LECTURES VAGABONDES

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Lionel Shriver : Propriétés privées

          

     Voici un recueil de nouvelles bien plaisant, drôle et caustique, comme on les aime. La ligne directrice de cet ensemble, c’est la propriété dans tous ses états. De quoi se moquer copieusement des travers et des tics de nos contemporains ! Lionel Shriver s’en donne à cœur-joie dans Propriétés privées, recueil de nouvelles qui paraît en 2020 aux éditions Belfond.

 

                Le lustre en pied : Weston Babansky et Jillian Frisk sont les meilleurs amis du monde. Ils ont eu, à l’occasion, quelques relations plus intimes. Un jour, Weston rencontre Paige et décide de l’épouser. Comme cadeau de mariage, Jillian offre au couple un lustre en pied, sculpture très personnelle faite avec des objets intimes. Notre artiste aime profondément cet objet. Cependant, Paige voit d’un mauvais œil la relation de son mari avec Jillian. Elle intime à celui-ci de rompre avec son amie. Ce qu’il fait, avec difficulté. Un jour, Jillian décide de récupérer le lustre en pied, le cadeau de mariage qu’elle avait fait à Weston. Mais le couple s’est finalement attaché à cet objet insolite, au point de le considérer comme pièce majeure de leur salon. Ils refusent de rendre le lustre.

                Le sycomore à ensemencement spontané : Depuis qu’elle est veuve, Jeannette doit entretenir seule le jardin. Or, le sycomore de son voisin, Burt, ne cesse de laisser tomber des graines dans son jardin ; graines qui, bien entendu, éclosent et donnent naissance à des arbres foisonnants. Un jour, Jeannette monte sur le mur afin de scier une branche du sycomore. Mais elle tombe et c’est son voisin Burt qui la soigne. Un nouvel amour éclot par la suite.

                Terrorisme domestique : Liam, désormais adulte, refuse de quitter le giron familial, malgré la pression de ses parents Court et Harriet. Un jour, excédés, ces derniers le mettent à la porte. Alors Liam campe dans le jardin et défend sa cause un peu partout si bien que ce battage médiatique contraint ses parents à le reprendre. Jamais Liam ne s’en ira, même lorsqu’il fondera une famille. Lorsque ses parents deviennent séniles, Liam s’occupe ainsi de transférer à maison à son nom.

                Poste restante : Gordon est postier et adore détourner des colis ou des courriers. Un jour, il tombe sur le courrier d’une certaine Deirdre qui souhaite revoir un ami d’enfance : Erskine. Gordon décide de se faire passer pour ce dernier afin de rencontrer Deirdre. Dissimuler sa véritable identité est un jeu périlleux et lorsque Deirdre et Gordon dont enfin devenus un couple, il révèle le subterfuge… et découvre que, depuis le début, Deirdre avait repéré son manège. Ensemble, ils adorent mettre leur nez dans le courrier et les colis des autres.

                Taux de change : Harold Ivy a toujours été économe pour ne pas dire radin. Son fils, Eliott a hérité de ce défaut. Lorsque Harold décède, Eliott se rend compte que jamais ni l’un ni l’autre n’ont profité de la vie. Mais le pli semble bien être pris et il est difficile pour Eliott de desserrer les cordons de la bourse.

                Kilifi Creek : Liana s’invite chez un couple de retraités aisés qui vivent à Kilifi sur la côte Kenyane. Un jour, cette pique-assiette heurte un rocher alors qu’elle se baigne dans la mer. C’est le début d’une collection quelque peu incongrue : celle des moments où elle a failli mourir, presque mourir. Jusqu’au jour où elle chute d’un immeuble… Cette fois-là, il n’y a pas eu de « presque ».

                Repossession : Helen achète une maison à Lansing Terrace. Une maison qui ne veut pas d’elle car chaque modification qu’elle apporte est un désastre au point qu’on peut penser que cette demeure est hantée. Helen va tout laisser dans ce lieu qui l’obsède : ses amis, son travail…. Et même sa vie.

                Le baume à lèvres : Peter Dimmock est dans un taxi, en route pour l’aéroport. Il va rendre visite à son père, mourant pour la xième fois. Il faut dire que c’est lui qui gère les affaires du vieil homme. Peter fait le point sur sa vie et se rend compte qu’il a toujours été docile. Docile face à un père envahissant et sévère, docile face à son frère et à sa sœur qui lui mettent toutes les corvées sur le dos…. Et même docile vis-à-vis de ce petit employé d’aéroport qui le fait mettre presque nu devant tout le monde parce qu’il a osé émettre un jugement. Dans sa poche, un baume à lèvres, tel une madeleine de Proust, lui rappelle qu’il aime son père. Mais peut-être cet employé d’aéroport va lui faire rater l’avion qui doit le mener auprès de son père, pour sans doute la dernière fois.

