LECTURES VAGABONDES

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Philippe Jaenada : La petite femelle/Pauline Dubuisson, une grande femme

 

 

          Avis aux amateurs de faits divers, voici un roman incontournable qui présente l’histoire de Pauline Dubuisson, la criminelle qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive au début des années 50. Avis aussi aux amateurs d’excellentes lectures : voici La petite femelle, écrit par Philippe Jaenada en 2015 et paru aux éditions Julliard.

 

          La petite Pauline Dubuisson naît entre les deux guerres dans une famille marquée par la mort et la folie pour certains de ses membres. Pendant l’occupation, elle fréquente les envahisseurs allemands du fait de son père (qui se compromet avec les boches) et de son propre fait puisqu’elle tombe amoureuse de Hans, puis du médecin Werner Domnick. A la fin de la guerre, ces liaisons considérées comme très coupables lui seront violemment reprochées et elle sera, comme tant d’autres femmes, tondue et marquée. Après cet épisode de l’occupation, la paix revient. La jeune fille entreprend des études de médecine qui la passionnent et c’est à l’université qu’elle rencontre Félix Bailly avec lequel elle entame une liaison amoureuse. Mais si le jeune homme est éperdument épris de Pauline, la réciproque n’est pas vraie ; Pauline trompe son jeune amant avec un certain Bernard Legens. Cependant, Félix rencontre Monique, dont il tombe amoureux, et rompt avec l’instable Pauline qui le rend malheureux. Cette séparation sonne comme un coup de tonnerre pour la jeune fille qui se rend compte finalement qu’elle aime Félix qui refuse de revenir en arrière. Et un jour, c’est le drame : Pauline tire sur Félix. Est-ce un accident comme le soutient Pauline lors de son procès ? Mal défendue par l‘avocat Paul Baudet, elle a contre elle les venimeux Jadin, Floriot et Lindon et écope d’une longue peine de prison qui sera allégée pour bonne conduite. Enfin libre, dans les années 60, elle refait sa vie à Essaouira mais son passé et sa mauvaise réputation la rattrapent et le dimanche 22 septembre 1963 elle se suicide.

 

          Ce roman de Philippe Jaenada est particulièrement plaisant ; même s’il traine parfois un peu en longueur, le ton est vif et les 700 pages de l’œuvre se tournent avec légèreté. Il faut dire que l’auteur s’engage totalement dans la narration et adopte un ton virulent et polémique. Souvent, il se livre à des digressions dans lesquelles il met en parallèle sa propre vie ou ses propres opinions avec celles de Pauline Dubuisson, son personnage.

          Par ailleurs, ce roman s’appuie sur des faits et des personnages bien réels et très proches de nous. L’affaire Pauline Dubuisson s’avère être un fait divers passionnant qui dépasse cette simple dimension. En effet, le procès intenté à Pauline Dubuisson fut presque totalement à charge et Philippe Jaenada souligne les préjugés manifestés à l’égard d’une jeune fille un peu trop libre pour l’époque – nous sommes au début des années 50. Au cours du procès, on reproche à Pauline Dubuisson son passé amoureux (ses liaisons avec des envahisseurs et des occupants allemands), sa légèreté à une époque où elle ne connaissait pas encore Félix Bailly. Et, jusqu’au bout, Pauline soutiendra que la mort de son ancien amant fut accidentelle, que le coup de révolver est parti tout seul, qu’avant cela, Félix – pourtant alors fiancé à Monique - a passé la nuit avec elle. Mais la justice de l’époque tient pour le crime prémédité contre un jeune homme pur tombé dans les filets d’une véritable mante religieuse.

          Avec son roman, La petite femelle, Philippe Jaenada photographie une époque, ses mœurs et sa mentalité. Pauline est une jeune fille libre et indépendante ; elle rêve de devenir médecin dans ces années 50 si proches où on demandait aux femmes de rester au foyer, de s’occuper d’un mari et d’enfants dans l’ombre et la fidélité. Pauline fait peur à tous ces hommes qui la jugent et l’envoient en prison, parce qu’elle a des amants parfois inconvenants, parce qu’elle est intelligente et menace le pouvoir masculin, elle qui n’est qu’une petite femme qui doit se taire et rester à sa place sans broncher.

          De la même manière que le procès Dreyfus fut en réalité celui de l’antisémitisme, que le procès Calas fut celui de l’intolérance catholique contre le protestantisme, le procès Pauline Dubuisson fut celui de la violence machiste contre les revendications féministes.              En tout cas, Philippe Jaenada parvient à hisser cette affaire jusqu’à cette dimension-là et à réhabiliter le mémoire de Pauline Dubuisson un peu comme Voltaire l’a fait pour Jean Calas lorsqu’il a écrit le Traité sur la tolérance.



07/02/2021
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