LECTURES VAGABONDES

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Maxence Van Der Meersch : La fille pauvre/Une riche trilogie !

       

  Et si on redécouvrait ensemble cet auteur quelque peu oublié – à tort ? Je pense ici à Maxence Van Der Meersch dont je suis en train de parcourir l’œuvre. Je vous emmène donc découvrir la trilogie nommée La fille pauvre. L’ensemble comporte trois tomes, tous parus chez Albin Michel. Le premier s’intitule : Le péché du monde (1934), le second, le cœur pur (1948) , le troisième, La compagne (1955).

 

          Lorsqu’on ouvre Le péché du monde, premier volume de la trilogie, nous sommes plongés au début du XXème siècle, dans les quartiers miséreux de Paris, là où vit une pauvrette qui s’appelle Denise. Abandonnée par sa mère, qui, faute de moyens, la place à l’assistance publique, elle retournera quand même dans sa famille plus tard. Mais ce n’est pas pour autant que Denise trouve dans ce foyer – elle a une sœur, Suzanne, et un petit frère Didi – le bonheur et l’amour. Sa mère lui laisse faire toutes les corvées ménagères, sans compter que la petite fille doit aussi battre le pavé pour trouver du travail et de l’argent. Le malheur s’accroit lorsque meurt son père tandis que sa mère se montre très dure et sans indulgence avec elle, allant même parfois jusqu’à la battre. Pour gagner 3 francs un sou, Denise accumule les travaux tous plus durs les uns que les autres. Souvent, elle revient blessée de sa journée, les mains écorchées par l’acide. Les conditions de travail sont pénibles à l’extrême et le manque d’hygiène a de fâcheuses conséquences : les poux s’accumulent dans ses cheveux, dans les haillons qui lui servent de vêtements. C’est alors qu’elle va bientôt devenir une jeune fille que Denise quitte Paris pour le nord de la France. En effet, sa mère a l’intention de rejoindre son amant : Jules Delnatte.  Le cœur pur s’ouvre sur la noirceur du monde industriel du nord de la France, monde rythmé par les sonneries des usines. Si la mère de Denise retrouve là son amant Jules, c’est pour peu de temps. Le couple se sépare rapidement et la petite famille s’installe dans une chambre miteuse au-dessus d’un cabaret mal famé tenu par une brute épaisse nommée Baussart. La vie pénible de notre petite ouvrière reprend tandis que le malheur s’abat encore davantage sur elle. Une grève générale la prive de revenus et la petite doit se battre tous les jours pour espérer nourrir sa famille. Elle mendie quoiqu’il lui en coûte, elle vole du charbon, ce qui lui vaudra d’être arrêtée par la police. Denise et les siens connaissent la faim, de longues journées de faim. Pourtant, jamais Denise ne se laissera tenter par la facilité : monnayer ses charmes. La chose eût pourtant été facile, vu l’endroit où elle habitait ! Enfin, c’est sa mère qui décède d’un cancer. Denise refuse de la laisser mourir à l’hôpital. Ses journées sont harassantes : donner des soins à sa mère, aller travailler, s’occuper de la maison, de son frère. Lorsque la mère meurt - alors qu’elle aura quand même pu dire à mot couvert à sa fille qu’elle l’aime – la famille éclate car Suzanne ne s’entend pas avec Denise. Et puis, il y a le petit Didi ; pour le garder, il va falloir batailler.  Le troisième tome de la trilogie s’intitule La compagne. Denise rencontre Marc et en tombe amoureuse. Amour réciproque. Mais Marc est plutôt bourgeois, cultivé, même si sa famille connait des soucis financiers. Bravant les différences sociales et la mauvaise considération que la très collet-monté tante Madeleine peut avoir à l’égard de Denise, le couple s’installe ensemble et bientôt, Denise met au monde un petit garçon. Elle a cependant beaucoup de mal à s’intégrer au milieu social d’où vient son mari. Complexée par son absence de bonnes manières et son manque de culture, elle reste discrète et peu confiante. Cependant, Marc a l’ambition de devenir écrivain et bientôt, publie son premier roman intitulé Denise. C’est un succès et sa compagne, Denise, qui est aussi sa source d’inspiration, craint de voir son amant s’éloigner d’elle. Il n’en sera rien car Marc, bravant sa famille, décide d’épouser Denise à l’église et de partager ses biens avec elle.

 

          Si on aime l’œuvre d’Emile Zola consacrée aux classes populaires, on appréciera La fille pauvre de Maxence Van Der Meersch. Certes, ce dernier est beaucoup moins ironique et moins féroce à l’égard de ses personnages et du milieu qu’il décrit. Il faut dire que l’auteur semble imprégné d’un fond chrétien qui rejaillit partout. Le personnage de Denise est une véritable martyre de la pauvreté. Elle travaille dans des conditions extrêmes, elle est taillable et corvéable à merci et se tape toutes les corvées ménagères. Sans compter que sa mère n’est pas toujours tendre avec elle et parfois, la bat. Malgré tout, Denise ressemble à un petit agneau qu’on mène à l’abattoir.

          En effet, il n’y a, chez elle, aucune velléité de rébellion. Denise se sacrifie pour sa famille, dans un premier temps, puis pour son compagnon, Marc. Elle craint de n’être pas assez bien pour lui, elle a honte de ses origines, de l’endroit où elle habite, de la manière dont elle parle, de son absence de culture et d’éducation. Et lorsque la tante Madeleine consent à un mariage rapide, en mairie, sous le régime de la séparation de biens, elle est prête à accepter pour rester légère et remplaçable si un jour, Marc décidait d’épouser une fille de son milieu. C’est donc finalement le jeune homme lui-même qui décide d’épouser Denise totalement. Il ne faudrait donc pas que ce roman tombe entre les mains des féministes ! Je vois d’ici leur énervement face à ce personnage soumis et timide. Enervement que je partage… à certains moments, même si j’aime beaucoup ce roman.

          En réalité, Maxence Van Der Meersch, dans La fille pauvre, décortique la vie des miséreux. Il les envisage non seulement au niveau matériel : conditions de travail inhumaines, logis insalubres dans des quartiers mal famés, sans oublier la faim qui tenaille les entrailles et la vermine qui ronge les corps. Le dernier livre de la trilogie se penche plus particulièrement sur la psychologie de la pauvre fille honnête. S’il y a des femmes qui se prostituent ou qui tentent de se faire entretenir par un bourgeois, Denise reste pure. Cependant, elle a la sensation d’être marquée au fer rouge par ses origines sociales qui la traquent jusque dans se manière de se tenir ou de parler. Si elle a la tentation de renier ses origines, elle oublie bientôt cette idée par respect pour les siens, par respect pour ce qu’elle est.

          Avec La fille pauvre, Maxence Van Der Meersch réussit ce tour de force de faire d’une fille du peuple – et par extension de ces gens du bas peuple qu’on a si souvent oublié en littérature - de véritables héros, généreux, résistants à la souffrance et au mal, dotés d’une grandeur d’âme très rare. On se souviendra longtemps de la petite Denise qui court les rues de Paris en haillons pour vendre ses journaux ou trouver de la nourriture ! Elle hante encore ces quartiers et ces rues qui mènent droit aux noires usines qui se dressent dans la brume du nord.



06/03/2022
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