LECTURES VAGABONDES

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Maxence Van Der Meersch : Invasion 14/Magnifique invasion.

   

    En cette période de début novembre, marquée entre autres par la commémoration de l’armistice de la guerre 14-18, je vous propose de lire un chef d’œuvre, bien plus intéressant que le célèbre Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2014. Il s’agit d’exhumer un auteur qui n’est pas reconnu à sa juste valeur : Maxence Van Der Meersch, l’écrivain du Nord. Invasion 14 parait en 1935 aux éditions Albin Michel. 

 

          Difficile de proposer un résumé chronologique d’Invasion 14 qui se présente comme un roman choral, doté de très nombreux personnages qui vont incarner un aspect de la vie sous l’occupation allemande dans le nord de la France – à Roubaix et ses environs - durant la guerre 14-18. Permettez-moi de vous présenter les principaux acteurs du roman. Nous avons d’abord les riches bourgeois qui se sont faits une fortune dans les filatures textiles. Hennedyck, Decraemer, sont les principales figures de cette catégorie sociale. Pendant l’occupation, l’armée allemande a besoin de tissus pour confectionner des sacs, des uniformes, etc. Sous l’impulsion d’Hennedyck, les principaux patrons des industries textiles vont se saborder, refusant de produire pour l’ennemi. Mais certains, un peu moins patriotes, écoulent en douce vers l’Allemagne qui paie bien, leurs stocks de tissus et de laine. Hennedyck comme Decraemer connaîtront la souffrance de la détention dans les prisons allemandes ; en effet, Hennedyck s’est lancé dans la résistance en fondant un journal clandestin : la Fidélité. A son retour, il découvre que son épouse a eu une liaison avec un officier allemand dont elle fut très éprise. Mais pour Decraemer – qui, lorsqu’il est en détention découvre le bonheur de l’ascétisme et de la spiritualité – comme pour Hennedyck, le retour à la vie, après la guerre, s’effectue dans un bouillonnement d’activité où il faut montrer les crocs… Et pour tout reconstruire, on fait cher payer l’Allemagne qui doit contribuer à remettre sur pied ce qu’elle a détruit… La guerre, c’est une page qu’on a tournée, mais mal tournée. Pour l’instant, c’est l’euphorie et la débauche de marchandises ; de cette grande ripaille, tout le monde veut sa part. D’autres drames, il y en a ! Prenons les Sennevilliers, familles composées de modestes ouvriers, ménagères, commerçants, ou encore aubergistes. Dès le début de la guerre, Jean, meurt sur le champ de bataille. Sa femme, Fannie, tombe amoureuse d’un soldat allemand qui sera appelé au front avant la fin de la guerre. Elle accouche d’une fillette, Jeanette, fillette qu’elle n’élèvera pas : elle meurt noyée au fond de la carrière où travaillait son époux, Jean. Sa fille, Lise, adoptera l’enfant. Il y a aussi les Lacombe ! Tout un poème ! Le père est maire d’Herlem et profite grassement de sa position pour se livrer à toutes sortes de trafics lucratifs, notamment celui des cartes de ravitaillement. Mais il ne sera pas épargné par le malheur car sa fille, Judith, s’amourachera d’un soldat allemand qui, une fois parti, la livrera à la prostitution. Cependant, à toute chose malheur est bon, la jeune femme se fera des relations parmi les allemands et pourra, ainsi, venir en aide à ceux qui en auront besoin. Parmi ceux qui trafiquent, il n’y a pas que des crapules comme Lacombe. David Barthelémy monte une filière d’approvisionnement via Bruxelles ; même si l’affaire n’est pas trop morale, après la guerre et alors qu’une grande entreprise d’épuration est en cours, David Barthelémy sera acquitté. Il faut dire qu’il en connait long sur certaines personnes qui furent ses clients et qui, désormais, ont en tête une carrière prometteuse, compromise si l’homme se mettait à parler. En fait, c’est ce trafic qui a permis au nord de la France de ne pas mourir de faim. Et puis, David Barthélemy a un grand cœur et vient souvent en aide aux plus déshérités.

 

          Parmi les personnages, il en est bien d’autres ! et leur histoire se raconte en petits chapitres qui s’alternent au long de quatre grandes parties qui marquent les phases principales de la grande guerre. L’ensemble permet de dresser un portrait saisissant du martyre de la région nord à cette époque. Partout, la faim, le trafic, l’abdication à toute moralité. Il y a l’horreur des camps de prisonniers : l’un se situe à Prémesques et c’est le jeune Alain Laubigier qui y est détenu dans des conditions atroces de travail forcé, de faim, d’absence d’hygiène et de froid. Il y aura des déportations de population vers l’Allemagne. Il y a des héros qui resteront dans l’ombre, oubliés : Gaure, ce petit professeur de chimie qui versera dans la résistance et sera fusillé avec son camarade Théverand. Il y a des crapules qui deviendront héros après la guerre car après la guerre, il y a encore un trafic autour des médailles et de l’honneur. Il y a des allemands, beaucoup d’allemands, dont certains sont immondes, mais d’autres, beaucoup d’autres, sont des hommes comme les autres. Eux aussi souffrent, sont déportés, appelés, meurent au front. Eux aussi détestent la guerre qui les met sur la paille. Mais surtout, il y a l’idée que cette guerre n’a servi à rien : c’est la petite Antoinette qui incarne cette idée. La jeune fille se meurt, atteinte d’une sorte de pneumonie. Elle aurait aimé que sa mort serve à réconcilier ses parents, séparés. Inutile espoir. Edith et Samuel Fontcroix ne se réconcilieront pas, à l’instar de la France et de l’Allemagne après la guerre.

           Bref, on l’aura compris, Invasion 14 est un véritable chef d’œuvre. On y retrouve la veine naturaliste aimée de l’auteur et parfois, on croirait lire du Zola tant l’évocation de ce nord ouvrier qui saigne est puissamment restituée.  On y retrouve également l’habituelle empreinte des idées démocrates chrétiennes qu’affectionne Van Der Meersch, mais ici teintée d’une certaine noirceur ; en effet, si le scepticisme est clairement rejeté, les héros qui concluent Invasion 14 – Hennedyck et l’abbé Sennevilliers – concèdent qu’il y a des raisons de ne plus croire en Dieu après le carnage qui a eu lieu.

            Alors voilà un coup de cœur qui, je l’espère, trouvera écho : sur tous les romans qui traitent de la grande guerre, celui-ci est le meilleur que j’ai pu lire. Et puis, j’ai pu aussi plonger dans l’histoire tourmentée de ce nord où j’ai toujours vécu… C’est un peu comme des retrouvailles avec ses grands-parents.



13/11/2022
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