LECTURES VAGABONDES

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Lionel Duroy : Eugénia/Eugénia la bien née !

       

           Après la lecture chagrine qu’a constitué pour moi Le chagrin de Lionel Duroy, pas mauvaise joueuse, je me suis replongée dans le dernier roman de cet auteur, roman intitulé Eugénia, paru en 2018 aux éditions Julliard. Bien m’en a pris, car il s’avère que la lecture d’Eugénia m’a procuré un certain plaisir.

 

          Nous sommes en Roumanie, à la veille de la seconde guerre mondiale. Là, comme dans beaucoup de pays d’Europe en but à la montée des nationalismes et de l’antisémitisme, il n’est pas bon d’être juif. La jeune Eugénia Radulescu rencontre, grâce à sa professeure de littérature, Irina Costantina, l’écrivain juif Mihail Sébastian. La vie de cette jeune étudiante va basculer pour la première fois ce jour-là. L’écrivain est victime, sous ses yeux, de vexations et même de coups portés par des amis de son propre frère, Stephan. Ce dernier fait partie de la Légion de Fer, groupuscule férocement nationaliste et antisémite. Dès lors, Eugénia va se battre contre l’horreur de cette montée des violences qui ont lieu dans son pays contre les juifs. Il faut dire que le roi Carol II laisse entrer dans son gouvernement des membres de la Légion de Fer, notamment le très charismatique Codréanu. Cependant, l’histoire est chaotique : pendant un certain temps, le parti de la Légion de Fer est interdit et Codréanu sera assassiné dans sa prison. Tandis que des lois discriminantes sont prises à l’égard des juifs, que des coups et des vexations peuvent être communément portés à leur encontre en pleine rue, Eugénia entame une liaison avec Mihail dont elle tombe passionnément amoureuse. Cependant, l’homme ne partage pas ces sentiments ; il est amoureux de l’actrice juive Leny Caler qui, volage, ne l’aime pas vraiment. Cependant, la guerre éclate et le nouveau dirigeant roumain n’est autre que le héros de la première guerre mondiale, le maréchal Antonescu qui pactise avec Hitler. Il faut dire que la Roumanie est terrorisée à l’idée que les russes communistes puissent l’envahir et reprendre les provinces de Bessarabie et de la petite Bucovine. Eugénia, pour protéger l’homme qu’elle aime, Mihail, qui refuse de quitter la Roumanie et accepte avec fatalisme la situation dans laquelle vivent les juifs, lui offre sa chambre comme lieu de vie et d’écriture, à Bucarest. De son côté, en juin 41, elle est de retour à Jassy, sa ville natale. Là, elle sera témoin d’un horrible pogrom lié à la rupture du pacte Germano-soviétique : les juifs sont accusés de pactiser avec l’horrible Staline qui aurait donné l’ordre de bombarder la Roumanie ; bien évidemment, tout cela est faux. N’empêche que les juifs de Jassy sont torturés et massacrés tandis que leurs biens sont pillés. C’est cet événement qui poussera Eugénia à s’engager dans la résistance. Elle participera notamment au sabotage de la voie de chemin de fer qui devait acheminer des Panzers vers le front russe où le général Paulus est en train de perdre la bataille de Stalingrad. De retour à Jassy, Eugénia reprend sa casquette de journaliste et enquête pour connaître le fond de la pensée de ceux qui ont massacré les juifs lors du Pogrom de Jassy en 41. Elle est mal accueillie. Cependant, la guerre se termine et les roumains, sous l’égide du roi Michel, tournent le dos à Hitler et s’allient avec les russes pour libérer leur pays. Ironie du sort, Mihail, qui a échappé à la persécution contre les juifs qui a sérieusement secoué la Roumanie, meurt dans un accident, au moment de la libération.

 

          Avec Eugénia, Lionel Duroy signe un roman intéressant et assez prenant qui, néanmoins, a du mal à trouver sa voie.  Entre l’histoire d’amour, l’Histoire de la Roumanie avant et pendant la seconde guerre mondiale et le portrait d’une femme engagée, la narration va et vient mais peine à fusionner les trois veines. Elle se contente de les juxtaposer. L’histoire d’amour est assez insignifiante car elle n’existe quasiment pas et semble bien accessoire. Eugénia aime l’écrivain Mihail Sébastian qui lui préfère la volage Leny Caler et voilà un schéma sentimental à la Andromaque où l’un aime l’autre qui ne l’aime pas mais en aime un autre qui ne l’aime pas, etc….

          Eugénia comporte néanmoins une veine historique assez passionnante qui concerne la Roumanie à la fin des années 30 jusqu’à la moitié des années 40. On y suit la progression de l’antisémitisme, des lois contre les juifs, des pogroms qui se multiplient. La chose historique est d’autant plus intéressante que tous ces faits sont méconnus en France et que la façon dont Lionel Duroy les présente est de nature à susciter l’horreur et l’effroi chez le lecteur.

          Enfin, ce roman propose le portrait d’une femme déterminée : Eugénia. Elevée dans une famille antisémite, son frère ainé appartient à la Légion de fer, mouvement impliqué dans toutes les violences et les ségrégations qui ont frappé les juifs dans les années 30-40. Elle va se rebeller contre sa famille, quitte à rompre avec elle pendant quelques temps. La jeune fille est d’autant plus en total désaccord avec l’antisémitisme qui sévit alors en Roumanie qu’elle est amoureuse d’un juif. Mais son engagement va au-delà de cet amour puisqu’alors que Mihail se résigne à vivre dans la tourmente avec comme seul objectif l’écriture de son roman, Eugénia se révolte et contre l’avis de son amant, elle s’engage dans la résistance.

          Eugénia offre aussi une vision sans concession du monde intellectuel roumain de l’époque : on retrouve des noms célèbres comme celui de Mircea Eliade ou encore de Curzio Malaparte. Chose assez étonnante, il s’avère qu’ils ont participé aux mouvements antisémites de l’époque (notamment Mircea Eliade, farouchement antisémite). L’amitié qu’ils accordent à Mihail Sebastian fluctue selon le degré de rejet des juifs dans la société. De toute manière, Duroy se livre ici à une sorte de biographie romancée puisque tous les personnages et les faits sont réels.

          Une bonne pioche, donc, que ce roman – Eugénia de Lionel Duroy - qui sans être exceptionnel offre quand même un intérêt certain et un bon moment de lecture. Bien née donc - selon l'étymologie de ce prénom - que cette Eugénia !

 



11/07/2021
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