LECTURES VAGABONDES

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Marie Nimier : Je suis un homme /Je ne suis pas Marie Nimier

            

          Il paraît qu’un des vœux caressé par tout humain serait de changer de sexe pour quelques jours, juste histoire de voir ce que ça ferait d’être un homme quand on est une femme, d’être une femme quand on est un homme. Certes, la curiosité est surtout tournée vers la sexualité : c’est comment l’orgasme éprouvé par l’autre sexe que le sien ? Pour ma part, je dois dire que changer de sexe pour quelques jours n’est pas une curiosité qui m’interpelle. Cependant, Marie Nimier ne semble guère être de mon avis puisqu’elle se glisse dans la peau d’un homme le temps d’un roman paru en 2013 aux éditions Gallimard : Je suis un homme.

 

              Ce roman raconte donc la vie d’un homme plutôt ordinaire : Alexis Leriche. Particularité, il souffre d’une hyper-audition qui lui pollue la vie. Le jour de l’enterrement de sa mère, Alex rencontre la petite amie de son frère, Louise avec laquelle il aura une liaison brève. Ensuite, alors qu’il consulte une voyante, il a une révélation : la femme de sa vie, c’est Delphine, une ancienne copine de lycée qui était, à l’époque, amoureuse de lui. Il la retrouve, et rencontre par la même occasion, sa meilleure amie : Zoé. Cependant, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu car c’est avec Zoé qu’Alex aura une liaison, c’est Zoé qu’il épousera. Cependant, Delphine continue de le hanter. Un jour, Alex est victime d’un accident qui le paralyse à partir du bassin. C’est alors que l’imprévisible se produit. Il semblerait qu’Alex, devenu impuissant, plaise davantage aux femmes puisque Delphine rejoint Zoé pour une formidable partie à trois un peu spéciale.

 

              Dans Je suis un homme, Marie Nimier annonce clairement la couleur dans le titre : elle est une femme, mais elle a voulu, dans ce roman, se départir de son sexe pour glisser dans le sexe masculin - auquel, par la force des choses, elle n’appartient pas - et raconter le monde selon une approche masculine.

Dès le départ, je dois dire que ce parti-pris m’a laissée songeuse : un romancier se glisse indifféremment dans la peau d’hommes, de femmes, d’enfants, de bourgeois, de paysans, d’ouvriers, d’intellectuels… En effet, le romancier se singularise par sa faculté à devenir autre à chaque fois qu’il crée un personnage ! Inutile d’annoncer ainsi la couleur ! Flaubert déclare que madame Bovary, c’est lui, mais c’est aussi Charles, Rodolphe, Homais, et tous ceux qui composent son fabuleux roman : Madame Bovary. Alors, lorsqu’on annonce avec une telle superbe : Je suis un homme, ma foi, je tique. Les hommes n’ont-ils jamais parlé d’eux-mêmes dans leurs romans ? Une femme qui deviendrait homme le temps d’un roman, est-ce si nouveau ? Mais surtout, si le but du roman, c’est de faire un portrait d’homme qui doit supporter les acrimonies et les fantasmes d’un féminisme douteux, je dis que le livre risque bien de m’énerver plus qu’autre chose. Et bien évidemment, c’est ici le cas. Marie Nimier se glisse, certes, dans la peau d’un homme, mais c’est pour en faire une malheureuse marionnette asservie à ses fantasmes féministes.

         Nous passons donc rapidement sur l’enfance et l’adolescence d’Alex… Parents divorcés, mère morte d’un cancer… Nous passons aussi rapidement sur ses velléités professionnelles : souffrant d’acouphènes, Alex se lance néanmoins dans une affaire : le paradis des voix. Il s’agit de trouver et de thésauriser des voix qui pourront ensuite faire l’affaire dans des pubs, des doublages…. Bref, Alex est un agent pour voix. Inutile de dire qu’ici, on nage en pleine culture bobo parisienne, mais peu importe. Cette partie-là du roman ne parait pas être fondamentale pour Marie Nimier ! Quel dommage ! Il me paraît que si on veut être un homme et faire le portrait d’un vrai homme, il faut parler de l’éducation qu’il a reçue, de son environnement familial, des études qu’il a suivies, de sa classe sociale… Tout cela rentre en ligne de compte pour comprendre sa personnalité, ne croyez-vous pas ? Eh bien non, il faut croire que non. Pour Marie Nimier, c’est surtout la vie sentimentale… et sexuelle qui forge un homme. Allons donc : nous partons sur un de ces sacro-saints romans féministes qui parlent des hommes seulement dans leurs rapports aux femmes, dans leur rapport à la quéquette, dans leurs obsessions sexuelles. Bon. Nous aurons donc un portrait  d’homme réduit à « un homme, c’est un truc de chair et de sang qui possède un pénis et des couilles entre les jambes et tout s’explique par là ». Ainsi donc, si vous êtes comme moi, je dirais que nous n’avons pas franchement envie de découvrir ce monsieur « bite et couilles » nommé Alex tout droit sorti du cerveau de Marie Nimier, mais allons-y quand même.

