LECTURES VAGABONDES

       Et me voilà repartie pour une nouvelle saga en trois tomes, la classique trilogie écrite par Jules Vallès et intitulée Jacques Vingtras. Le premier tome parait en 1879 et s’avère être le plus connu de l’ensemble ; il se nomme L’enfant.

           Comme le roman Poil de carotte de Jules Renard ou encore Vipère au poing d’Hervé Bazin, L’enfant aborde un sujet classique au XIXème siècle : l’enfance maltraitée. Nous allons suivre Jacques Vingtras depuis sa ville d’origine, Le Puy, jusqu’à Paris, à l’aube de l’adolescence. Entre temps, Jacques aura aussi vécu à Saint-Etienne et à Nantes. Elève assez doué, surtout en latin, il n’aime cependant pas l’école où il est maltraité par son père, professeur qui veille à sa réputation et ne veut pas réserver un sort plus confortable dans sa classe à son propre fils. Mais les autres élèves ne sont pas en reste et n’hésitent pas à persécuter Jacques, fils d’un professeur honni.

            Chez lui, ce n’est guère plus joyeux car Jacques est régulièrement molesté par sa propre mère, provinciale médiocre et ringarde qui aspire à devenir bourgeoise et rêve d’un destin brillant pour son fils. Malheureusement, ce dernier n’a aucune appétence pour les études et se sent davantage attiré par les métiers ouvriers simples et manuels au grand dam de sa mère. C’est d’ailleurs aussi au contact des ouvriers que Jacques Vingtras trouve quelques instants de bonheur.

           Bien évidemment, L’enfant comporte une large part autobiographique. N’oublions pas que Jules Vallès est un révolutionnaire convaincu qui a participé activement à la Commune de Paris et s’est engagé dans la défense de la cause ouvrière en fondant notamment le journal Le cri du peuple.

           Dans cet univers sombre, triste et routinier, Jacques connaît aussi des moments d’évasion et de plaisir grâce à son imaginaire. Il se passionne pour les romans d’aventure - notamment Robinson Crusoë – et se rêve en marin aventurier. Vers la fin de son enfance, il est envoyé à Paris en pension et si, au départ, il déteste cette trop grande ville, il y découvre l’histoire de la révolution française qui le séduit et l’exalte. La révolution ou rien ! A bas l’exploitation des ouvriers et du peuple par le grand capital ! Voilà désormais la devise de Jacques Vingtras qui vient de découvrir un sens à sa vie.   

           Et puis, vers la fin de son enfance, Jacques arrive à s’affranchir de l’autorité parfois violente de ses parents et découvre qu’il est un enfant aimé, même si cet amour reste caché. Le voilà prêt à aborder avec opiniâtreté une période décisive de la vie : l’adolescence et sa fougue. C’est dans le tome suivant que nous verrons grandir l’enfant Jacques Vingtras ; ce tome s’intitule Le bachelier.

Ainsi donc L’enfant est une œuvre très noire qui offre une vision cruelle des rapports humains, qu’ils soient familiaux ou professionnels. Si l’enfant est maltraité physiquement et moralement par ses parents et les acteurs de l’école, c’est que le monde est ainsi pétri de médiocrité, de cruauté et de bêtise :

           « Je m’étais rappelé tout d’un coup toute l’existence de mon père, les proviseurs bêtes, les élèves cruels, l’inspecteur lâche, et le professeur toujours humilié, malheureux, menacé de disgrâce. »

           Si L’enfant offre une vision noire de la médiocrité de cet univers de l’école qui, normalement, devrait œuvrer à l’épanouissement de l’être humain, alors qu’il est surtout prison et ennui, il propose aussi une vision truculente et vivante du dehors, et notamment du monde ouvrier. Peut-être aussi est-ce parce qu’il a été tellement empêtré dans ces univers quasi carcéraux que sont l’école et la famille Vingtras que Jacques se sent si exalté lorsqu’il est question de liberté et de révolution. Cette quête de liberté trouvera son point d’orgue dans le dernier tome de la trilogie intitulé L’insurgé.