LECTURES VAGABONDES

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Eric-Emmanuel Schmitt : La vengeance du pardon

 

        Avec un titre aussi abscond que celui-ci – La vengeance du pardon – on se demande si on fait bien d’ouvrir ce recueil de quatre récits composés par Eric-Emmanuel Schmitt en 2017 et paru aux éditions Albin Michel.

 

          Le premier récit s’intitule Les sœurs Barbarin : Lily et Moïsette sont sœurs jumelles. Moïsette éprouve de l’envie envers Lily, première née, celle qui fut désirée. Le jour où cette dernière tombe amoureuse de Fabien Gerbier, Moïsette couche avec lui en se faisant passer pour sa sœur. Lorsqu’elle l’apprend, Lily fait une tentative de suicide. Sauvée, elle épouse ensuite Paul Denis, un étudiant en droit brillant. Sa sœur, Moïsette épouse le richissime Xavier Forêt. L’une comme l’autre ne peuvent avoir d’enfant mais alors que le mariage de Lily est heureux, celui de Moïsette l’est beaucoup moins et cette dernière finit par divorcer. Après la mort de son mari, Lily vit avec sa sœur qui continue de l’envier…. Mais qui a tué Moïsette ? Est-elle tombée dans le puits par accident ? Au procès, Lily est acquittée. Mais Fabien découvre que Moïsette n’est pas morte. Elle a simplement pris l’identité de sa sœur après l’avoir poussée dans le puits. Cette découverte lui sera fatale.

          Le second récit s’intitule Mademoiselle Butterfly : William Golden est dans une impasse financière. Son fils s’est livré à des malversations et c’est toute la banque qui est menacée de faillite. Lorsqu’il était plus jeune, William a parié qu’il ferait de Mandine, une belle jeune fille souffrant de retard mental, sa maîtresse. Pari tenu. Mandine tombe enceinte et garde l’enfant tandis que William abandonne mère et fils. Plus tard, alors qu’il est riche et entreprenant, William a un accident qui le rend stérile. Or, pour hériter de son oncle, il doit avoir un enfant. C’est alors qu’il se souvient de Mandine et de son fils, James. Il adopte l’enfant, s’attache à lui, et finit par le prendre avec lui pour l’élever dans l’opulence, au désespoir de sa mère, mise une nouvelle fois sur la touche. Lorsque la vie de James est menacée par un grave problème aux reins, Mandine se sacrifie pour son fils. Désormais, suivant cet exemplaire sacrifice, William décide d’endosser la faute de son fils qui s’est livré à une malversation financière. Lui seul ira en prison.

          Le troisième récit s’intitule La vengeance du pardon : Elise vit à Ensisheim, en Alsace et se rend souvent à la prison pour y visiter un serial killer nommé Sam Louis. L’homme a violé et tué Laure, la fille unique d’Elise. Cette dernière finit par pardonner son crime à Sam Louis. Le prisonnier ouvre enfin son cœur à l’humanité et se laisse toucher par l’amour d’Elise. C’est alors que celle-ci l’abandonne à sa solitude, préférant retourner à Paris avec le chat qu’elle a sauvé de la mort.

          Le quatrième récit s’intitule Dessine-moi un avion : Werner Von Breslau fut aviateur dans la Luftwaffe durant la seconde guerre mondiale. Son fils, Jochen, découvre que Werner adhère à un parti néonazi. Ce dernier s’explique : pour protéger l’avion qu’il pilotait et qu’il a caché, il cotise à ce parti qu’il hait, par ailleurs ; mais c’est le seul moyen de protéger un vestige du IIIème Reich. Cependant, Werner se découvre des points communs avec l’aviateur Antoine de Saint-Exupéry. Bien plus, il est désormais assuré que c’est lui qui a abattu l’avion du célèbre écrivain. Pris de remords, il décide de piloter une dernière fois son avion et de s’écraser sur le hangar qui abrite les vestiges du IIIème Reich afin de les anéantir.

 

          La vengeance du pardon offre donc quatre récits reliés par plusieurs points communs. Tout d’abord, chacun d’entre eux présente un personnage cynique qui, à un moment clef de sa vie sera touché par l’amour, véritable révélation qui changera le cours de son existence. C’est particulièrement le cas dans le second récit : William, qui parie qu’il saura séduire Mandine, handicapée mentale, qui l’abandonne alors qu’elle attend un enfant, qui lui enlève cet enfant pour pouvoir toucher un confortable héritage… finit par renoncer à tout, même à la liberté et à l’honneur, par amour pour ce fils et pour suivre l’exemple lumineux de sa mère, Mandine qui aura finalement su toucher son cœur.

Par ailleurs, ce bouleversement changera la donne et la position du personnage par rapport aux autres : de bourreau, il deviendra victime ou vice-versa. Le troisième récit, intitulé La vengeance du pardon, met en scène un violeur et assassin face à la mère d’une de ses victimes. En pardonnant et en faisant preuve d’amour envers le meurtrier de sa fille, Elise devient le bourreau de ce dernier puisqu’après avoir su se rendre indispensable, elle finit par l’abandonner à la solitude dans la prison.

         Inutile de dire que ces quatre récits constituent, pour chacun d’entre eux, un véritable thriller psychologique qui tient le lecteur en haleine.               

       Pourtant, l’intrigue est parfois un peu tirée par les cheveux. Je pense ici au dernier récit qui met en lumière un pilote de chasse engagé pendant la seconde guerre mondiale dans la Luftwaffe. Plus tard, alors qu’il se lie d’amitié avec une petite fille qui lui demande de dessiner un avion comme dans le petit prince de Saint-Exupéry, il découvre, à son contact, et le célèbre écrivain, et l’identité – c’est-à-dire lui-même - de celui qui a dézingué son avion, le vouant à la mort. Il faut bien avouer que les liens et les ressemblances entre les personnages sont trop apparents et artificiels : un aviateur qui œuvrait pour le IIIème Reich devient le bourreau de la mémoire des nazis en détruisant un hangar qui contient des vestiges ; et puis, cet aviateur qui est le bourreau involontaire d’Antoine de Saint-Exupéry, donne sa vie pour ruiner ce qui reste du IIIème Reich dans une mise en scène comparable des deux morts : l’avion de l’un et de l’autre s’abiment sur le sol. 

          Si on souligne que la densité des récits s’amenuise au fil des pages, on aura deviné que le manque d’inspiration se fait progressivement sentir lorsqu’on s’achemine vers la fin de ce recueil. A mon sens, la qualité et la finesse des histoires régresse d’un cran à chaque fois même si l’ensemble laisse une bonne impression d’ensemble. Alors même si le titre de ce recueil me semble bien lourd, tout arc-bouté qu’il est sur une improbable antithèse, on conseille d’aller faire un tour à la rencontre de ces personnages qui se vengent (sur eux ou sur les autres) tout en pardonnant (à eux ou aux autres). Fichtre !



04/04/2021
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