                Capitaux propres négatifs : Les Lander veulent divorcer. Cependant, l’affaire est ajournée car leur maison a perdu de sa valeur. Plutôt que de la vendre à perte, le couple continue à vivre ensemble dedans. Graham a une maîtresse et pour ne pas perdre la face, Rosalind s’invente un amant. Jusqu’au jour où Graham et Rosalind se rendent compte qu’ils ne veulent plus divorcer… même si la maison est redevenue une bonne affaire !

                Les nuisibles : Michaël est obsédé par les nuisibles qui envahissent sa propriété, notamment des ratons-laveurs. Il va même jusqu’à mettre sa demeure en péril. Un jour, il décide de barricader l’endroit où ils nichent. Mais les ratons-laveurs font de leur ancienne tanière leurs nouvelles latrines.

                Paradis et perdition : Barry est un escroc. Après avoir détourné un gros paquet d’argent de la boîte dans laquelle il travaillait, il part se la couler douce dans un hôtel de luxe situé dans un paradis sur terre. Cependant, le régime laxiste et très alangui où tout est à portée de main le fait grossir. Barry décide donc de se serrer la ceinture. Mais plus rien ne va désormais car Barry se languit d’action, de friction. Il décide de se rendre de lui-même à la prison car là, il devra vivre à la dure.

                La sous-locataire : Sara Moseley est américaine mais vit depuis plusieurs années à Belfast où elle est journaliste. Certes, elle commence à s’encroûter dans cette ville où les événements sanglants qui ont déchiré l’Irlande appartiennent au passé. Elle décide donc de partir pour Bangkok et de sous-louer son appartement de Belfast. C’est une certaine Emer qui est choisie. A son retour de vacances, Sara se rend compte que sa sous-locataire a mis le bazar partout et qu’elle a également dévoré ses provisions. Par ailleurs, impossible de la déloger pour les quelques semaines qui restent avant le départ de Sara pour Bangkok. La cohabitation est difficile car Emer continue à se comporter de manière indécente. Cependant, lorsque Sara décide finalement de rester à Belfast, Emer s’envole sans difficultés pour d’autres cieux. Elle lui laisse même une belle somme d’argent pour le dérangement. C’est alors que Sara se rend compte qu’Emer lui manque.

   

               « Dis-moi ce que tu possèdes et je te dirai qui tu es ». C’est le proverbe qui colle à la peau de ce recueil de nouvelles. A travers ces 12 histoires, on se rend compte à quel point les choses matérielles nous phagocytent, jusqu’à diriger nos comportements, notre vie. Si elles nous régissent, elles régissent aussi nos rapports aux autres. Voyons un peu les dimensions les plus importantes que les choses dont nous sommes en possession prennent dans nos vies.

                La première nouvelle – Le lustre en pied – montre à quel point la possession d’un objet traduit les relations ambiguës qui peuvent exister entre des personnes. Jillian offre un objet intime à son meilleur ami et dès lors, cet objet devient une manière de posséder la personne qui a offert ce dernier.

                Plusieurs autres nouvelles traitent du thème des relations humaines qui se dégradent lorsqu’elles sont gangrenées par la possession d’objets. La dernière nouvelle – La sous-locataire – est particulièrement éloquente. Sara se voit dépossédée d’elle-même lorsqu’Emer s’installe chez elle et consomme tout ce qui lui appartient. Cette dernière occupe même sa chambre, son lit. Alors, l’acrimonie s’installe entre les deux femmes.

                Cependant, posséder peut aussi apporter bonheur ou malheur. Bonheur lorsque la maison qui appartient à un couple qui veut divorcer – Capitaux propres négatifs – va finalement les rapprocher et les réunir.  Malheur aussi dans Paradis et perdition lorsque Barry est écœuré d’avoir à lui tout ce qu’il désire et n’aspire plus désormais qu’au dénuement.  

                Et puis, les objets peuvent aussi contenir des souvenirs, des sentiments enfouis qui ressurgissent, tels une madeleine de Proust, lorsqu’on entre en contact avec eux. C’est le cas de l’odeur et du goût d’un baume à lèvre – dans Le baume à lèvres - qui rappelle à Peter à quel point il aimait et admirait son père, enfant.

                Enfin, lorsqu’on croit posséder quelque chose, on peut finalement se rendre compte que c’est ce quelque chose qui finalement nous possède. Lorsque dans Repossession, la maison occupée par Helen semble hantée par la propriétaire précédente, Helen est poussée au suicide.

                Voilà donc les principales dimensions que prennent dans nos vies le fait de posséder, d’être propriétaire. Si ce thème vous intéresse, je ne saurais trop vous conseiller de lire Les choses de Pérec. Un roman un peu plus ancien, mais tellement moderne !    

 



11/12/2023
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