LECTURES VAGABONDES

  Peut-être êtes-vous comme moi, à en avoir ras-le-bol de tous ces romans intimistes sur la crise de la quarantaine, la remise en question des choix d’une vie et de la vie de couple, etc, etc… Eh bien, avec Une autre femme, roman écrit par Anne Tyler en 1995 et paru en France en 2012 aux éditions Stock, on est en plein dans ces thèmes-là, tant rabâchés avec souvent beaucoup de peine, et pourtant, ce livre est un vrai bonheur !

          Nous sommes à Baltimore, dans la famille Grinstead, famille assez bourgeoise puisque la mère, Délia, s’occupe du secrétariat du cabinet médical de son mari, Sam. Dans la famille Grinstead, il y a trois enfants, déjà grands, et les sœurs de Délia, omniprésentes. La pauvre Délia a l’impression de ne plus exister dans son propre foyer. Comme dirait l’autre, elle « passe pour le gaz », s’acquittant en silence des corvées ménagères. Pendant quelques mois, elle rêvera bien d’un homme rencontré au supermarché : Adrian. Mais celui-ci semble encore amoureux de son ex-femme. Alors un jour, sans que la chose soit en quoique ce soit préméditée, Délia s’enfuit. La chose commence comme une promenade sur le rivage de Bethany beach où la famille Grinstead passe ses vacances… une promenade qui emmène Délia, loin, loin, toujours plus loin de sa famille. Elle s’installe dans la petite ville de Bay Borough, située à quelques heures de route de Baltimore. Là, elle prend une chambre chez une femme qui deviendra son amie : Belle. Puis, elle trouve un emploi de secrétaire chez un avocat grincheux : Mr Pomfret, place qu’elle délaisse bientôt pour celle de gouvernante chez le proviseur du lycée de Bay Borough : Joël Miller – lequel a un fils, Noah, dont elle est chargée de s’occuper. De temps à autre, Délia reçoit un petit mot vite rédigé des membres de sa famille auxquels elle semble peu manquer, et avoir finalement, bien peu compté. Elle semble creuser son trou dans sa nouvelle vie et prendre une place importante dans la famille Miller. Elle rencontre même le père de Joël, Nat, qui, malgré son âge, est en passe d’épouser une femme bien plus jeune que lui – Binkie – et avoir un enfant d’elle. Et puis, Joël et Délia semblent bien attirés l’un vers l’autre. Mais un jour, Délia reçoit un billet de la part de sa fille, Susie, qui l’invite à son mariage avec son petit ami Driscoll. Après quelques hésitations, Délia retrouve son foyer… quelque peu changé depuis son départ, puisque Sam vit désormais seul, s’étant brouillé avec ses belles-sœurs. Là, elle comprend que sa place est auprès de son époux Sam …. Que ce sont ses enfants qui se sont éloignés d’elle – et non elle d’eux - ce jour-là, sur la plage.

           Avec Une autre femme, Anne Tyler signe un roman plein de vie et d’humour dans lequel la plupart des femmes mariées et restant au foyer pourront se reconnaitre. En effet, la matière de cette œuvre est surtout faite des petits tracas de la vie quotidienne et des petites mesquineries qui ne manquent pas dans une famille qui évolue depuis des années dans le confort d’une routine bien établie. Alors, on rit de ces toutes petites choses qui peuplent et accaparent une vie sans qu’on s’en rende compte.

           Cependant, derrière l’humour et la bonne humeur qui caractérise en surface ce roman se cache de nombreux non-dits, beaucoup de mal-être, et un questionnement profond sur ce que vaut la vie qu’on s’est bâti. Délia, femme au foyer certes dévouée, est devenue transparente aux yeux de son mari et de ses enfants et le travail qu’elle accomplit tous les jours pour eux est devenu un dû qu’on ne remarque plus. Alors, Délia ressent le désir de tout recommencer ; mais peut-on tout recommencer ? Devenir une autre femme, est-ce possible ? Telles sont les questions que pose habilement ce roman.  

          Il est vrai que Déla reste la même, ou presque, dans sa vie nouvelle à Bay Borough. Discrète, elle parle peu et s’évade dans la lecture de romans à l’eau de rose même si, à la bibliothèque de la petite ville de Bay Borough, elle peine à en trouver d’aussi sirupeux que ceux qu’elle trouvait dans la bibliothèque de Baltimore, là où elle vivait auparavant.

          Finalement, Délia réussit à se faire un trou dans une famille nouvelle, les Miller. Le bonheur semble lui sourire puisqu’elle est acceptée par le petit Noah et se sent très attirée par le père de ce dernier, Joël. Pourtant, la famille Miller n’est pas la sienne et c’est dans le foyer qu’elle s’est bâti que Délia retournera finalement. Comme l’oiseau qui fait son nid et y revient.

          Enfin, dans Une autre femme, nous rencontrons aussi des personnages hauts en couleur ; par exemple, la matrone Eliza, sœur de Délia ; celle-ci ne cesse de faire la morale à sa sœur Délia mais se presse de draguer son mari quand cette dernière part. Femme autoritaire, elle ne cesse de couper la parole à tout le monde pour imposer ses idées et ses points de vue. Autre exemple, Nat, le père de Joël, qui, contrairement à Délia refait sa vie avec une jeune femme et malgré son âge avancé reconstruit un nouveau nid.

          Ainsi, Une autre femme est un roman subtil et nuancé à la saveur douce-amère. Voici donc une écrivaine, Anne Tyler, assez prolifique, à découvrir si ça n’est déjà fait. Elle et pas une autre !