Philippe Claudel : Quelques-uns des cent regrets / à lire sans regret…
Souvent, un écrivain s’améliore avec le temps… C’est toujours avec une certaine angoisse que je lis les premières œuvres d’un auteur que j’apprécie car je suis alors face à une jeune plume qui risque de me décevoir. Ce n’est guère le cas de Philippe Claudel qui, dès le début de sa carrière, trouve une écriture et un univers particuliers qui ne le quitteront plus. Voici donc le second roman de Philippe Claudel : quelques-uns des cent regrets, paru aux éditions Balland en 2000.
Le narrateur arrive dans une petite ville triste de l’est de la France, pluvieuse et inondée. Il ne se rend pas en ce lieu pour des motifs très gais puisqu’il s’agit pour lui d’enterrer sa mère. Il prend une chambre d’hôtel chez Joseph Sanglard et part à la reconquête de son enfance à travers les souvenirs qui lui reviennent et qui sont liés à la ville. Le roman se propose donc d’explorer quelques jours du deuil du narrateur : le temps pour lui d’arriver et de repartir de la ville où doivent avoir lieu les obsèques de sa mère.
Avec quelques-uns des cent regrets, nous pénétrons dans un univers d’une infinie tristesse. D’abord, il y a la ville : inondée et boueuse, elle est sombre et désespérante. Ensuite, il y a les hommes et les femmes qui y habitent et le roman est l’occasion pour Claudel d’esquisser une galerie de portraits : des gens simples et frustres, dans l’ensemble, des gens que la vie n’a pas épargnée. Joseph Sanglard, toujours prêt à boire un coup, le père Franche, un alcoolique qui bat sa femme, Oreste Didione, « premier tueur aux abattoirs de la ville »…. D’autres encore. Ces personnages surgissent dans le présent ou directement de l’enfance du narrateur. Cet univers qui fait office de toile de fond est donc très sombre : c’est un univers caractéristique des œuvres de Philippe Claudel.
L’intrigue, quant à elle, est très simple : il s’agit des retrouvailles du narrateur avec une mère défunte qu’il n’a pas vue depuis des années, et avec une enfance plutôt triste. Le narrateur, en effet, n’a pas de père. Il est venu au monde « dans un ventre de seize ans » et pendant longtemps, on lui a fait croire que son père était un aviateur mort en héros… jusqu’au jour où la légende s’est brisée. Ce jour-là, le narrateur a rompu avec sa mère. Il a voulu savoir et s’est retrouvé face au mutisme de son entourage… et aujourd’hui, alors que s’achève un pan de sa vie, il va savoir : dans la chambre de la défunte, il y a une enveloppe cachetée. Se décidera-t-il à l’ouvrir quitte à découvrir qu’il est le fils d’un des poivrots de la ville ?
Enfin, tristes sont également les funérailles de la mère du narrateur : il n’y a, à son enterrement, quasiment personne. Quelques vieux pour lesquels il s’agit d’une distraction. A travers les funérailles de cette femme, on imagine la tristesse et la solitude d’une vie menée intégralement dans cet univers sordide.
Et puis, il y a le très beau titre de l’œuvre : quelques-uns des cent regrets qui s’éclaire à la dernière page de l’œuvre ; Joseph raconte au narrateur une très belle légende dont j’ai envie de laisser une trace ici.
« Tu sais Jos, qu’il me disait, les coquillages, quand ils se blessent dans la mer, pour calmer leur blessure et la guérir, ils font de belles perles tout autour, des perles toutes moirées, de vrais trésors qui possèdent le souvenir, la mémoire de la blessure… eh bien nous autres les hommes, quand on se blesse, ou qu’on blesse quelqu’un, nos perles à nous, ce sont les regrets, on se fabrique de beaux regrets, et dans une vie, qu’on soit prince, cordonnier ou sénateur, nos regrets sont écrits sur un grand livre, un superbe livre avec beaucoup d’or et d’enluminures, le livre de dettes qu’il s’appelle, ils sont écrits et comptés, et chaque fois qu’un regret est écrit, on pleure, on souffre en pensant à lui, mais ça nous donne la force d’aller vers le suivant, et ainsi se passe la vie, mon petit Jos… »
Philippe Claudel dédicace son roman à ceux et celles que l’on blesse. Vous sentez-vous concerné ? Sans doute ce roman trouve-t-il ici pour moi, un écho particulier, à l’heure où j’achève d’ajouter un regret et une blessure à mon collier : mais ceci est une autre histoire que je ne raconterai pas ici.
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