Martin Gray : Au nom de tous les miens / Au nom du seul Martin Gray.
On a tous lu des témoignages divers et variés sur l’antisémitisme sauvage qui a ravagé l’Allemagne et l’Europe au XXème siècle. Celui de Martin Gray est assez célèbre et a donné lieu à une adaptation cinématographique signée Robert Enrico. Cependant, le récit Au nom de tous les miens a été écrit par Martin Gray en 1971 et paraît aux éditions Robert Laffont.
Martin Gray raconte la persécution des juifs par les nazis en Pologne (à Varsovie, plus précisément) pendant la seconde guerre mondiale. Il n’a même pas 20 ans lorsque la guerre éclate. Très vite, les juifs de Varsovie se retrouvent parqués dans le ghetto où la mortalité et la famine font rage. S’entourant de petits voyous intéressés par le trafic, il se lance dans des fraudes alimentaires qui permettent de ravitailler le ghetto. Plusieurs fois, il sera inquiété par la police, arrêté, battu mais, jamais, il ne renoncera à soulager la misère des enfants du ghetto. Cependant, il est arrêté et envoyé au camp de Treblinka où il découvre l’horreur de l’extermination : toute sa famille, à l’exception de son père, resté à Varsovie, partira en fumée. Martin par chance, se retrouve dans les commandos qui se chargent de toutes les étapes de l’extermination des juifs, y compris celle de les brûler. Il parviendra néanmoins à s’évader de ce camp de la mort. Pendant, un certain temps, il bat la campagne et informe sans relâche les juifs du sort qui les attend s’ils restent à attendre passivement dans les ghettos le bon vouloir des nazis. De retour à Varsovie, il participe au soulèvement du ghetto et voit son père mourir. Par la suite, il sera enrôlé dans l’armée rouge car il n’a qu’un seul but, celle de venger tous ceux qui sont morts sous le joug des nazis. Il ira jusqu’à Berlin et participera à l’embrasement final de la ville ; il éprouve cependant des réticences à se montrer brutal avec tous les allemands confondus car il ne veut se venger que des bourreaux. A la fin de la guerre, il décide de s’envoler pour les États-Unis – New York - où se trouve la seule personne de sa famille encore vivante : sa grand-mère. Là, à la force du poignet, il se bâtit ce qu’il appelle « sa forteresse », un lieu sûr où il pourra fonder une famille pour que survivent, à travers elle, les siens. C’est donc une fortune qu’il amasse en faisant d’abord commerce de linge, puis d’antiquités. Ces affaires, il les traite en mettant au point un échange entre l’Europe et les États-Unis. Et puis vient la rencontre avec Dina qui deviendra sa femme. Avec elle, il s’installe en France, dans le Tanneron. Avec elle, il aura quatre enfants : deux filles, Nicole et Suzanne, deux garçons, Charles et Richard. Mais un jour, au début des années 70, un vaste incendie dévaste l’endroit où vivent la famille Gray. Martin perdra dans cet incendie, sa femme et ses quatre enfants. Il décide de consacrer sa vie au témoignage et à l’écriture pour qu’au nom de tous les siens, leur mémoire perdure.
On ne compte plus les œuvres qui témoignent de la Shoah et de cette sombre période du nazisme dans les pays d’Europe de l’Est. La plupart du temps, il est de bon ton de respecter leurs auteurs et leur parole, souvent victimes du fanatisme et de la persécution hitlériennes. Pourtant, malgré tout le respect que je dois à la mémoire des martyrs morts ou rescapés de cette obscure période, je me suis prodigieusement ennuyée en lisant Au nom de tous les miens de Martin Gray.
Par ailleurs, je trouve que Martin Gray passe à côté de son projet : faire revivre la mémoire de tous les siens sous sa plume, à travers son témoignage. Je trouve, en effet, que c’est surtout à lui que Martin Gray rend hommage dans ce récit.
Car Au nom de tous les miens raconte avant tout l’histoire de Martin Gray, de son combat contre les persécuteurs, de son combat pour survivre et – finalement assez accessoirement – témoigner au sujet des siens et au sujet de tout le peuple juif victime du nazisme. Le récit dévide en effet, tous les actes de bravoure et de courage qu’a mis en œuvre Martin Gray pour lutter contre les bourreaux. D’abord, il se livre à un dangereux trafic afin d’apporter quelques subsides dans le ghetto de Varsovie. Ensuite, c’est la lutte pour rester en vie dans l’inhumain camp de Buchenwald dont il s’évade héroïquement. Puis, c’est le combat contre les bourreaux au sein de l’armée rouge. Enfin, Martin Gray raconte l’acharnement qu’il a mis à amasser une fortune avant de trouver le bonheur et de le perdre, finalement. Ainsi, ce récit se classe tout à fait dans le genre « action/aventure ». Martin Gray s’y décrit comme un héros qui n’a pas froid aux yeux, qui mobilise toute son énergie et met en jeu sa vie pour lui et les autres. On finit par s’ennuyer de ce récit trop autocentré, récit dans lequel Martin Gray se tresse des lauriers à lui-même en passant son temps dans l’autocongratulation alors qu’il déclare vouloir rendre hommage aux siens.
Si j’étais méchante, je dirais que ce récit pourrait bien relever du genre hagiographique.
Pourtant, l’écriture de Martin Gray est de bonne facture ; elle est pleine d’énergie, de rage, de haine. C’est une véritable déclaration de guerre lancée à la tête des bourreaux. Et puis, à la fin, lorsqu’il rencontre celle qui deviendra sa femme, Dina, l’écriture se fait fervente, pleine d’amour et de vénération pour celle qui le rend enfin à la vie.
Mais ces qualités furent insuffisantes à me donner du plaisir. Quand je pense que Martin Gray a écrit une suite à Au nom de tous les miens ! Pitié, monsieur Gray, Au nom du lecteur, faîtes une minute de silence pour les vôtres !
A découvrir aussi
- Abha Dawesar : L’Inde en héritage/Un « héritage » dont on se serait bien passé.
- Ch’onMyonggwan : Une famille à l’ancienne/Une famille peu fréquentable
- Gabriel Garcia Marquez : L’amour aux temps du choléra/Aux temps de l’ennui
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 38 autres membres