Laurie Colwin : Frank et Billy / raté et raté…
Voici un roman savamment raté que Frank et Billy, écrit dans les années 80 par Laurie Colwin et paru aux éditions autrement littératures en 1999. Il faut dire que j'ai pris ce roman à la bibliothèque à la va-vite, en pensant qu'il s'agirait là d'une histoire d'amour homosexuelle… Enfin, une ! Mais non ! Frank et Billy est une histoire hétéro, tout ce qu'il y a de plus hétéro… et ratée en plus ! Fichtre !
Frank (Francis) est amoureux de Billy (Joséphine). Il entretient avec elle une relation adultère. Nos héros sont mariés, chacun de leur côté et leurs deux couples respectifs, sans être folichons, marchent plutôt bien… Aucun des deux ne se voit quitter son conjoint… Ainsi, ils décident de se séparer, car leur amour n'a aucun avenir. Sur ce, Billy assiste au mariage de sa meilleure amie, puis met au monde un enfant, puis revoit Frank par hasard, pour une rencontre insipide, alors qu'elle est désormais mère.
Voici, je crois, un résumé honnête de cette œuvre. Je dois dire que j'ai aimé quand même le début… la narration de la rencontre, puis des premiers moments de l'amour entre les deux personnages… par Frank dans le premier chapitre… la même chose, mais vue du point de vue d'un narrateur omniscient dans le deuxième chapitre… Ainsi, me suis-je dit, le roman n'est que la réécriture des mêmes choses abordées sur des points de vue différents, ce qui permet de les enrichir. Car déjà, j'avais quand même tiqué sur la superficialité du début que le deuxième chapitre permettait d'approfondir. Point ! Passés les deux premiers chapitres, c'est affligeant ! Pourquoi ?
Et bien d'abord, parlons de la construction de l'œuvre. Le début est centré sur les amours adultères de Frank et Billy : nous sommes plongés au cœur de leurs petites manies : elle n'aime pas faire la cuisine, s'habille de manière négligée ; il est méticuleux et ordonné… Pourtant, ils s'aiment et ne peuvent pas se passer l'un de l'autre. Et puis, un jour, Billy décide de rompre car elle est perturbée par le fait de tromper son mari qu'elle aime aussi. La fin n'est plus guère centrée sur Frank qui disparait du roman pour resurgir furtivement à la fin. Alors pourquoi avoir intitulé ce roman Frank et Billy si l'histoire, après avoir été axée exclusivement sur eux, les quitte aux 2/3 du roman ? Et pourquoi les quitte-t-elle ? Pour une insipide histoire de mariage et d'accouchement qui ne prolonge en aucun cas celle du couple. On se demande bien, par conséquent, à quoi rime ce dernier tiers du livre. Par ailleurs, l'écriture est d'une platitude que seul Douglas Kennedy parvient à égaler… On est dans la narration de la banalité écrite dans un style cul-cul la praline… A la limite du supportable, en ce qui me concerne.
« - Maintenant, Billy, expliqua Jordan Bell, vous allez sentir quelque chose de froid sur le ventre. Je vous badigeonne de bétadine. C'est bon, on y va.
Billy perçut comme de petits coups sourds. Elle entendit un gargouillis. Puis elle sentit qu'on extrayait son bébé du fond de ses entrailles. Elle tourna la tête vers Grey. La buée ne recouvrait plus ses lunettes et ses yeux étaient ronds comme des pièces de vingt-cinq cents. Un cri perçant troua le silence.
- Voici votre bébé, dit Jordan Bell. C'est un beau et vigoureux garçon. »
Je passe sur l'évocation de tous les produits placés dans la perfusion et censés dédramatiser l'accouchement. Quel ennui et quelle fadeur ! Je préfère encore écouter ma sœur me raconter ses aventures à la maternité. Au moins, elle passe sur les détails techniques. La fin du roman n'a donc aucun intérêt ; elle est, par ailleurs, complètement déconnectée du sujet de départ.
Mais le pire, dans ce roman, c'est le traitement réservé au sentiment amoureux. On reste sur le plancher des vaches, et si je déteste les romans à l'eau de rose, je déteste aussi ceux qui se veulent traduire la réalité dans sa plus plate expression. Car quand on parle d'amour, il y a un juste ton à trouver… Fi de la mièvrerie, fi aussi des histoires « plan-plan »… L'amour évoqué avec justesse, c'est autre chose. Je n'ai absolument pas adhéré à l'histoire vécue par Billy et Frank. Laurie Colwin écrit qu'ils ne peuvent se passer l'un de l'autre, que leurs pensées sont envahies par l'autre. Lorsqu'on est amoureux à ce point, on ne rompt pas aussi facilement. La période de sevrage qui suit automatiquement la séparation n'est même pas évoquée… Bref, c'est une histoire amputée et sans aucune âme qui nous est donnée à lire.
Je comprends qu'on puisse aimer deux personnes en même temps de manière différente : être attaché à un conjoint sur qui on peut compter et totalement subjugué par une autre personne. Cependant, au bout du compte, cette situation me semble devoir être passagère : un choix s'effectue, à un moment donné car on ne peut éternellement mentir et se mentir. Le choix effectué par Frank et Billy est donc celui de la sécurité ; chacun choisit son conjoint, lors même qu'aucun réel obstacle ne se pose à leur amour : elle n'a pas d'enfant, il a de grands enfants qui vivent déjà leur vie loin du giron familial. Le seul obstacle, c'est eux : ils savent qu'ils sont incompatibles et que dans le quotidien, le couple Frank et Billy ne survivrait pas. Elle est trop négligée, ne sait pas cuisiner, etc… fichtre ! Il me semble que lorsqu'on est amoureux de quelqu'un, ces détails ne comptent pas : bien plus, j'ai envie de dire que les défauts de la personne aimée sont des choses qui attendrissent, dont on se sait même plus se passer tant ils nous séduisent… par ailleurs, il n'est pas dit qu'à la longue, ce soient ces défauts-là qui mettent à mal la vie de couple. Bref, je ne comprends pas l'amour vu par Laurie Colwin : une relation dite aussi intense ne peut déboucher que sur le désir de vivre ensemble… Or, j'ai bien envie de parler ici d'un roman « remède contre l'amour ».
C'est bien dommage en vérité, car l'amour, c'est quand même le sentiment le plus intense et le plus magique qui existe. Il nous transforme et nous transporte… On peut s'en moquer, en avoir peur, le sublimer… mais pas l'écrire comme Laurie Colwin de manière rationnelle et démonstrative… Ou alors, peut-être venons-nous toutes deux de planètes différentes.
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