LECTURES VAGABONDES

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Joyce Carol Oates : Petite sœur, mon amour/Une sœur très bien aimée

 

 

          C’est à partir d’un fait divers non élucidé – le meurtre d’une petite mini-Miss vedette de concours de beauté âgée de six ans – que Joyce Carol Oates a imaginé ce somptueux roman paru en 2010 aux éditions Philippe Rey et intitulé : Petite sœur, mon amour.

 

          Skyler Rampike a 19 ans. Jeune homme à la dérive, il raconte à sa manière un drame qui a marqué sa vie et qu’il souhaite exorciser : le meurtre de sa petite sœur, il y a dix ans ; elle s’appelait Bliss Rampike et gagnait de nombreux concours de patinage artistique. Au début, c’était sur le jeune Skyler que la famille Rampike avait misé : Bix Rampike, le père, espérait faire de son fils un grand gymnaste. Mais Skyler, un jour, s’est grièvement blessé à la jambe lors d’un entrainement, ce qui a mis fin à ses velléités sportives.

C’est sur sa petite sœur, Bliss, que la famille va bientôt miser car la gamine est une vraie star du patin à glace. Très vite, elle gagne tous les concours. Mais un jour, l’enfant est retrouvée morte dans la salle de chauffe de la villa des Rampike. Qui a assassiné la petite étoile montante du patinage artistique, Bliss Rampike ? C’est un pédophile dénommé Gunter Rusha qui est accusé du meurtre et qui avoue l’avoir commis. Il se suicide dans sa cellule quelques temps après. Pourtant, rien ne prouve que l’homme est le véritable assassin. D’autant plus qu’une cassette vidéo montre Skyler en train de pleurer et sa mère, Betsey, lui dire que personne n’en saura rien. Dix ans après le meurtre, Skyler Rampike pense toujours qu’il est peut-être l’assassin de sa sœur. Ce doute le ronge et le détruit. L’adolescent grandit dans des institutions psychiatriques, coupé de sa famille. Il se drogue. Renvoyé, il finit dans la rue, puis auprès du pasteur Bob qui le recueille dans sa mission évangélique. Cependant, sa mère est gravement malade et appelle Skyler qui décide de la revoir après tant d’années de séparation ; en effet, Betsey a médiatisé la mort de sa fille - devenue grâce à son décès, célèbre - pour se faire un nom et lancer une marque de produits de beauté à l’effigie de la petite disparue, ce qui dégoûte Skyler. Malheureusement, Betsey décède avant d’avoir revu son fils : une lettre l’attend, lettre dans laquelle Skyler apprend la vérité sur le meurtre de la petite Bliss.

 

          Avec Petite sœur, mon amour, Joyce Carol Oates fait encore mouche et dénonce de nombreux travers de la société américaine. Tout d’abord, est passé à la moulinette le business des enfants-stars dont les américains raffolent. On crée de petites poupées affriolantes, des femmes en miniatures, séduisantes et sexy, et on les livre aux médias, ce qui peut affoler tous les pédophiles en puissance. Et puis, la petite Bliss en a parfois assez de ces entrainements intensifs qui la blessent et la torturent : c’est son enfance qu’on lui vole. Mais la mère, Betsey Rampike, veut pousser toujours plus loin le bouchon : sans doute, à travers sa fille, prend-elle une revanche sur la vie. Plus tard, c’est en véritable parasite qu’elle devient une vraie femme d’affaires : elle exploite le nom et la renommée de sa défunte fille pour passer à la télévision et témoigner dans les talk-shows.

          Ensuite, la famille modèle américaine est également écornée : un couple bien sous tout rapport, deux enfants - un garçon et une fille – une belle villa située dans un quartier huppé du New Jersey – Fair Hills. Cependant, derrière cette apparence bien lisse et heureuse se cachent bien des tares : Bix est très pris par son travail et s’intéresse un peu trop à la gente féminine ; Betsey a une revanche à prendre sur la vie et passe tout d’abord son temps à cultiver des relations de voisinage très « hype » ; par ailleurs, son ambition est sans limites, puisque comme je l’ai dit plus haut, elle va exploiter l’image de sa fille de manière indécente afin de devenir, elle aussi, une star. Cependant, le couple Bix-Betsey va mal, au point qu’on est consterné, à la fin, lorsqu’on lit, avec Skyler, la dernière lettre de Betsey expliquant comment, par accident, elle a tué la petite Bliss : elle voulait faire croire à la disparition de l’enfant afin de faire revenir son mari auprès d’elle, mais l’ivresse et les calmants aidant, l’affaire a mal tourné.

          Par ailleurs, l’ensemble du roman bénéficie d’une écriture très particulière et très prenante ; c’est Skyler, désormais âgé de 19 ans, qui est le narrateur de toute l’histoire… un narrateur très perturbé, un peu bègue. Et l’écriture épouse le traumatisme du narrateur qui ne cesse de se répéter, d’ajouter des notes qui permettent de mettre l’histoire passée en perspective avec le présent du narrateur, qui finit par raconter aussi sa propre histoire : ainsi, un roman dans le roman voit le jour, car Skyler ne peut s’empêcher de raconter son premier amour, alors qu’il est dans une institution protégée, avec une autre fille très perturbée issue de parents très bien sous tout rapports : Heidi Harkness.

          On l’aura compris, comme à son habitude, Joyce Carol Oates nous offre un roman qui s’étire parfois en longueur, mais qui s’avère être très dense et solidement charpenté : autobiographie et biographie fictives, satire sociale, roman policier, le tout porté par des personnages contrastés : tantôt légers, tantôt pathétiques pour un rendu globalement très sombre. Rien de moins pour un moment de lecture inoubliable, qui immortalise toutes les enfances piétinées pour quelques instants de gloire : ainsi, une petite étoile brille désormais dans l’univers de la littérature : c’est celle de la petite JonBenet Ramsey, assassinée le soir de Noël 1996 et désormais totalement oubliée.    



11/11/2019
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