LECTURES VAGABONDES

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Philippe Doumenc : contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary /Et Flaubert se retourne dans sa tombe !


On connaît tous la fin funeste de la célèbre Madame Bovary de Flaubert. La jeune femme, déçue par la vie, l'amour, criblée de dettes, se suicide en ingurgitant une dose d'arsenic. Et si Emma Bovary était morte assassinée compte tenu du fait que l'arsenic n'est mortel qu'à petit feu ? C'est en partant de ce postulat que Philippe Doumenc a écrit ce roman : contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary paru aux éditions actes sud en 2007.

Le roman commence au chevet de Madame Bovary qui agonise : « assassinée, pas suicidée » confie-t-elle au professeur Larivière avant de s'éteindre. Par ailleurs, le docteur Canivet remarque d'étranges contusions sur le corps d'Emma. Aurait-on cherché à la tuer, profitant de la faiblesse provoquée par l'absorption d'arsenic ? L'enquête est confiée à l'inspecteur Delevoye assisté du jeune Rémi. Tous les deux se rendent à Yonville et rencontrent les personnages de Flaubert pour les interroger. Parmi les principaux, je cite : Rodolphe, Léon – les deux ex-amants de Madame Bovary – Charles – son mari - le pharmacien Homais. Les soupçons se portent successivement sur chacun d'entre eux, surtout sur Homais et sur Charles qui s'auto-accusent du meurtre ! Finalement, le hasard emmène Rémi sur une trace plus sioux ! A l'occasion d'une brève liaison avec la fille Homais, notre jeune inspecteur découvre que chez Rodolphe se déroulent des parties fines auxquelles auraient participé Madame Bovary et… le professeur Larivière ! Et donc, le professeur Larivière aurait assassiné Emma pour couvrir toutes ces activités très privées.

Que dire de cette contre-enquête sinon qu'elle va à l'encontre de toute l'œuvre de Flaubert… et que, pour tous ceux qui ne connaîtraient pas Flaubert, elle n'offre que très peu d'intérêt ?  Il est vrai qu'on attend au minimum d'un roman policier qu'il accroche le lecteur à un certain suspense. Qui est donc le criminel ?

Pour tous les aficionados de Madame Bovary, je dois dire que le début du livre est tout à fait plaisant. On reprend contact avec Yonville et sa médiocrité. Homais, sa femme, Charles… petite bourgeoisie provinciale étriquée et ennui démesuré sont au rendez-vous dans les premières pages du roman. Cependant, très vite, on se lasse de cette enquête poussive qui fait du sur-place, car pendant presque la moitié sur roman, Philippe Doumenc remet en place les personnages et l'histoire tels que Flaubert les a laissés à la fin de Madame Bovary. Précaution inutile : ceux qui liront ce livre sont forcément des gens qui aiment ou au moins connaissent le roman de Flaubert. Installation de l'ensemble laborieuse, donc, dans laquelle, si l'on retrouve les personnages de Flaubert, on cherche encore l'atmosphère générale de Madame Bovary… conférée par l'écriture et l'ironie dudit écrivain ci-dessus cité. Dans contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary, on est dans la platitude scripturale totale, chose pardonnable : tout le monde n'est pas Flaubert ! Tout le monde ne travaille pas l'écriture avec l'acharnement qu'il y mettait !

Le second tiers de l'œuvre est consacré au début de l'enquête : rien que des fausses pistes ! Homais aurait eu une liaison avec la belle Emma, voilà pourquoi il s'auto-accuserait de son meurtre ! Charles en avait assez d'être cocu, voilà pourquoi il s'auto-accuse du meurtre de sa femme. Tous ces mobiles sont un peu légers pour justifier d'un assassinat… Voilà pourquoi, d'un seul coup, sans crier gare, par le plus grand des hasards, l'enquêteur Rémi va découvrir le pot aux roses ! Alors là, on part dans le grand n'importe quoi !

En effet, à partir de là, on se retrouve dans un univers méconnaissable par rapport au roman de Flaubert : notables en goguette, à l'affut de parties fines. Je sais bien qu'avec l'affaire DSK, on nage en pleine actualité ! M'enfin ! De là à faire d'Emma Bovary une prostituée, il y a large ! Et surtout, total contresens par rapport au personnage Flaubertien. Emma, jeune romantique déçue par la vie, l'amour, les hommes, qui vole de rêve en rêve sans jamais en réaliser aucun ! Une prostituée ! ? Non, impossible. Emma est trop sentimentale, trop rêveuse pour ça ! Elle n'aura connu que deux amants, amants qu'elle a choisis : elle tombe amoureuse d'eux ; ils correspondent à ses rêves, en surface.

Par ailleurs, introduire ainsi un personnage coupable totalement hors du coup au départ me semble être une ficelle grosse comme une baleine. Le professeur Larivière ! Qui c'est celui-là, d'abord ?

Je n'ai pas adhéré non plus au grand bluff idiot de Doumenc qui part du postulat selon lequel Flaubert aurait voulu raconter la vie d'une certaine Delphine Delamarre sans finalement respecter le profil de cette personne. Depuis quand le roman Madame Bovary est-il une biographie de Mme Delamarre, obscure normande qui, par ailleurs, se suicide (et ne meurt donc pas assassinée) ? A ce que je sache, Madame Bovary est un roman et non une biographie. Flaubert s'est simplement inspiré de cette femme, c'est tout. Et de loin, de très loin ! Il a mis, dans Emma, bien plus de lui-même que de la supposée Delphine. Par ailleurs, l'univers qu'il a composé autour d'elle est totalement fictif et romanesque et Doumenc fait ce grand-écart débilitant entre la critique finale des intentions biographiques de Flaubert et la reprise totale de ses personnages fictifs. Enfin bref !

Inutile d'aller au-delà. Entre enquête poussive et contresens total par rapport à Flaubert, on est dans l'absence d'inspiration et dans l'usurpation de talent… autant de raisons pour passer son chemin face à ce roman-renégat.



27/04/2012
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