LECTURES VAGABONDES

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Adam Thirlwell : Politique / politiquement indigeste et indigent !


                A l’heure de la sortie tonitruante du roman porno pour ménagères de plus de 40 ans - j’ai nommé le fameux Fifty Shades of Grey de E.L. James, - je vous propose de découvrir le roman porno pour intellos, certainement aussi ennuyeux et profondément nul que son susdit alter ego populaire : je nomme donc Politique écrit par Adam  Thirlwell en 2003 et publié en 2004 en France aux éditions de l’Olivier/Le Seuil.

                Nana vit depuis quelques mois avec Moshe, un acteur de théâtre. Un jour, elle fait la connaissance d’Anjali - une lesbienne, actrice de théâtre, collègue de Moshe – et se lance dans une liaison avec elle. Très vite, le couple devient trio : Moshe, Anjali et Nana baisent ensemble et vivent plus ou moins ensemble. Cependant, le père de Nana tombe malade et la jeune femme décide de rompre avec Moshe et Anjali pour s’occuper de ce dernier qui ne se résout pas au sacrifice de sa fille et l’incite à reprendre la vie commune avec Moshe.

                « Bizarre, bizarre » êtes-vous en train de vous dire, « ce scénar tordu » ! L’histoire ne vous branche pas vraiment ? Ce résumé ne vous donne guère envie d’aller plus loin dans l’exploration de cet ovni romanesque glauque et gluant ? Fichtre ! Si tel est le cas, alors, je ne regrette pas les quelques heures perdues à me taper cet opus en tout point navrant !

                Je dois dire que j’ai été terriblement tentée par la quatrième de couverture et sa bien trompeuse annonce : Milan Kundera comme sujet du roman. Il suffit de consulter un peu les coups de cœur de ce blog pour s’apercevoir que l’écrivain  tchèque ne m’est pas vraiment antipathique : je dirais même que je le tiens pour l’un des plus grands auteurs de tous les siècles et de tous les pays. Alors, si on m’invite à revisiter d’une manière ou d’une autre l’œuvre ou l’écriture d’un de mes écrivains préférés – sinon mon préféré – je plonge ! Mais si sur ce coup, on me déçoit, attention au retour de bâton !

                Politique parodie – ou tente d’imiter, je ne sais pas trop – le style, la démarche intellectuelle, les sujets littéraires de Kundera. Seulement, si Adam Thirlwell prétend se frotter au maître sur tous ces points, il est malheureusement bien incapable de se hausser ne serait-ce qu’à la cheville de son mentor.

D’abord, le roman se targue de n’avoir pas vraiment de sujet ou plutôt d’en avoir plusieurs : un père et sa fille, un trio amoureux, Londres aujourd’hui, et d’autres sujets tous azimuts qui devraient venir éclairer les diverses situations vécues par les personnages. Car c’est bien ainsi que procède Kundera : à l’histoire de ses personnages s’entremêlent des considérations philosophiques, morales, historiques, et finalement le lecteur se retrouve face à un prisme lumineux où transparaissent toutes les ambigüités des êtres humains, de leurs motivations. Souvent contradictoires, pathétiques, cruels et innocents, médiocres mais profondément mégalos, parfois sublimes et dérisoires à la fois, les personnages de Kundera forment une saisissante et fascinante comédie humaine dont, il est vrai, on ne sort pas indemne. Avec Politique, nous nous retrouvons face à un improbable trio amoureux uniquement préoccupé par le sexe… aussi - âmes sensibles s’abstenir - n’avons-nous, dans ce roman que des scènes de cul qui se veulent hardcore.

                Alors, je ne dis pas que le sujet n’est pas intéressant… Il serait hypocrite de dire, à l’heure d’internet : «je n’ai jamais regardé un film porno, jamais surfé sur un site coquin ». Mais, pour ma part, je suis incapable de rester plus de sept minutes devant des trucs et des machins qui s’emboîtent sans état d’âme : je finis par m’ennuyer et je zappe. Si seulement j’avais pu faire la même chose pour Politique ! Fichtre ! Entre les scènes de sexe anal et de bondage, celles d’ondinisme, ou encore celles de fist-fucking, on a le choix… sauf celui d’être réellement interpelé, remué, pénétré (ouh là là !). Les scènes de sexe laissent la part belle aux descriptions anatomiques qui n’ont aucun intérêt sauf celui de vouloir faire trash, mais qui ne font rien vu qu’on s’en fout, des séances fist-fucking entre filles ou autres. Le pire ? A la manière de Kundera, Adam Thirlwell se lance dans des considérations psychologiques, philosophiques qui, pour le coup n’ouvrent sur rien, n’aboutissent à rien d’autre pour le lecteur qu’à un profond ennui. Exemple :

« Quant à Moshe, Moshe l’adulte ne se sentait pas coupable. Il était juste au dessus. Il tirait du vagin de Nana des bruits de rot et de succion tandis qu’il changeait, en pro, son angle d’attaque. (…) Toutefois, la position préférée de Moshe n’était pas, ce matin-là, le truc préféré de Nana. Ce matin n’était pas un matin, pensait Nana, pour des acrobaties si prosaïques. Non. Elle se sentait altruiste et pleine de remords ».

