LECTURES VAGABONDES

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Morgan Sportès : Tout, tout de suite/Rien……. .…et…tout

           

 

 

On se souvient tous de cette tragédie de 2006 qui a secoué la France pendant quelques temps. L’assassinat d’Ilhan Halimi - auparavant torturé et séquestré dans une cave - par le gang des barbares et leur chef, Youssouf Fofana. C’est cette histoire qu’entreprend de raconter Morgan Sportès dans Tout, tout de suite, roman paru aux éditions Fayard, ayant également reçu le prix Interallié en 2011.

 

            Le roman suit scrupuleusement le déroulé de la tragédie vécue par Ilhan Halimi. Seuls les noms des personnages sont escamotés. Ainsi, Youssouf Fofana s’appellera Yacef, et Ilhan, Elie. Nous sommes à Bagneux, en région parisienne. Yacef désire tout, tout de suite. C’est-à-dire, beaucoup d’argent, rapidement. Pour ce faire, il a un plan : enlever et séquestrer un juif puis, demander une rançon pour sa libération ; pourquoi un juif ? Parce que le juif est riche. Sinon, parce que la communauté juive est solidaire, et qu’elle unira leurs forces pour réunir l’argent et payer. Oui, mais comment procéder ? En utilisant un appât. Une fille, jolie, devra embobiner la victime et l’attirer à un endroit déjà décidé où aura lieu l’enlèvement. Après plusieurs tentatives avortées, la chance et le succès semblent enfin là ! L’appât se prénomme Zelda ; elle séduit Elie et l’attire vers un endroit où l’attendent des gars qui le brutalisent et l’emmène vers un appartement inoccupé. C’est alors que commence pour Elie, une longue et douloureuse période de séquestration d’environs trois semaines et pour Yacef, un implacable bras de fer avec la famille d’Elie pour obtenir la rançon demandée. C’est alors que tout va de mal en pis. La famille d’Elie n’est pas particulièrement riche ; la police est sur le coup et interdit toute négociation financière avec les bandits. Alors on se met à torturer Elie, on envoie des photos macabres pour mettre la pression sur ses parents. Conséquence : certains complices de Yacef, devant la tournure des événements, laissent tomber cette affaire qui sent mauvais. On sait tous comment tout finit : Yacef emmène Elie dans un bois en bordure du périphérique, lui assène plusieurs coups de couteaux, l’immole et l’abandonne. Le jeune homme, mourant, réussit à se trainer jusqu’à l’autoroute où une automobiliste tente de le secourir. C’est dans l’ambulance qu’il décède. Yacef et un certain nombre de ses complices seront condamnés. Mais c’est alors que Yacef déclare que « ce jour-là, il est devenu quelqu’un ».

 

            Tout, tout de suite est un roman prenant qui retrace l’escalade du gang des barbares vers l’assassinat, cependant, il manque à ce dernier un tout petit quelque chose pour être classé dans les très bons romans.

           Morgan Sportès a dû se documenter sérieusement sur toute cette affaire car elle est relatée avec précision et minutie. Pendant une bonne partie du roman, on a droit à tous les préparatifs, à toutes les tentatives d’enlèvement avortées. Ce n’est qu’à près un bon tiers de l’œuvre qu’on rencontre Elie, la vraie victime. Aucun personnage n’est évincé et on connait leurs doutes et leurs désirs. Tous se demandent s’ils seront payés, s’inquiètent de la mauvaise tournure des événements, refusent d’être complice d’un assassinat qui se précise de jour en jour.

Par ailleurs, le roman montre bien tout l’amateurisme qui est à la base de ce plan d’enlèvement. Personne ne sait vraiment où il va et rien n’est concrètement planifié. Les choses évoluent au jour le jour, suivant les résultats d’une tractation toujours hasardeuse.

