LECTURES VAGABONDES

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Lucia Puenzo : Wakolda/Wakolda vs Herlitzka

       

  Sans aucun doute, les hauts dignitaires nazis du IIIème Reich nous fascinent tous un peu car ils sont l’incarnation du mal. Parmi eux, Josef Mengele, le tristement célèbre médecin d’Auschwitz, bien connu pour ses expériences médicales sur les enfants et particulièrement sur les jumeaux, n’est pas en reste puisqu’il a aussi pris une part importante dans la sélection qui s’effectuait à l’arrivée des trains de la mort dans le camp d’Auschwitz. Avec Lucia Puenzo et son roman Wakolda, paru en 2013 aux éditions Stock, nous allons faire connaissance avec le Josef Mengele en fuite en Argentine, après l’effondrement du Reich.

 

          Alors qu’il est traqué, Josef Mengele quitte femme et enfants avec une petite valise et ses précieux carnets dans lequel il note ses observations issues des expériences médicales qu’il a pu mener sur des cobayes humains ou non. Sa route va croiser celle d’une enfant nommée Lilith, atteinte de nanisme. Celle-ci a 12 ans et suit ses parents qui ont l’intention de reprendre une pension familiale à Bariloche, en Patagonie. Mengele va suivre en voiture la famille de Lilith car lui aussi veut se rendre à Bariloche. Alors qu’un rude orage s’abat sur la Patagonie, notre équipée s’arrête dans une pension familiale qui les héberge pour la nuit. Là, Josef et Lilith se rapprochent ; en effet, le médecin répare la poupée de Lilith, Herlitzka. A la faveur de la nuit, la fille de la pension, Yanka, échange sa poupée nommée Wakolda contre celle de Lilith. Le lendemain, tout le monde reprend la route sous un beau soleil. Arrivés à Bariloche, Mengele insiste pour prendre une chambre dans la pension familiale d’Enzo, Eva et leurs enfants (Lilith, Tomas, Polo). En effet, il est fasciné par la différence de Lilith mais aussi par Eva qui est enceinte. Enfin, le père de Lilith, Enzo, fabrique des poupées de porcelaine à l’image d’Herlitzka, parfaite réplique de la beauté aryenne, ce qui fascine également Mengele. La petite Lilith noue avec le sinistre médecin d’Auschwitz des relations troubles faites d’attirance et de répulsion ; en effet, la petite fille conçoit des doutes sur le passé de Josef puisqu’elle a eu l’opportunité d’ouvrir les carnets personnels du médecin. Cependant, elle se tait et souhaite même participer à une nouvelle expérience : il s’agit de lui inoculer des hormones de croissance qui la feront grandir. Après moultes réticences, les parents de Lilith acceptent, d’autant plus que Mengele désire investir dans la fabrication à grande échelle des poupées blondes du type d’Herlitzka. Mais lorsque Lilith brandit devant lui la poupée Wakolda, Mengele est désappointé : Wakolda est une poupée de chiffon de type mapuche (tribu indienne indigène d’Argentine). Mais peu importe : désormais, il est bientôt temps de partir : des agents du Mossad viennent d’arrêter Eichmann et de l’extrader vers Israël. Et puis, il y a cette Nora Eldoc qui semble s’intéresser d’un peu trop près à Mengele ; en fait, elle fut victime du sinistre docteur Mengele qui l’a rendue stérile au cours de ses expérimentations à Auschwitz. Pourtant, Mengele tarde à partir : en effet, Eva a accouché de jumelles sur lesquelles Mengele fait des expériences en douce. Et puis, il y a Lilith qui grandit et qui fait … à peu près tout ce que veut son bon docteur. Mais alors que la menace d’une arrestation se rapproche, Mengele s’enfuit grâce à l’hydravion des voisins sous les yeux de la petite Lilith qui se sent honteusement complice de ce monstre. Dans le même temps, Nora Eldoc sera retrouvée morte dans la montagne. Quant aux poupées, elles sont un symbole de l’attachement aux thèses nazies de pureté raciale et en détenir une est un signe de ralliement à cette cause.  

 

          Wakolda nous plonge dans la période trouble de la traque des criminels de guerre nazis et propose un portrait ambigu de Josef Mengele, le célèbre médecin tortionnaire d'Auschwitz. C'est un homme à priori gentil avec les enfants ; en effet, il les amadoue pour pouvoir les approcher et les observer. Sous des abords avenants et inoffensifs, il est très vite inquiétant car son idéologie de pureté raciale tourne à l’obsession : il va même jusqu’à fabriquer des poupées qui auront tous les traits physiques de l'aryanisme pur et cette production fait penser à la recherche qu’il menait sur les enfants cobayes d’Auschwitz. D’ailleurs les poupées en fabrication et par conséquent désarticulées (têtes, membres et troncs épars) font penser aux charniers d’Auschwitz où on distingue surtout des membres en vrac. Le rapport que Mengele entretient avec les poupées est d'autant plus rouble que Lilith est petite, blonde et qu’elle aurait dû s’appeler Herlitzka comme sa poupée aryenne.

          Cependant, la petite Lilith est aussi un personnage ambigu. Face à tout ce que Mengele peut lui dire ou lui faire, elle se tait. Par ailleurs, elle va dans une école allemande et sa poupée mapuche sert de réservoir secret pour y cacher les yeux des poupées aryennes de Mengele. Elle est donc sa complice muette et soumise.  

          La force du roman, c'est de jouer sur l’ellipse et le non-dit : que s’est-il vraiment passé entre Lilith et Mengele ? Le médecin s'est-il contenté de faire à Lilith des piqures d'hormones de croissance ? Y a-t-il eu des actes pédophiles entre eux ? On ne sait pas ; on peut supposer.

          Et puis, qui a tué Nora Eldoc, la femme qui recherche Mengele ? Serait-ce des amis du brave docteur ?  Ainsi, progressivement, on découvre l’ampleur de la protection dont bénéficient les nazis en Argentine. Partout, des partisans nazis sont là pour aider Mengele à s’évader. Un réseau se forme avec comme signe de ralliement secret les poupées Herlitzka. Et puis, nombreux sont les points communs entre l’Argentine et l’Allemagne : en effet, ce pays d'Amérique du Sud s'est rendu coupable d'un génocide contre les Mapuches – une tribu indienne - dont Wakolda, la poupée, est l’emblème puisqu’elle appartient à Yanka, une petite mapuche rencontré par Lilith lors du voyage vers Bariloche.

          Vous l'aurez donc compris, Wakolda est un bon thriller psychologique et bien plus que ça ! C'est aussi un roman qui traite de l'horreur du nazisme qui, même lorsqu’il semble appartenir au passé, est toujours présent en latence. Et bien évidemment, toujours aussi horrible, même dans un présent qui peut paraître apaisé.

 

 

 



11/09/2022
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