LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

José Frèches : Le centre d’appel/Appel manqué

 

Dans le monde actuel où la consommation est reine, s’est développée une activité pas toujours appréciée : le phoning ou télémarketing. En effet, il n’est pas toujours agréable d’être dérangé en plein repas par un inconnu qui tente de vous fourguer une quelconque camelote dont vous n’avez, la plupart du temps, guère besoin. José Frèches, dans son roman Le centre d’appel paru en 2006 aux éditions du Diable Vauvert, nous emmène dans un de ces centres situé à Dakar… mais aussi à Paris car c’est là qu’aboutissent certains appels.

 

Le roman fait se croiser quatre personnages qui, sans le centre d’appel, ne se seraient jamais rencontrés : à Dakar, vivent Ali, jeune étudiant musulman en voie de radicalisation et sa petite amie, Constantine, qui travaille dans un centre d’appels téléphoniques.

Un jour, Constantine appelle Luc, un jeune handicapé moteur qui vit dans la banlieue parisienne ; elle cherche à lui vendre une assurance-vie. L’homme qui souffre horriblement de solitude est charmé par sa voix et pour ne pas perdre ce contact dont il s’éprend immédiatement, il accepte un rendez-vous avec un représentant de l’assurance. Se présente ainsi un jour à son domicile un certain Aimé qui éprouve quelques scrupules à vendre sa camelote à un pauvre handicapé qui n’en a pas besoin. Or, Luc est décidé à signer à cause de Constantine dont il espère ainsi recevoir un coup de fil. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’Aimé est en pleine crise : il divorce et son travail qu’il considère comme une énorme arnaque, lui pèse de plus en plus. De toutes manières, le chèque que Luc signe est en bois et Aimé est remercié. Ce dernier, ému par la situation de Luc, cherche à le revoir et devient son ami. A Dakar, Constantine obtient un avancement grâce à ses performances. La boîte lui offre même un voyage à Paris. Sans point de chute dans la capitale, elle appelle Luc, celui qui a été si gentil avec elle au téléphone. L’homme, fou de joie, accepte d’héberger Constantine. C’est chez Luc que Constantine rencontre Aimé. C’est le coup de foudre… et bientôt, le mariage. Mais c’est sans compter les deux hommes que Constantine a laissés sur le carreau : Ali et Luc. Tous deux, abandonnés, se suicident tandis que la jeune femme est heureuse dans sa nouvelle vie d’épouse française et future maman.

 

Le centre d’appel est construit selon une alternance de chapitres dont chacun est consacré à  un des quatre personnages : Ali, Luc, Constantine, et Aimé. J’ai trouvé que la première partie de ce roman était intéressante. Chaque personnage est appréhendé individuellement, dans ses préoccupations personnelles qui n’ont rien à voir avec celles de l’autre et vont même jusqu’à les contredire, ce qui fait ressortir la cruauté de l’existence vouée à la solitude et à l’incommunicabilité ; ironie suprême : le roman a pour titre le centre d’appel et se concentre au départ sur cet outil de communication devenu incontournable qu’est le téléphone : il fait germer entre les êtres des relations dévoyées, artificielles, fausses. Ainsi, Luc est resté handicapé à la suite d’un accident de voiture ; il habite la banlieue parisienne et en parle le langage quelque peu argotique. C’est donc un homme simple, sans grande éducation ni culture qui vit reclus dans le petit appartement sordide de sa mère. Le coup de fil donné par Constantine depuis le centre d’appel de Dakar fait naître chez lui l’espoir insensé d’une relation possible.

De son côté, Constantine ne sait pas vraiment à qui elle a affaire et utilise Luc pour asseoir ses statistiques de vente : grâce au jeune homme qui accepte un rendez-vous avec un conseiller des assurances Aurore, elle devient l’une des meilleures opératrices du centre et renforce sa position au sein de la boîte. Par ailleurs, Constantine est cultivée et titulaire d’un diplôme d’économie. Malgré cela, elle ne parvient pas à briguer un emploi à la hauteur de ses compétences.

Aimé, quant à lui, est en pleine crise : son mariage capote, il déteste de plus en plus ce travail qui consiste à fourguer des assurances à des gens qui, d’un sens comme d’un autre, seront arnaqués. Ces trois personnages sont donc des maillons qui illustrent l’impitoyable monde d’argent qui exploite tout individu sans discernement : ce monde est celui dans lequel nous vivons.

La deuxième partie du roman est bien décevante : à partir du moment où Constantine débarque à Paris, l’histoire se fourvoie dans une espèce de bluette qui peine à tenir debout. Cependant, la lectrice que je suis est de bonne composition, et j’accepte cette invraisemblable rencontre de tous ces personnages qui ne devaient, logiquement, même pas se croiser. Mais bah ! Puisque Constantine bénéficie d’un voyage à Paris offert par sa boîte ! De quelle générosité, finalement, font preuve les centres d’appel sénégalais envers leurs nouveaux employés !  Ici, le manque d’inspiration se fait cruellement sentir : les chapitres se raccourcissent, certains personnages deviennent inexistants : la radicalisation d’Ali qui perd l’amour de sa vie – Constantine – n’est pas cernée et on apprend seulement à la fin qu’il s’est fait exploser dans un café de Dakar. Pour illustrer les difficultés d’immigration illégale, on a cette histoire à peine croyable d’Ali qui parvient à Paris en se cachant dans le train d’atterrissage de l’avion. Quant à Luc, qui héberge pendant quelques jours Constantine, on apprend qu’il s’est suicidé quelques temps après le mariage de la sénégalaise avec Aimé. Il venait de vivre une triste histoire sentimentale avec une fille de sa banlieue. Ainsi, on ne comprend pas comment Ali et Luc ont pu en arriver là. Leur descente aux enfers a été escamotée. Certes, on termine le roman avec cette idée que ce monde est impitoyable, qu’il n’est pas facile de s’y intégrer lorsqu’on est faible ou différents et que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ali et Luc sont ainsi abandonnés par leur amour ou leur ami qui ne leur donne plus aucune nouvelle.

Ainsi, Le centre d’appel est un roman qui aurait pu être intéressant, mais qui, malheureusement, se saborde : le centre d’appel est totalement oublié dans la seconde partie du roman et la critique d’un monde mu uniquement par l’argent et les intérêts égoïste de chacun s’avère être bien superficielle. Le centre d’appel est donc un roman beaucoup trop ambitieux qui échoue dans sa volonté de vouloir traiter de tous les esclavages du monde actuel.

Dring ! Le téléphone : encore un de ces satanés appels publicitaires ! Je vous laisse !



13/01/2020
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres