Eliette Abécassis : La répudiée… un roman qu’on ne peut répudier.
Voici un roman bien trop court à mon goût… mais d'une force sans doute inoubliable. C'est en 2000 qu'Eliette Abécassis publie La répudiée chez Albin Michel. Elle nous invite, par le biais de cette œuvre à pénétrer dans l'univers très fermé du judaïsme orthodoxe… et c'est un regard de femme qui est posé sur ce monde, chose plutôt rare !
Nous sommes en Israël, à Jérusalem, dans le quartier de Méa Shéarim, entre la vieille ville et la ville nouvelle… un quartier très orthodoxe, particulièrement attentif à la religion et aux traditions juives. Nous allons partager les dix années de mariage de Rachel et de Nathan. Un mariage arrangé… car chez les juifs, ce ne sont ni l'homme, ni la femme qui décident du choix d'un conjoint : c'est dieu. Ainsi, Rachel découvre-t-elle son mari le jour de l'union. Et le miracle se produit entre eux. C'est le coup de foudre… et le bonheur absolu. Absolu ? Pas tant que ça. Car dans la religion juive, l'union d'un homme et d'une femme doit forcément être féconde… sinon, c'est qu'elle ne respecte pas la volonté divine. Or, Rachel n'arrive pas à avoir d'enfant et craint le jour où Nathan, même s'il l'aime, la répudiera : car si une femme ne donne aucun enfant à son époux, au bout de dix ans, ce dernier peut décider de se séparer ainsi de son épouse. Il le peut… il n'y est pas obligé. Mais Nathan est très religieux… Il ira jusqu'au bout du commandement divin.
Une histoire très simple, donc, qui offre l'intérêt assez rare d'ouvrir le lecteur à la condition de la femme au sein de la religion juive, lorsqu'elle est suivie à la lettre.
Il est vrai que lorsqu'on pense aux femmes d'Israël, on imagine plutôt une femme « virile », une Golda Meir avec un fusil à l'épaule. Et certainement pas Rachel, la répudiée, qui correspond davantage dans nos têtes à ce qu'on sait de la condition des femmes en Afghanistan, sous les régimes des ayatollahs et autres talibans.
Quelques exemples édifiants : une femme mariée doit éviter tout ce qui pourrait séduire un autre homme que son mari : elle met de gros bas blancs, ne se maquille pas, porte un foulard. Une femme mariée ne doit pas marcher dans la rue aux côtés de son époux, mais derrière lui. A quelques pas de distance. Les femmes, dans la synagogue – comme dans une mosquée – prient à part, derrière une grille faite de gros barreaux de bois, un endroit nommé le poulailler. En réalité, elles assistent plutôt qu'elles ne prient à la cérémonie des hommes qui lisent et commentent la torah.
Mais je vais laisser la parole à Eliette Abécassis qui évoque bien mieux que moi les lois juives.
« Le seul but de la vie d'une fille d'Israël est de porter des enfants juifs et de permettre à son mari d'étudier. L'homme a été créé par Dieu pour étudier, alors que l'intelligence de la femme lui est donnée pour participer indirectement à la vie de la Torah en préparant à manger, en nettoyant sa maison et, surtout, en élevant les enfants. Quelle autre joie y a-t-il pour une femme ? Les enfants, c'est notre force. C'est comme ça que nous vaincrons. »
D'ailleurs, je ne suis pas convaincue que ces lois soient particulières à la religion juive… Elles sont le propre des trois religions les plus répandues à travers le monde. Juifs, musulmans, chrétiens : même combat ! Vive la laïcité !
Bien entendu, on retrouve aussi dans La répudiée le problème du corps de la femme… de son impureté : au moment des règles, retour chez maman et interdiction de toucher la nourriture.
« Nathan a trouvé un nom pour les jours impurs. Il me demande quand sera finie « ma maladie ». Il n'a pas tort. L'impureté mensuelle, c'est la maladie de la femme stérile. Mais on ne peut devenir pure que parce que l'on est impure. C'est pourquoi la femme, chaque mois, s'élève en se purifiant. Quand tout est fini, je me rends au bain rituel, je me déshabille, et, aidée par ma mère Hanna, je plonge dans le bassin d'eau froide, tête comprise : c'est une naissance. »
Et comment fait-on l'amour chez les juifs ?
