LECTURES VAGABONDES

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Laurel Zuckerman : Sorbonne Confidential /Fausses confidences

         

 

 

Avis aux lecteurs avides de confidences bien croustillantes sur le « mammouth-éducation nationale » : ne pas attendre de ce livre de Laurel Zuckerman : Sorbonne Confidential, paru en 2007 aux éditions Fayard autre chose qu’un témoignage vaguement aigri d’une ex-candidate malheureuse au concours de l’agrégation d’Anglais.

 

          En 2002, l’héroïne de Sorbonne Confidential, qui semble bien être Laurel Zuckerman elle-même, est licenciée. Elle se retrouve au chômage et décide de passer l’agrégation d’Anglais afin d’avoir un poste stable à vie. Très sûre d’elle puisqu’elle est française d’origine américaine et par conséquent parfaitement bilingue, qui plus est diplômée d’HEC, elle s’inscrit au concours en imaginant que l’affaire n’est qu’un jeu d’enfant. Notre héroïne va très vite déchanter : elle se tape des sales notes en version, en thème, doit apprendre à faire une dissertation « à la française ». Finalement, elle plante le concours et décide de ne plus jamais s’y représenter.

 

          Sorbonne Confidential, à travers le témoignage d’une candidate malheureuse au concours de l’Agrégation d’anglais se présente comme un pamphlet plus ou moins heureux, plus ou moins pertinent contre ce concours très élitiste, que Laurel Zuckerman considère comme étant totalement déconnecté de la réalité, et bien plus grave, totalement déconnecté de la langue anglaise dont Laurel Zuckerman estime détenir la substantifique moelle.

          Mais que reproche au juste Laurel Zuckerman au concours de l’agrégation d’Anglais ?

          Tout d’abord, l’inconfort de la Sorbonne… avec ses amphis surchauffés, mal ventilés, ses bancs de bois très durs, sans tablette pour prendre des notes. Bref. C’est de bonne guerre : il faut bien mettre le lecteur dans le contexte ! A concours vieillot et désuet, mobilier vieillot et désuet.

          Mais bien évidemment, c’est au contenu de l’agrégation que s’en prend surtout Laurel Zuckerman.

          En premier lieu, elle fustige l’élitisme du concours et l’aspect indigeste du contenu à se farcir. L’agrégation est un concours à programme et il faut lire tout l’apparat critique existant sur les œuvres dudit programme, ce qui implique une familiarisation plus ou moins heureuse et accomplie avec un jargon pointu et ardu. Par ailleurs, lorsque l’agrégé prendra ses fonctions en tant que professeur, quelle utilité aura-t-il de tout ce fatras ? Concours ardu, donc, en totale déconnexion avec le futur métier pour lequel il est pourtant le sésame. Là-dessus, Laurel Zuckerman sait faire preuve de clairvoyance :

 

          « Aucun de ces cours n’a de rapport avec l’enseignement » dit-elle « ni à l’université ni au lycée. C’est un concours, c’est tout. Les seuls talents d’enseignant que nous aurons, c’est nous qui devrons les développer. »

 

          Ensuite, c’est à la dissertation que Laurel Zuckerman s’en prend : exercice stérile, selon elle, et artificiel. Il suffit d’appliquer l’absurde principe « thèse/antithèse/synthèse » et le tour est joué ! Sauf que la pauvre se ramasse des piteuses en dissertation. Il est bien évident qu’un sujet de dissertation doit être traité avec un peu plus de finesse et le plan doit proposer une réponse nuancée à la question posée. En fait, Laurel Zuckerman conteste l’idée de prendre en considération des réponses insatisfaisantes à une question posée, principe directeur d’une bonne dissertation : perte de temps et surtout, quand on a la réponse, pourquoi, selon elle, s’embêter avec des « mais », des « cependant » ? Sans entrer dans le détail, je pense que l’exercice de dissertation est, au contraire, très formateur pour l’esprit : il nous force à considérer divers paramètres d’un problème donné et à formuler un avis nuancé sur chacun d’entre eux : ça s’appelle la concession, et c’est très utile de maîtriser ce truc-là quand on veut amadouer son interlocuteur. 

          Quant au problème de l’élitisme du concours, soit ! Mais qui peut le plus, peut le moins. Le métier d’enseignant souffre, depuis quelques décennies, d’une forte déconsidération sociale. La difficulté des concours de recrutement est finalement de dernier rempart qui nous protège d’une dégradation totale du métier, et dans son image, et dans sa pratique. Bien au contraire, Laurel Zuckerman devrait considérer le salaire d’un professeur (vraiment pas extraordinaire) au prorata de la difficulté du concours et du travail qui a dû être fourni pour faire partie de la maigre liste des agrégés.

