LECTURES VAGABONDES

          Eh non ! Il ne s’agit pas ici d’une histoire de zombies. Enfin ! Si peu ! Comme à son habitude, Laura Kasischke explore des thèmes dérangeants ; ici, celui du deuil qui ne peut s’accomplir. Cet excellent roman de Laura Kasischke porte le titre de Les revenants et paraît en France en 2011 aux éditions Christian Bourgeois éditeur.

           Nous sommes dans le Midwest, à l’université de Godwin Honors Hall. La jeune Nicole Werner, membre de la sororité Oméga Thêta Tau, vient de mourir, victime d’un accident dans la voiture conduite par son petit ami, Craig. La professeure de musique Shelly Lockes a vu l’accident et s’étonne que le journal qui relate l’affaire ne respecte pas son témoignage. Intriguée, elle va mener son enquête. De son côté, Mira Polson - dont la carrière est en standby et qui a quelques problèmes de couple avec son mari Clark (il n’en peut plus des jumeaux dont il doit s’occuper) – dispense un cours d’anthropologie sur les rites et les traditions liées à la mort. Perry, le voisin de chambre de Craig, persuadé du fait que Nicole est encore vivante, s’inscrit dans son cours pour en savoir un peu plus sur les phénomènes de résurrection. Mais revenons un peu en arrière, avant la mort de Nicole Werner. Entre elle et son petit-ami, Craig, le torchon brûle souvent, notamment à cause de la dévotion que la jeune fille porte envers sa sororité : Oméga, Thêta, Tau. Elle s’absente de longues soirées pour préparer des événements que Craig trouve débiles. Avec l’approche de printemps, il est question de procéder à une sorte de bizutage : on plonge dans l’inconscience les nouvelles jeunes filles membres de la sororité, et celles-ci se réveillent dans un cercueil, persuadées d’être ressuscitées. Et puis, Craig est très amoureux et jaloux. Jaloux d’abord d’un infirmier, présent pour assister à ce que les sœurs appellent « La Renaissance », et qu’il aurait vu danser avec Nicole. Jaloux aussi de Perry, qui fut l’amant de Nicole alors qu’ils vivaient dans la petite ville du New Hampshire, Bad Axe… et qui l’est encore, parfois. Jaloux encore lorsque Perry lui annonce qu’elle couche avec de nombreux garçons alors qu’elle se refuse à lui, Craig, son petit-ami officiel. Au moment où Nicole est enterrée en grandes pompes, une autre étudiante, Denise Graham disparaît. Et puis, il y a cette légende de Alice Meyers qui reviendrait hanter la bibliothèque de l’université. De son côté, Craig, blessé dans l’accident qui a coûté la vie à Nicole, en a perdu tout souvenir. Bientôt, Perry et la professeure Mira Polson mènent l’enquête, d’autant plus que le doyen de l’université voit d’un mauvais œil les recherches de cette dernière sur Nicole et menace de l’évincer de son poste d’enseignante. Puis, c’est au tour de Shelly Lockes de se lancer dans l’aventure. Elle aussi a été évincée de l’université depuis que sa liaison avec Josie Reilly, une étudiante, a été dévoilée. Lors d’une visite à la morgue, Mira Polson et Perry découvrent le cadavre de Lucas, jeune homme persuadé d’avoir couché avec le fantôme de Nicole. Mais c’est la visite chez la mère de la jeune étudiante disparue, Denise Graham, qui s’avère être perturbante. En effet, Ellen, la mère, est persuadée que sa fille est morte et que cette mort a à voir avec l’affaire Nicole Werner. Dès lors, une visite s’impose chez le thanatopracteur qui s’est occupé du cadavre de Nicole. La photo du visage reconstitué qu’il a prise après son travail de réparation – et que personne n’a vu, le cercueil étant resté fermé – ne correspond pas du tout à celui de Nicole. De plus, les recherches ADN prouvent que la fille du cercueil ne peut être Nicole. D’ailleurs, peu de temps après ces révélations, Craig a vu Nicole sortir de la sororité Oméga, Thêta, Thau en compagnie de Josie. Que penser ? Shelly, témoin de l’accident, est persuadée que la fille qui gisait sur le sol près de la voiture était encore vivante. Dès lors, l’idée d’une substitution de personnes voit le jour. L’accident aurait été provoqué par une autre voiture qui contenait le cadavre de Denise Graham, décédée des suites de la cérémonie de « La Renaissance », et placée là par terre, incendiée, pour qu’on puisse croire que c’était Nicole, escamotée. A Craig, on aurait inoculé la drogue du violeur, utilisée pour la cérémonie de « La Renaissance », afin qu’il perde la mémoire immédiate des événements. En tout cas, tous ceux qui de près ou de loin ont fait des recherches sur Nicole ont été évincés de l’université. Quant à Perry, il trouvera la mort en voulant pénétrer dans la maison de la sororité Oméga Thêta Tau, tué d’un coup de feu tiré par une jeune fille persuadée qu’il s’agissait d’un cambrioleur. Et quand on a voulu exhumer le corps de Nicole Werner…. Le cercueil était vide !

