Milena Agus : Mal de pierres/Un mal pour un bien
Peut-être avez-vous déjà vu le magnifique film de Nicole Garcia (intitulé Mal de pierres) sorti en 2016 avec Marion Cotillard dans le rôle principal ? Si non, je vous encourage à le voir. Mais qu’en est-il du roman de Milena Agus, qui a inspiré le film, qui est intitulé Mal de pierres et qui a paru en 2006 aux éditions Liana Levi ?
" J’ai écrit, sur le cahier que j’ai toujours sur moi, le récit de grand-mère, du Rescapé, de son père, de sa femme, de sa fille, de grand-père, de mes parents, des voisines de la rue Sulis, de mes grands-tantes paternelles et maternelles, de ma grand-mère Lia, des mesdemoiselles Doloretta et Fanni, de la musique, de Cagliari, de Gênes, de Milan, de Gavoi ».
Voici donc l’ambition de la petite fille de l’héroïne du roman, qui est aussi la narratrice de Mal de pierres. A-t-elle atteint son but ? La grand-mère de la narratrice ne parvient pas à se trouver un mari. Tous ses prétendants au mariage renoncent finalement à lui demander sa main. En 1943 arrive au village un réfugié qui l’épouse très vite. Cependant, la jeune femme ne parvient pas à avoir d’enfants. La cause imputée, c’est qu’elle souffre du mal de pierres : des calculs rénaux qui nécessitent une cure dans un établissement spécialisé. Là, elle fait la connaissance du Rescapé : un homme séduisant et cultivé, pianiste à ses heures, qui a malheureusement perdu une jambe à la guerre. Entre eux nait une histoire d’amour passionnelle. A son retour, la jeune femme donne le jour à un fils. Ceci dit, elle vit dans l’espoir de revoir le Rescapé. Lors d’un voyage à Milan, elle le cherche partout, mais ne le retrouve pas. La narratrice découvre alors qu’avant la guerre, sa grand-mère aurait dû aller dans un asile de fou car elle souffre d’une maladie mentale qui explique le fait qu’elle n’ait jamais su nouer une relation qui aurait débouché sur un mariage. A sa mort, la narratrice trouve une lettre du Rescapé qui la félicite pour le roman d’amour qu’elle a écrit et qui les met tous deux en scène, alors que dans la réalité, ils n’ont été qu’amis.
Mal de pierres est, selon moi – et malgré toutes les critiques positives qu’on peut lire en quatrième de couverture - un roman insuffisant car beaucoup trop court. Cette insuffisance se ressent surtout au niveau des personnages secondaires qui sont fugaces ; de ce fait, on les oublie aussitôt. C’est fort dommageable car certains de ces personnages sont importants : ils sont les hommes de la vie de la grand-mère de la narratrice : le réfugié et le rescapé. L’ensemble forme une belle matière pour un roman de grande envergure, ce que Mal de pierres n’est pas.
Pourtant, le thème du roman est éminemment intéressant : c’est l’histoire d’une érotomane qui cherche l’amour sans jamais le trouver. Sa vie est tragique car elle se passe totalement dans l’imaginaire. Le roman met joliment en relief cette dimension tragique par sa structure qui fait qu’on découvre la vérité progressivement. Ce n’est qu’à la toute fin du roman qu’on comprend que le récit de l’amour de la grand-mère avec le Rescapé est une légende que cette dernière a entretenue faute de l’avoir vraiment vécue ; cet amour a donc existé d’une manière particulière, dans une affabulation que tous croient vraie et qui, de ce fait, semble réelle.
Pour finir, je dois dire que j’ai trouvé – une fois n’est pas coutume - le film plus intéressant que le roman. D’abord, les personnages sont plus fouillés et prennent tous une dimension plus humaine y compris celui de la grand-mère érotomane. De plus, si le Rescapé existe bien dans le roman, le film joue sur un rebondissement inattendu : le Rescapé n’a jamais existé et on le découvre à la toute fin ; ainsi, même l’existence de ce dernier est pure affabulation. La folie et son déploiement tragique dans l’imaginaire de la narratrice sont encore plus sensibles dans le film. Ainsi, le mal de pierres ne désigne pas seulement les calculs rénaux de la grand-mère, mais aussi et surtout le mal psychique lié à l’absence d’amour.
Malheureusement pour Milena Agus, je n’aime pas trop les romans très courts. Ainsi, en ce qui concerne Mal de pierres, je dirai que le roman constitue une bonne base pour un chef d’œuvre : une sorte de synopsis qui ne demande qu’à être développé pour atteindre la perfection du portrait d’une érotomane en souffrance. Tant mieux pour Nicole Garcia qui a su exploiter cette matière dans son film.
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