« J'avais suivi un cours pour les femmes qui vont se marier. Je connaissais toutes les lois. L'homme doit être au-dessus de la femme, les deux époux doivent se faire face. La chambre doit être obscure. Il est interdit à l'homme d'embrasser sa femme dans les parties intimes. Et certains prescrivent de rester habillés. Cependant, on dit que nous, qui avons la Torah, nous croyons que Dieu a tout créé d'après le décret de Sa sagesse, et nous ne pouvons penser qu'il a créé quelque chose de vil ou de laid. Voici ce que nos sages ont déclaré : « au moment où l'homme se joint à sa femme dans la sainteté, la présence divine est entre eux. »
Beurk ! Je suppose qu'après le coït, le mâle court à la salle de bain pour se débarrasser de la souillure que constituent les sécrétions vaginales tandis que la femme laisse religieusement dégouliner entre ses jambes le trop-plein refroidi et collant de la divine semence. Bonne nuit les petits !
Bref, c'est la condition de la femme au cœur de la religion juive – mais aussi par extension, dans d'autres religions, comme je l'ai dit précédemment – qui me paraît être le thème principal de ce très beau roman dont la force est de ne pas dénoncer directement les choses. Car Rachel est une femme croyante. Elle ne se révolte pas contre la religion. Elle accepte son sort comme étant tout à fait normal, même s'il est douloureux. Et c'est cette humilité de notre héroïne qui révolte aussi un peu le lecteur. On se révolte à sa place, dira-t-on !
Mais la répudiée est aussi une fantastique histoire d'amour… Rachel aime Nathan au point de tout sacrifier pour lui. Bien sûr, un jour, elle a osé surmonter sa pudeur… elle est allée chez le gynécologue (chose interdite ! une femme ne peut se mettre nue que devant son époux)…. « Mais vous n'êtes absolument pas stérile, madame », s'est-elle entendue répondre. Cependant, elle gardera pour elle ce secret, acceptera la terrible humiliation de la répudiation, assistera aux noces de Nathan avec sa nouvelle épouse… Et… elle continuera de l'aimer… jusqu'au bout. Et que dire alors de l'écriture d'Abécassis lorsqu'elle évoque l'amour fou ? C'est majestueux… Les phrases sont courtes et d'une densité poétique teintée d'une solennité absolument splendide : certains passages ne sont d'ailleurs pas sans rappeler le cantique des cantiques : sans doute Abécassis s'est-elle inspirée de certains extraits de la Bible pour traduire l'amour, qui est finalement la religion de Rachel.
« En marchant je rêve de lui, dans mon cœur je l'appelle. Dans mon cœur demeure le sourire de ses lèvres, comme au jour où je l'ai vu pour la première fois. Oui, un rayon lumineux était sur nous, qui nous éclairait de sa blancheur absolue.
Il y a dix ans, je me souviens de ma nuit de noces. Mon sang a jailli sur le vêtement, je le laverai, oui, je le laverai en lieu saint. J'ai revêtu l'habit de lin, le feu de l'autel brûle sans s'éteindre, ainsi est la règle. A l'endroit où il m'aima, je m'immolerai, nous serons ensemble pour l'éternité. »
La répudiée est donc à la fois une œuvre militante et une somptueuse histoire d'amour tragique. Je sais bien qu'Abécassis est une écrivaine croyante et qu'elle a reçu pour ce roman le prix des écrivains croyants. Cependant, peut-être bien que la lecture du livre a l'effet inverse de celui escompté par Abécassis (dont je ne connais d'ailleurs pas véritablement les intentions : mais sans doute n'est-elle quand même pas trop amoureuse des pratiques trop orthodoxes, ça me paraît clair !) sur les lectrices françaises et pas trop religieuses ! Car si je lis les critiques des blogueurs et blogueuses sur La répudiée, c'est bien l'énervement et la révolte face à la soumission de Rachel qui revient sans cesse dans les articles publiés ! C'est pourquoi, peut-être à son corps défendant, (mais je ne crois pas ! ) je maintiens qu'Abécassis a ici écrit une œuvre libératrice pour les femmes soumises aux dures lois des religions.
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