Vous en avez déjà assez ? Et encore ! Je vous passe les passages où Thirwell tente péniblement, à la manière de Kundera de rapprocher les comportements sexuels de ses personnages avec des écrivains, des personnages politiques, des événements historiques, afin d’éclairer les uns par les autres et vice-versa ! C’est tellement laborieux, tellement tiré par les cheveux, ça tombe tellement à plat que c’est vraiment une honte de se réclamer de Kundera pour le coup !

Et je passe aussi sur les phrases qui ne veulent rien dire… Mais sous prétexte de philosophie, on peut dire n’importe quoi, n’est-ce pas ? Du moment que ça provoque l’intellect du lecteur ! Ainsi :

« Moshe se réveillait de sa marque personnelle de sommeil fatigant et restait allongé là ».

Ouille ! Qu’est-ce donc que ce foutu galimatias ! Pire que du Merleau-Ponty ; je rends mon tablier de philosophe et j’avoue : je ne comprends pas cette phrase. Mais je crois qu’elle n’offre que très peu d’intérêt : ainsi, mon intellect s’en remettra.

A l’ennui de toutes ses scènes de sexe glacées s’ajoute l’énervement de la femme que je suis. Si seulement, au moins, Adam Thirlwell semblait inspiré par la sexualité quelque peu débridée de ses personnages ! Si seulement écrire des histoires de bites « bordeaux » et de chattes « dégoulinantes de mucus » semblait l’émoustiller, si seulement il nous livrait quelque chose d’intime, de personnel, un fantasme ! Mais non. Du porno réchauffé, du déjà vu, déjà filmé par les génialissimes cinéastes de Wendy, Infirmières très spéciales et autres « turlutteries ». Inutile de dire à quel point, comme dans toute œuvre pornographique qui se respecte, la femme est dégradée, salie et « salope », dans Politique. C’est Nana qui a toutes les idées baroques de se faire fister, de pisser devant Moshe, de se faire sodomiser, et même, alors qu’elle a une infection vaginale bien vacharde, de s’enfiler le suppositoire devant Moshe. Tandis que Moshe, bien évidemment, est très sage et ne fait qu’obéir pour satisfaire sa compagne vraiment très goulue. Ce n’est qu’un pauvre petit mâle perverti par une vilaine coquine qui en demande toujours plus et qu’il se doit de satisfaire, virilité oblige ! Ai-je à peu près bien résumé l’esprit global de tout film porno qui se respecte et par conséquent, celui de Politique ?

Et puis, terminons là ! Le trio Moshe, Anjali, Nana est bien improbable et malgré toutes les tergiversations psychologiques de Thirlwell, on n’y croit pas ! Anjali, homosexuelle, couche avec Moshe, un homme, pour faire plaisir à Nana ! Moshe couche avec sa collègue, Anjali, alors qu’il sait qu’elle est homosexuelle et qu’elle ne l’aime pas, ne le désire pas ! Quant à Nana, hétérosexuelle, elle va se faire sucer le bonbon et même se faire fister par une femme ! Je sais bien qu’il y a parfois des ambigüités qu’on nomme bisexualité, mais pour le coup, ça fait beaucoup d’ambigüités à conjuguer pour que l’ensemble tienne debout. Surtout que pour corser le tout, Thirlwell ne cesse d’affirmer qu’aucun de ses personnages n’aime vraiment le sexe.

                Allons donc, inutile d’aller au-delà. Politique est vraiment un roman sans intérêt… Pas même pour la pornographie, vraiment pas ragoutante dans le livre : entre le muguet de Nana, le fist-fucking où Anjali sent les bouts de merde entre ses doigts, et Moshe qui sniffe le papier hygiénique utilisé après défécation… il y a de quoi avoir envie de devenir bonne sœur et ne plus jamais entendre parler de sexualité. Quant à Milan Kundera, on peut dire que Thirlwell n’en offre qu’une ridicule et pesante grimace.

                N’est-ce pas Milan Kundera qui dans l’insoutenable légèreté de l’être, réfléchissait au degré d’engagement amoureux qu’il y avait dans l’acte sexuel ? Finalement bien moins, parfois, concluait-il, que dans l’acte de dormir ensemble : car dormir avec quelqu’un, c’est lui offrir l’abandon total, l’inconscience de soi, et sa totale fragilité et vulnérabilité. J’ai toujours trouvé cette page troublante tant il est vrai que je trouve éminemment érotique le fait de regarder dormir un homme que j’aime. Alors, les histoires de cul nauséabondes de Thirlwell, vraiment, très peu pour moi.



29/12/2012
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