Philip Roth : Portnoy et son complexe… du complexe et du chaud ! Chaud ! Très chaud !
Chaud ! Chaud ! Et corsé aussi que ce roman : Portnoy et son complexe écrit par Philip Roth à la fin des années 60 et paru chez Gallimard en 1973. Là toutefois s'arrête l'allusion à ce très bel été que je passe en Corse… je ne voudrais pas confondre deux choses assez incomparables… Quoique ! Voilà deux jours, j'étais prise dans l'évacuation de la vallée de la Gravone alors en proie aux flammes de l'incendie qui a ravagé la plaine de Péri, dans l'arrière-pays d'Ajaccio. Mais laissons-là les malheureuses histoires de feu en Corse pour se pencher sur celles, bien plus drolatiques, d'Alexander Portnoy, un héros tout feu tout flamme !
C'est dans le quartier israélite de Newark, à l'aube des années 40, que débute la vie du jeune Alex, élevé par des parents très stricts sur le plan des principes de la tradition juive américaine. Elève brillant et soucieux de satisfaire tout le monde, Alexander Portnoy commence à se révolter contre sa famille et sa religion au moment de l'adolescence. En effet, brimé par les tabous et les interdits, notre héros, dans le secret, développe toutes sortes d'obsessions sexuelles. Vers 13 ans, il découvre les joies de la masturbation et s'y adonne… 4 à 6 fois par jour – fichtre - en variant les lieux et les sujets d'excitation : tantôt il jouit dans le soutien-gorge de sa sœur Hannah, tantôt dans un morceau de foie cru, tantôt dans la salle de bain, tantôt dans un autobus… tout est à peu près bon et susceptible d'envoyer notre héros au septième ciel en moins de deux minutes. Plus tard, Portnoy découvrira les attraits du sexe avec les femmes et ne manquera pas de le pratiquer, là encore, en divers lieux, avec diverses partenaires, suivant diverses pratiques toutes plus libres les unes que les autres. Cependant, par devant, Monsieur Portnoy est un homme parfaitement respectable, animé d'idéaux humanitaires et socialistes, et en tant que membre de la commission pour la ville de New York, il traite avec beaucoup de conviction les dossiers dont il a la charge : éclaircir les affaires de corruption, venir en aide à des familles démunies, régler des conflits basés sur la discrimination, etc… Mais, cet homme brillant est lui-même en total conflit avec ses racines et leurs principes. Il refuse d'épouser une femme juive, de fonder une famille, de transmettre la judaïcité…tout entier à ses obsessions et à ses aventures avec des femmes goys.
Au départ, je dois dire que j'ai été assez fascinée par l'écriture à la fois drôle et féroce de Roth : une écriture totalement décomplexée. D'ailleurs, notre héros, Alex Portnoy, ne se trouve-t-il pas pendant tout le roman, à faire le bilan de sa vie à 33 ans, dans le cabinet d'un analyste, endroit où l'on peut tout dire, tout confier ? Et Roth ne se gène pas pour aborder le sexe et les fantasmes sans détours, de manière très crue, avec cette petite note d'humour qui évite une trop grande vulgarité. L'auteur, sur ce terrain-là, n'a, à ma connaissance, qu'un seul rival en termes d'audace : le célèbre Charles Bukowski.
Par ailleurs, aucun cadeau n'est fait à la culture juive et Roth, sans doute parce que lui-même est juif, et qu'il a mis dans son roman une bonne dose de vécu, règle ses comptes avec la manière juive d'aborder la vie : ainsi se livre-t-il, à travers la saga familiale haute en couleur des Portnoy, à la critique de l'autoritarisme paternel, de la possessivité maternelle - monnaie courante dans les familles juives américaines - de l'esprit étroit, rigide et intolérant des juifs vis-à-vis des noirs, des goys… bref, de tout ce qui n'est pas juif : une critique qui parfois prend des allures franchement haineuses et qui, loin d'amuser, va jusqu'à mettre le lecteur mal à l'aise. Il en va de ce passage, d'une violence extrême envers les juifs.