          Les revenants est un roman passionnant d'une part, du fait de sa construction qui croise et décroise les histoires des personnages. Comme en suivant les fils d’une araignée tissant sa toile,  on va d’avant en arrière, afin de faire jour, petit à petit, sur le mystère de la mort de Nicole. Mais plus on avance, plus le mystère s’épaissit, s'enrichit et les données du départ changent car les faits établis au départ se renversent et se modifient.

          En effet, au début du roman, on croit que Craig est un glandeur, un garçon pas très sérieux, qui court les filles. Peu à peu, son profil évolue et ses caractéristiques s'inversent . Craig s'avère être, en fait, une victime des filles de la sororité Oméga Thêta Tau ; par ailleurs, il est fou amoureux de Nicole. Cette dernière se présente au départ comme plutôt prude et réservée. En réalité, elle est volage, se refusant seulement à Craig. Enfin, Perry, qui paraît être un garçon sérieux et studieux, a couché et couche encore avec Nicole, la petite amie de son meilleur ami. 

         Les revenants met aussi en lumière les pratiques obscures des sororités, sortes d'associations qui sont, aux Etats-Unis, de véritables institutions. Au sein de ces mystérieux cercles, la loi du silence et l'obéissance aux règles sont sacrées. Quand un problème se pose à la sororité, les filles se taisent et font corps si bien qu'il est impossible de découvrir la vérité. Par ailleurs, cette confrérie obéit à des rites et des coutumes secrètes et mystérieuses, souvent occultes.

          Les revenants, c'est aussi peut-être le roman le plus long écrit par Laura Kasischke. Il installe progressivement une atmosphère vénéneuse. Au fil des pages, le mystère s'épaissit et on est finalement troublé par le spectre fantastique des revenants : Nicole, normalement décédée, a été aperçue par plusieurs étudiants sur le campus ou à l'entrée du bâtiment de la sororité Oméga Thêta Tau ; Denise Graham, quant à elle, a disparu. Et puis, il y a le cas Alice Meyers, un fantôme qui reviendrait hanter la bibliothèque de l'université. Peu à peu, une autre explication se profile et elle est bien plus triviale puisque la disparition de Nicole couvrirait une bavure qu’il faut cacher : celle de la mort de Denise Graham, lors de la cérémonie de la Renaissance, cérémonie se déroulant au sein de la sororité. Cependant, à la fin du roman, on exhume le cercueil de Nicole, vide, et ce fait relance l’ambigüité : a-t-on voulu effacer toute trace d'une quelconque mort ou le cadavre de Nicole ou de Denise est-il ressuscité ?

          Enfin, Les revenants, C’est aussi une parabole sur l’impossible deuil. Bien longtemps après sa mort, Perry hante encore l’esprit de Mira Polson - le jeune homme avait établi avec cette professeure des relations peut-être un peu troubles. Quant à Nicole, Craig a bien du mal à tourner la page de l'accident dans lequel elle aurait trouvé la mort. D'ailleurs, il continue de la voir sur le campus : est-ce une réalité ou une hallucination liée à l'impossible oubli de cet amour ? Quoiqu'il en soit, l'idée que les morts ne nous quittent jamais totalement est au cœur du roman. D'ailleurs, c'est tellement vrai ! En cette semaine qui commémore le second-anniversaire du décès de ma mère, j'ai encore et toujours l'impression qu'elle me m'a pas quittée.