               Reste Yacef, celui qui est à l’origine de toute l’affaire et qui mène les tractations pour obtenir la rançon. Or, l’homme travaille dans l’incohérence complète et ses actions sont très hasardeuses. Il va et vient entre différentes cabines téléphonique, entre différents points internet. Parfois, il mène ses transactions depuis la côte d’Ivoire où il se sent plus à l’abri. Ses exigences en matière de rançon sont aléatoires et leur montant varie au fil des jours. Il faut dire que ce qui fonde son entreprise est dès le départ pourri et erroné. Il part du principe (faux) que les juifs sont riches et solidaires et que par conséquent, sa demande de rançon sera satisfaite. A la base de sa démarche, il y a donc une certaine forme de racisme (le racisme économique). Par ailleurs, la famille d’Elie a pris contact avec la police qui refuse de payer quoique ce soit. Ce bras de fer entre deux parties qui cherchent coûte que coûte à camper sur leurs positions virera au drame pour Elie. Comment, en effet, négocier efficacement lorsqu’on n’a pas le bon interlocuteur en face de soi ? Comment négocier quand l’une des parties s’y refuse ? Je ne connais pas beaucoup d’affaires de rançon qui se soient bien terminées car ce n’est jamais dans la violence et l’ultimatum qu’on résout les problèmes. Einstein disait : « un problème qu’on ne sait pas résoudre et un problème qui a été mal posé ».Et ce n’est pas par téléphone ou par mail qu’on peut traiter toutes sortes de questions. Certaines doivent se régler à « l’humaine », en dialoguant sans langue de bois ou discours biaisés.

               Quoiqu’il en soit, parce que Yacef voulait tout, tout de suite, il n’a rien eu ; il est devenu un criminel et a assassiné un jeune homme qui n’aspirait qu’à la vie et au bonheur.

Ce que je critiquerai dans ce roman, c’est que Morgan Sportès n’a pas daigné creuser davantage certains personnages : il s’en est tenu aux informations auxquelles tout le monde à accès. Il n’a pas tenté le pari que font et doivent faire les romanciers : proposer un portrait nuancé du personnage entre zones d’ombres, contradictions et blocages. Si le roman se termine sur cette phrase intéressante de Yaccef « Ce jour-là, je suis devenu quelqu’un », on aurait aimé comprendre pourquoi il pense alors ainsi. Sans doute manquait-il de repères, sans doute avait-il un problème d’ego important, peut-être est-il un pervers narcissique ? La dimension profonde de la personnalité de Yacef n’est pas mise en avant dans le roman qui se contente de montrer un individu dénué de valeurs morales, très peu charismatique et incapable de monter sérieusement son forfait. Bref, Yacef, on ne le connait pas vraiment.  

             Tout, tout de suite est donc un  très bon roman qui pèche un peu par la superficialité des personnages. Il reste donc très proche du genre documentaire, même si on peut aussi le classer dans la catégorie roman. En tout cas, la morale qu’on peut tirer de l’œuvre, c’est qu’il ne faut pas vouloir tout, tout de suite, sinon, on court à la catastrophe. On n’arrive jamais à rien en braquant un pistolet sur la tempe d’une personne, en posant des ultimatums inconsidérés. Un jour, j’ai vu un téléfilm dans lequel un homme rencontré sur Internet  - et donc en grande partie inconnu de son interlocutrice - a déclaré vouloir tout, tout de suite, l’argent, le mariage, le bébé et les clefs de la maison. Son interlocutrice a pris les jambes à son cou. Que penser de ces personnes qui exigent trop ? Veulent-ils seulement vraiment ce qu’ils disent vouloir ? En posant des conditions inacceptables, ils se mettent à l’abri de toute concrétisation de leurs désirs car peut-être, seul le rêve et la « possibilité de » les intéressent vraiment. Face à l’immaturité de cette manière de procéder, il y a d’autres voies : respecter la personne, sa vie, ceux qui en font partie. Il faut faire confiance au temps, passer par des étapes intermédiaires dont le contenu est à définir dans le dialogue ; apprendre à se connaître ; avancer ensemble et sentir qu’on est vraiment fait l’un pour l’autre. Un jour, on trouve la bonne voie, et le choix s’impose alors de lui-même.

              Si on veut tout tout de suite, on n’obtient rien. Ce n’est qu’avec la douceur, la patience et la compréhension qu’on peut envisager sérieusement une vie de couple… et c’est alors qu'on se donne tout.

 



18/06/2017
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