        Qui est donc cet homme, que Marie Nimier érige comme un paradigme ? Bien évidemment, Alex ne pense qu’au sexe… à son sexe en particulier. Il voudrait qu’il soit plus grand, plus gros. Certes. Il paraît que c’est une préoccupation masculine : la taille de leurs bazars. Je n’en suis pas totalement persuadée… peut-être est-ce la préoccupation de ceux qui veulent faire du porno, mais quid des autres ? Pas convaincue qu’ils soient obnubilés par ça, dans l’ensemble. Cependant, Marie Nimier, faisant preuve d’originalité et de finesse, décide d’intégrer dans son homme cette obsession : la taille de la bite et des couilles. Okay ! Alex passe donc son temps à se jauger : elle est belle, elle est dure, elle est raide, elle est longue, grosse…. Pffft.

          Alex peut aussi avoir des pulsions violentes au lit. Avec Louise, il se montre violent et la pauvre saigne pendant les rapports sexuels : elle laisse donc tomber Alex pour retourner avec le frère de celui-ci duquel elle aura des enfants dans une union légitime. D’une manière générale, Alex ne pense qu’au sexe et pas de manière romantique ou éthérée : quand il voit Delphine, c’est avant tout à ses jambes, à ses seins, à sa bouche, qu’il pense… bref, c’est son corps qui l’attire. Qu’elle soit intelligente, cultivée, gentille ou encore bête et méchante…. Tout ça n’entre pas en ligne de compte. Une femme, c’est avant tout un corps de femme. Point barre. Et bien sûr, le point d’orgue de la sexualité d’Alex fut entre autre, le jour où Zoé a accepté de se laisser enculer. J’arrêterai là ce portrait d’homme qui me dégoûte et qui ne me semble correspondre à aucune réalité autre que celle des préjugés et des idées préconçues. Bien sûr, un homme pense au sexe, au corps des femmes. Mais autant Marie Nimier dépouille son personnage d’homme de son passé, de son vécu, de la classe sociale dans laquelle il évolue – et qui pourtant expliquent sa personnalité - autant elle le dépouille aussi de sa cérébralité et de son  affectivité. Eh quoi ! On ne peut résumer un homme à des fantasmes sexuels ! Sinon, il n’y aurait pas tant d’histoires de femmes qui se prennent des râteaux dans la vie ! Il faut donc en conclure que les hommes pensent au sexe… mais pas avec n’importe qui, contrairement à ALex.

En dehors de cette vision stéréotypée de la nature masculine obsédée par le sexe dans tous ses états particulièrement s’il y a violence et asservissement de la femme (on nage en plein film porno !), Marie Nimier nous gratifie de ses fantasmes féministes concernant les hommes.

          En effet, Alex a des côtés pleutres : il se laisse contrôler par les aléas de la vie. Ce sont les filles qui le catalysent pour monter son affaire « Le paradis des voix ». Lorsqu’il découvre le journal intime de Zoé, il le lit en cachette et est obnubilé par l’image qu’il renvoie auprès des femmes. Il veut que les femmes le considèrent comme un homme, un vrai, alors qu’il a la sensation d’être tout petit, ridicule ! Fichtre ! Je ne sais pas si un homme ne se préoccupe que de ce que les femmes pensent de lui… et quant au reste, je pense aussi que les femmes ont souvent l’impression de ne pas être à la hauteur de ce qu’exige le statut imaginaire de femme. Voilà pourquoi Marie Nimier qui prétend faire le portrait paradigmatique d’un homme se met le doigt dans l’œil. L’Homme, ça n’existe pas, pas plus que La Femme n’existe. Il y a des hommes et des femmes et ils sont tous différents. Pour le coup, avec le personnages d’Alex, nous en apprenons plus sur les fantasmes féministes de Marie Nimier que sur le supposé caractère profond de la masculinité.

           Sur ce point, la fin du roman est tout à fait remarquable : Marie Nimier fait de son homme, Alex, un impuissant. Peut-être, certaines femmes ont-elles le fantasme de l’émasculation ? Beurk. Mais c’est en étant impuissant qu’Alex découvre l’extase car il se fait peloter par Zoé et Delphine, la femme de ses rêves érotiques, tandis qu’il prend son pied à les regarder se lécher le minou. Marie Nimier est bien gentille, mais autant qu’elle annonce la couleur tout de suite : si elle ne veut pas d’homme dans son lit, si elle préfère une femme, inutile d’imaginer une telle fin humiliante pour le pauvre Alex qui ne peut plus qu’être un voyeur passif au lit. Elle aurait pu le faire mourir dans l’accident, et imaginer que les deux filles, en guise de consolation, s’envoient en l’air ensemble en souvenir de lui ! Je plaisante ! Mais quand on a sous les yeux une telle fin grand-guignol, on a envie d’en rajouter dans le grotesque.

           Bref, si je résume : Je suis un homme veut dire : je suis obsédé sexuel, pleutre, et finalement, les femmes me préfèrent quand je ne peux plus bander et que je ne suis qu’une pauvre petite chose pathétique et inoffensive. Bravo, Marie Nimier ! Vous êtes un homme et vous avez su porter haut ce portrait d’homme finement ciselé d’un Alex qui trouve le bonheur lorsqu’il n’est plus tout à fait un homme. Vous êtes une femme et vous n’avez pas eu honte de laisser libre court à vos rancœurs rentrées contre les hommes : vous les préférez sans bite, soumis, inoffensifs… ce serait peut-être mieux sans eux, finalement !   



12/09/2021
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