La première distinction que vous m'ayez appris à faire, j'en suis certain, n'était pas entre le jour et la nuit ou le chaud et le froid, mais entre les goyische et les juifs ! Mais maintenant il se trouve, mes chers parents, alliés et amis assemblés qui se sont réunis ici pour célébrer mon bar mitzvah, il se trouve, bande de ploucs, bande de ploucs étriqués ! – oh combien je vous hais pour vos cervelles juives étriquées ! y compris toi, rabbin Syllabe qui pour la dernière fois de ta vie m'a envoyé chercher au coin de la rue un autre paquet de Pall Mall dont tu empestes l'odeur au cas où personne ne te l'aurait encore dit – il se trouve que l'existence ne se borne pas tout à fait au contenu de ces écœurantes et stériles catégories ! Et au lieu de pleurer sur celui qui refuse à l'âge de quatorze ans de jamais remettre les pieds dans une synagogue, au lieu de gémir sur celui qui a tourné le dos à la saga de son peuple, versez des larmes sur vous-mêmes, créatures pathétiques – qu'attendez-vous – toujours à sucer ces aigres raisins de la religion ! Juifs, Juifs, Juifs, Juifs, Juifs ! Elle me sort déjà des oreilles, la saga douloureuse des Juifs ! Rends-moi un service, mon peuple, et ton douloureux héritage, fous-le-toi dans ton cul douloureux – Il se trouve que je suis également un être humain !
Ainsi, ce livre conçu comme une autocritique de l'intolérance et de la bêtise des juifs par un juif pourrait-il bien être une ode à la tolérance.
La vérité, sans doute, est un peu plus complexe. Car bien vite, je me suis trouvée dans une position inconfortable : cette propension de Portnoy à parler des femmes goys, des shikses (les femmes non juives, jamais nommées autrement qu'ainsi) en terme de « putes », de « suceuses de bites » de « grosses salopes qui baisent » m'a très vite irritée et cette irritation, voilà qu'elle se transforme en des pensées qui ne m'avaient encore jamais effleurées, des pensées antisémites. « Quelle horreur d'avoir un amant juif ! ». Le paroxysme fut atteint à la fin du roman, lorsque Portnoy, sur la sainte terre d'Israël, découvre l'amour sacré (encore teinté de haine, mais les deux sentiments se rejoignent-là en une étincelante fusion) qu'il porte aux juifs et la vénération fascinée qu'il éprouve pour Naomi, femme juive, robuste et sensuelle, bien plantée dans des purs principes égalitaire juifs et dans sa mission de femme-soldat élevée dans un kibboutz – lors même que Portnoy n'a connu que la forme américaine et corrompue du judaïsme. Un sentiment d'une telle force que notre héros n'arrive pas à bander en Israël et encore moins devant Naomi, femme juive sacrée.
Ceci dit, ce magnifique portrait de femme arrive en fin de parcours, après une multitude de passes bien consommées avec des shikses, des goys, ces « sales putes » et notamment avec celle qui aura le plus compté pour lui : Jane Mary dite « le singe », un mannequin de 29 ans, blonde, sans éducation, qui suce, baise, à deux, à trois… mais qui écrit « très chair» au lieu de « très cher » (lapsus révélateur ?) et demande à son amant de lui apprendre à lire. Bien évidemment, même si avec elle, Portnoy atteint des sommets d'extase sensuelle, il finira par la laisser tomber lâchement : elle est trop bête et indigne de devenir Madame Portnoy. Il est vrai que notre héros offre bien souvent de lui-même un portrait qui se veut autocritique, mais duquel émane beaucoup de suffisance, de machisme et d'intolérance.
D'une certaine manière, ce livre peut être lu comme un coup de génie de Roth car il exige du lecteur (et sans doute encore plus d'une lectrice) goy un grand travail : face à Portnoy, personnage très complexe, parfois généreux, mais dans le fond, assez détestable, c'est très vite l'overdose et le rejet… qui vire parfois à l'antisémitisme. C'est là ce qu'il faut dépasser… mais de là à l'aimer ! Fichtre ! Nein ! Alorsss !
A découvrir aussi
- Daniel Pennac : Au bonheur des ogres / au bonheur du lecteur !
- Jean-Pierre Gattégno : mon âme au diable / diablement assassin.
- Guillaume Musso : L’appel de l’ange / Reçu cinq sur cinq !
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 38 autres membres