LECTURES VAGABONDES

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Natsuo Kirino : Out / In this novel…


                Je ne sais si Natsuo Kirino a bien choisi le titre de son roman Out (dehors) paru en 2006 aux éditions du Seuil, mais en ce qui me concerne, j’ai bien eu du mal à m’extraire de ce thriller horrifique et haletant !

                Masako, Yoshié, Kuniko et Yayoi vivent un quotidien difficile ; elles confectionnent des paniers repas à la chaîne dans une usine de Tokyo, travail harassant et fastidieux. Côté vie privée, c’est aussi la galère : problèmes d’argent, de maris volages, difficultés familiales de toutes sortes. Un soir, Yayoi tue son mari, Kenji, alors qu’il est ivre et qu’il la bat. Affolée, la jeune femme appelle Masako qui décide de l’aider à faire disparaître le cadavre. Avec l’aide de Kuniko et de Yoshié, Masako découpe le cadavre en morceaux placés dans des sacs poubelles qu’elles se partagent ensuite, afin de les faire disparaître. Malheureusement, Kuniko se débarrasse des paquets dans un jardin public : ceux-ci ne tarderont pas à être découverts par la police. C’est d’abord Sataké, patron de boîtes louches dans le quartier chaud de Tokyo, qui est soupçonné et arrêté. En effet, quelques heures avant sa mort, Kenji se trouvait dans un de ses clubs et une altercation a eu lieu entre les deux hommes. De son côté, Kuniko, acculée par des problèmes d’argent, demande l’aide d’un usurier dénommé Jumonji. L’homme ne tarde pas à faire le lien entre les quatre femmes et le meurtre de Kenji. Il décide, non pas de les faire chanter, mais de monter, avec elles, un trafic qui consiste à faire disparaître des cadavres. De son côté, Sataké est bientôt libéré. Mais l’homme, qui a tout perdu à cause de cette arrestation, est bien décidé à mener son enquête et à se venger…. 

                Natsuo Kirino signe, avec Out, l’un des meilleurs thrillers horrifiques jamais écrits. Tout est parfaitement agencé et mené. Le lecteur est plongé dans une atmosphère sombre et plutôt glauque. Le Tokyo qui se dessine sous nos yeux n’a rien de glamour : une usine froide et blafarde où on travaille à la chaîne, des terrains vagues où on jette tout ce qui est encombrant, des parkings plongés dans l’obscurité, de petits appartements sordides… et la salle de bain toute carrelée où Masako et ses copines découpent des cadavres. Voilà pour l’ambiance. 

                Les personnages sont également très sombres et mus par des pulsions primitives, égoïstes et violentes. Kuniko, par exemple, est vénale et lascive. Abandonnée par son mari, elle jette son dévolu sur Jumonji qui la méprise profondément. Sa course à l’argent et aux hommes la mènera sur une voie tragique. Yayoi, la meurtrière, est oppressée par ses amies qui lui font payer leur aide à l’élimination du cadavre de son mari ; cependant, la meurtrière n’hésitera pas à les trahir ! Bref, on l’aura compris, Out, c’est aussi un roman social où la misère entraîne des comportements égoïstes, cyniques ou opportunistes. Point d’entraide, ici, mais une misère individualiste où le « chacun pour soi et dieu pour tous » est la règle commune.

                De plus Out, c’est aussi un superbe thriller magistralement orchestré. Plusieurs fois, Natsuo Kirino déjoue les attentes du lecteur. Par exemple, lorsque Jumonji découvre comment Masako et ses amies ont découpé le cadavre de Kenji, on s’attend à ce qu’il les fasse bêtement chanter. Eh bien, pas du tout ! Jumonji décide de monter avec trois femmes une entreprise juteuse d’élimination de cadavres et c’est ainsi que Masako et ses acolytes se voient contraintes à découper d’autres cadavres : des contrats à satisfaire pour le compte du très louche Jumonji ! Mais ce n’est ici qu’un exemple de rebondissement inattendu. Out en comprend bien d’autres !

                Côté horreur, on est également copieusement servi ! Natsuo Kirino maîtrise parfaitement la plume dans ce domaine où j’avoue avoir été toujours déçue. Les scènes de découpe de cadavre font froid dans le dos… Comble de l’horreur ! Masako et ses copines se retrouvent, un jour, à devoir se débarrasser du cadavre de… leur acolyte Kuniko ! Voici ici un extrait plutôt horrifique : Masako, Yayoi et Kuniko découpent le cadavre de Kenji :            

« Après avoir décapité le corps, elles lui avaient arraché les bras et les jambes en les sectionnant aux articulations. Chaque pied, chaque jambe et chaque cuisse avait été coupé en deux, ce qui avait donné six sacs par membre inférieur. Les bras, eux, avaient été divisés en cinq parties. Pour les empreintes digitales, afin de parer au pire, elle avait demandé à Yoshié de lui peler les doigts, comme pour un poisson. Les membres supérieurs étaient donc dispersés dans vingt-deux sacs.

Le grand problème avait été le tronc. Le résoudre avait pris beaucoup de temps. Elles avaient dû le fendre de haut en bas pour en extraire les viscères : d’où huit sacs pour les entrailles. Elles avaient commencé par lui arracher les muscles extérieurs, puis elles lui avaient brisé les côtes pour en faire des rondelles : soit vingt sacs pour le tronc. »

Seul bémol à souligner : la fin. Je n’ai pas adhéré à la confrontation Masako-Sataké qui tourne à la fusion amoureuse et passionnelle, d’un seul coup. Je sais bien que le syndrome de Stockholm, ça existe, mais ici, l’affaire est dure à avaler. Après plusieurs jours de traque infernale, Masako et Sataké se retrouvent dans une usine désaffectée pour un face-à-face final violent et sadique… et puis, d’un seul coup, c’est le coup de foudre. Et même si les deux personnages savent qu’il faut qu’il y ait un gagnant et un perdant, ils ne peuvent d’empêcher se s’aimer, de se violenter, de s’assassiner. Bof ! Un sérieux gloubiboulga que cette fin outrancière et grimaçante. Non. A revoir. Décevant, ce final trop exacerbé.

Ainsi, ceux qui aiment les thrillers bien trempés ne seront pas déçus par Out qui allie le suspense, l’horreur et le roman social avec brio. Quant à moi qui suis une inconditionnelle de films d’horreur et de slashers, j’ai enfin trouvé dans le domaine littéraire un auteur qui s’érige au rang des meilleurs crus cinématographiques en la matière ! Il faut bien reconnaître qu’actuellement, les japonais et les coréens sont les maîtres du genre : après Dream Home de Ho-Cheung Pang et Grotesque de Kôji Shiraishi, on peut se demander s’il est possible d’aller encore plus loin dans le trash glauque et horrifique - au niveau des fictions, j’entends… car ce qui se passe dans les élevages industriels, les abattoirs ou encore certains camps de prisonniers, c’est out of account.



09/10/2013
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