          Ensuite, Laurel Zuckerman se livre à quelques observations liées à l’enseignement de la langue anglaise. Elle regrette qu’à l’agrégation d’anglais, il y ait tant de langue française ! La moitié des épreuves du concours sont à mener en français : la dissertation, la leçon… Ainsi, on peut être agrégé d’anglais et parler très mal cette langue ! Il suffit de briller en français et on obtient le nombre de points suffisants pour passer le cap. Par ailleurs, Laurel Zuckerman observe que les français usent de mots et de tournures inconnus des anglais eux-mêmes. Finalement, les professeurs agrégés d’anglais pourraient être nuls en langue anglaise, ne pas la parler couramment, être incapables d’enseigner une langue vivante dont la mission première est la communication.

 

          « Une analyse minutieuse m’amena à trois observations. Premièrement, comme Rebecca l’avait remarqué, le professeur préférait nettement l’anglais britannique à l’américain. Deuxièmement, il appliquait scrupuleusement certaines règles, étrangères au monde anglophone. Mais troisièmement, si les Français qui enseignaient l’anglais parvenaient à appliquer ces règles, je pourrais les acquérir aussi ».

 

          Je ne sais si Laurel Zuckerman dit vrai : je n’ai pas fait d’études d’anglais en spécialité. Cependant, je sais aussi que les anglais ont horreur qu’on considère leur langue comme un  simple outil de communication réduit à quelques mots de vocabulaire général, imprécis et à des règles grammaticales approximativement maîtrisées : leur langue est riche, elle a produit des œuvres littéraires considérables, et c’est en tant que telle qu’ils souhaitent qu’elle soit enseignée. Par ailleurs, je n’ai jamais eu l’impression que mes professeurs d’anglais ne maîtrisaient pas la langue. Peut-être y a-t-il quelques hiatus entre la lettre et l’usage de l’anglais, mais il me semble quand même qu’à ce niveau, Laurel Zuckerman fasse pas mal de pataquès pour quelques broutilles d’universitaires qui se targuent d’un parler châtié. 

          Par ailleurs, j’observe que notre écrivaine supporte mal de voir l’anglais britannique érigé comme maître étalon de la langue, au détriment de l’anglais américain. Son chauvinisme est tel qu’elle finit par considérer comme un handicap le fait d’être bilingue… et par accuser le concours d’effectuer une obscure ségrégation dont on ne saurait rien. Bref, remise en cause de l’anonymat du concours, ce qui me semble être une accusation totalement absurde et gratuite.

          Enfin, il me semble que Laurel Zuckerman ait très mal digéré son échec à l’agrégation : elle ne cesse d’affirmer qu’elle est diplômée d’HEC, qu’elle est bilingue… comme preuve que l’agrégation, c’est un truc bidon, injuste, obscur : sinon, la très douée Laurel Zuckerman l’aurait eu haut-la-main ! En réalité, je suis bien sûre que ce livre n’aurait jamais vu le jour si notre écrivaine avait réussi le concours. Et oui, je la soupçonne de faire preuve d’un peu de mauvaise foi : mariée, mère de deux enfants, a-t-elle travaillé suffisamment ? Après tout, parler couramment l’anglais ne signifie pas connaître la littérature anglaise et visiblement, c’est un peu ce qui a manqué à notre candidate... Elle fait également preuve de beaucoup d’aigreur et de rancœur : à tel point qu’elle finit par décider que l’agrégation, c’est un dispositif commercial destiné aux professeurs émérites qui écrivent les livres destinés aux candidats à l’agrégation et se font un maximum de fric avec tous les perdants qui ont néanmoins investi dans ces divers pensums à digérer pour faire partie du bienheureux corps enseignant.

          C’est un fait que Laurel Zuckerman est tellement chauvine et agressive avec la France qu’elle va finir par faire de moi la défenderesse de l’agrégation alors qu’en réalité, je partage pas mal de ses idées sur la chose (sauf en ce qui concerne la dissertation). Cependant, si elle reproche à ce concours d’être déconnecté des réalités du métier d’enseignant (ce qui est vrai), elle a elle-même déconnecté son propos sur l’agrégation des finalités qui lui sont liées : le métier d’enseignant. Or, il me semble que lorsqu’on veut argumenter sur un sujet aussi problématique, il faut mettre les tenants et les aboutissants sur table ! Elle n’a finalement pas grand-chose à reprocher aux enseignants qui œuvrent dans les classes de ses filles : alors, pourquoi tant de haine ?

 



25/06/2018
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