encore la révocation de l’édit de Nantes et ses conséquences.

          Ce qu’était l’esprit du Grand Siècle, ce qu’étaient les mœurs à la cour de Versailles sont bien restituées dans L’allée au roi. Entre favoritisme et disgrâce, entre courbettes et opportunisme, l’univers des courtisans à Versailles est décidément impitoyable.

          Certes, il faut de la constance pour lire intégralement cet ambitieux roman de Françoise Chandernagor, mais on ne regrette pas cette longue et mouvementée promenade dans l’allée du roi !

 



24/12/2018
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