LECTURES VAGABONDES

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Alexandre Jardin : Des gens très bien/Pas bien du tout !

 

                Voici un écrivain (Alexandre Jardin) plutôt connu pour ses romans à la guimauve, angéliques et quelque peu cucul-la-praline. On se souvient tous du sirupeux Fanfan, appréhendé sinon en mode lecture, connu du moins par le film qui en a été tiré avec Sophie Marceau dans le rôle principal. Et bien, voici qu’Alexandre Jardin change de registre et verse désormais dans l’écriture sombre et autobiographique avec Des gens très bien paru en 2010 aux éditions Grasset.

               Difficile de résumer ce qui n’est pas vraiment un roman mais plutôt une confession personnelle sur la famille dont est issu Alexandre Jardin qui qualifie lui-même Des gens très bien de « carnet de bord de ma lente lucidité ». Retour donc sur un grand-père – Jean Jardin – qui fut directeur de cabinet de Pierre Laval et une figure éminente du régime de Vichy. Pendant toute son enfance et bien au-delà, Alexandre Jardin a vécu dans l’idée que sa famille était composée de gens très bien qui ont fait le bien de la France et vécu selon une morale très bien. Loin de tout soupçon. Cette idée est d’autant plus renforcée que le père, Pascal Jardin – surnommé Le Zubial – a écrit, dans les années 70 Le Nain Jaune - une biographie de l’émérite Jean Jardin – qui a connu un succès retentissant. Mais peu à peu, Alexandre Jardin ouvre les yeux : il est  impossible que son grand-père n’ait jamais eu vent du destin vers lequel s’acheminaient les milliers de juifs déportés vers l’est. Cette certitude est d’autant plus traumatisante que la signature de Jean Jardin est apposée sur des décrets antisémites et autres papiers autorisant la persécution des juifs (notamment ceux qui sont à l’origine de la rafle du Vel d’Hiv). Depuis cette révélation, Alexandre Jardin vit dans l’idée qu’il doit expier la faute familiale ou la racheter : il explique qu’il a vécu toute sa vie en fonction de cette tache… jusqu’à ce livre rédempteur qui fait la lumière – selon Alexandre Jardin – sur ce que fut Jean Jardin dit le Nain Jaune. 

             Je dois dire que je ne suis pas une grande amatrice d’Alexandre Jardin qui m’a insupportée lorsque j’ai eu entre les mains le sirupeux Fanfan.  Ses films ? Ils sont du même acabit. Cependant, j’ai voulu lire Des gens très bien parce que le sujet m’intéressait, à priori, et parce que ce livre est totalement différent de ce qu’Alexandre Jardin propose habituellement. Résultat ? Pas terrible. Pourtant, sans doute est-on face à une œuvre plus originale, plus personnelle et moins idiote que celles qui précèdent.

            Peut-être bien que ce livre aurait dû voir le jour un peu plus tôt ? Car qui s’émeut encore de savoir qu’il y a plus de soixante ans, il y avait un collabo haut placé dans la famille Jardin ? L’agitation liée à la traque des nazis impunis menée par Serge Klarsfeld est retombée, tous les intervenants directs du régime de Vichy sont morts (ou presque). Je ne dis pas qu’il faut oublier cette affaire-là, mais l’intensité émotive qui lui est reliée est morte avec Papon, Touvier et les autres. Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi un petit-fils devrait se sentir coupable des actes d’un grand-père « qui s’est toujours senti bien dans ses baskets » et de l’aveuglement d’un père « qui s’est toujours bien senti dans ses baskets ». C’est comme si, à la fin, quelqu’un dans cette famille devait enfin racheter la faute morale commise par un de ses membres en faisant de toute sa vie un acte de repentance expiatoire ; en l’occurrence, puisque personne ne s’est jamais dévoué, le brave Alexandre va donc le faire. Le culte du martyre et la mégalomanie incarnée dans un seul homme, j’ai nommé : « Jésus Jardin » ! … Ceci dit, comme tout le monde s’en fiche, aucune retombée réellement négative n’est à craindre du côté de la carrière de notre cher Alexandre dont plus personne ne parle plus beaucoup. Des gens très bien ou comment tenter un retour sur scène en pratiquant un family-bashing plutôt à la mode, ces temps-ci. Cependant, on dit bien qu’ « on choisit ses amis, mais pas sa famille » alors pourquoi cette auto-flagellation exagérée pour un passé dont on n’est pas responsable ? Ben, pour rien… sauf pour faire le buzz… ou essayer de le faire… quand le temps du succès est désormais loin derrière !  

               Je dois dire aussi qu’on a du mal à se passionner pour cette longue auto-lamentation de 300 pages (c’est écrit en gros caractères pour les lecteurs qui auraient connu le régime de Vichy : grâce à eux !), d’autant plus que le verbe « jardinesque » est ici quelque peu ampoulé et assommant au point qu’il finit par respirer la posture et le manque de sincérité ; je cite au hasard :

           « Rien chez nous ne fut jamais raconté sans enjolivement ni boursouflure délicieuse. Du crapoteux, il fallait tirer une farce ornée de pittoresque. Sans jamais oublier d’ennoblir à souhait les épisodes canailles. L’exactitude nous paraissait une indéniable faute de goût, voire le début d’une forme de mensonge. A la vérité, baisser notre degré d’affabulation nous aurait infligé d’amères conclusions. »

               Reste quelques pages informatives sur l’ambiance à Vichy dans les années 40, sur tous ceux qui ont collaboré, de près ou de loin, avec le pouvoir en place à l’époque : certains noms sont surprenants (exemple : Jean Giraudoux). Autant dire que l’intérêt de ce livre est de balancer un certain nombre de noms de personnes qui ne réclameront plus rien car elles sont mortes. On comprend aussi que finalement, aussitôt après la honte, on préfère ne pas parler : on se tient les coudes parce qu’on a tous un parent impliqué dans la collaboration étroite chez « les gens très bien », un parent vivant, un parent qui reste bien placé, (car c’est qu’Alexandre Jardin en a connu « des gens bien » comme François Mitterrand, par exemple, qui en prend ici pour son grade) et qui peu « mouiller » un tas d’autres personnes, elles aussi « très bien ». Bref, le temps de la remise en cause n’est possible que lorsqu’il n’a plus vraiment lieu d’être. C’est un peu la leçon qu’on peut tirer de ce livre inutile, inutile en tout cas aujourd’hui : il est trop tard pour faire le procès de Jean Jardin, décédé en 1976,  et on ne voit pas pourquoi on mettrait, à sa place, dans le box des accusés, son petit-fils Alexandre Jardin qui fait, par ailleurs, tout ce qu’il peut pour condamner l’antisémitisme (au point de considérer parfois les juifs avec un excès d’angélisme) et pour démocratiser la lecture chez les enfants qui ont des difficultés dans ce domaine. Donc, c’est un « gens très bien », notre Alexandre !   

               Il est vrai que lorsqu’on écrit un livre destiné à la publication, on devrait se poser la question du « qui est-ce que ça va intéresser ? Est-ce que c’est utile ? » Si la réponse est : « Moi-même, Alexandre Jardin et personne d’autre », alors mieux vaut peut-être s’abstenir !



19/12/2014
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