Jean-Pierre Gattégno : Longtemps, je me suis couché de bonne heure / un livre pour se coucher tard.
Voici une couverture de livre à faire pâlir d’envie la page d’accueil de mon blog : lectures vagabondes. Le contenu n’est pas à jeter non plus puisqu’il s’agit du roman du « désormais célèbre sur mon blog » Jean-Pierre Gattégno : longtemps, je me suis couché de bonne heure, paru aux éditions actes sud en 2004.
Sébastien Ponchelet est un raté notoire : il travaille comme manutentionnaire aux éditions Condorcet, il est en liberté conditionnelle (après un braquage loupé et quelques années de prison), il vit avec une prostituée – France – dans la première barre de la cité des Tulipes. Un jour, il découvre, égaré dans sa besace, un manuscrit comme on n’en fait plus : tout annoté, raturé, commençant par cette phrase : « longtemps, je me suis couché de bonne heure ». En cherchant à décrypter cette phrase mystérieuse, Sébastien commence à s’interroger sur le sens de sa vie et se remet profondément en cause, tandis qu’un fait divers défraye l’actualité : des tableaux de maître ont été volés dans de grands musées parisiens : la persistance de la mémoire de Dali, et l’origine du monde de Courbet. Bien malgré lui, Sébastien se trouve mêlé à ces vols, commis par son ancien compagnon de cellule : Sholam.
Avec longtemps, je me suis couché de bonne heure, nous voici plongés au cœur d’un polar amusant qui interroge la littérature, l’art et la vie, avec en prime, une petite satire du milieu de l’édition qui s’avère être bien plus efficace que celle de Pennac dans la petite marchande de prose. Au moment où les éditions Condorcet s’apprêtent à publier les Confessions de Malvina, une star de la téléréalité (qui rappellent le fameux Miette de Loana), voici un extrait du discours du directeur de la maison :
« Le monde actuel est plus médiatique que cérébral, plus tourné vers l’image que vers la pensée, vers la réaction que vers la prospection. Nous sommes dans l’ère de l’instantané, du multimédia, et du star-système. L’ignorer serait suicidaire. Il est vital pour le livre d’être un élément, et un élément important de ces bouleversements, mieux : il doit lui-même être une star. Par conséquent, nous serons de plus en plus conduits à publier des noms plutôt que des textes, à mener une politique de coups. Tant pis si ça déplaît aux puristes ! Sans négliger les livres auxquels nous tenons, nous publierons les stars du cinéma, de la télévision, de la politique, du banditisme, de la mise en examen, du détournement de biens sociaux, de la guerre, du terrorisme. Leurs actes questionnent notre époque. Un éditeur digne de ce nom doit porter ces questionnements sur la place publique. C’est à cette condition que le livre et, avec lui, la littérature continueront de vivre. Je compte sur l’effort de chacun pour y contribuer ».
Il est vrai que lorsqu’on inspecte les têtes de gondole dans les librairies, on voit souvent des choses qui relèvent du médiatique, du sensationnel… Par ci par là, quelques romans, souvent mauvais… parfois bons. Eh bien ! On s’adapte à l’époque ! Ceci dit, je pense que toute époque a ses stars, et que toute époque a sa bonne et sa mauvaise littérature… La raison ? Elle est intemporelle : on s’adapte au goût du public pour le sensationnel, le putassier et au goût des maisons d’édition pour l’argent.
Alors, que vient faire cette première phrase de du côté de chez Swann de Marcel Proust dans ce roman : longtemps, je me suis couché de bonne heure ? Elle est le point de départ de la méditation existentielle de Sébastien, le héros, ou plutôt l’antihéros principal de cette histoire.
En effet, cette phrase indique un état qui appartient au passé… longtemps, je me suis couché de bonne heure… et puis, un jour, le coucher a changé d’heure. C’est l’occasion pour Sébastien de réfléchir à sa vie amoureuse. Une vie basée sur le concret : envie d’une femme ? Il y a les prostituées, les filles faciles. L’amour ? Il ne sait pas ce que c’est. Et puis voici que dans le métro, il rencontre Denise Langlois, une mystérieuse femme : occupée à lire, elle ne voit personne. Pourtant, de tous les passagers, elle est la seule à avoir un regard vivant. La lecture ? La culture ? Sébastien ne sait pas non plus ce que c’est. Il se demande si vivre dans le concret, comme il le fait, n’est pas réducteur ; s’il ne se prive pas d’une partie imaginaire de la vie. Sur ces deux points, la vie de Sébastien va basculer…
Mais cette vie… N’a-t-elle pas basculé le jour où il a rencontré Sholam ? Dans la prison ? A l’époque où il n’y avait rien d’autre à faire que de se coucher de bonne heure ? Sholam, en effet, est très cultivé : il passe sa vie à lire et seuls ses yeux paraissent vivants. Les discussions qu’il entretient avec Sébastien marquent fortement ce dernier. C’est un peu de Sholam que l’on retrouve dans le regard de Denise, c’est un peu de Sholam qu’on retrouve dans le mystérieux écrivain – qui a tout de Marcel Proust – qui voudrait retrouver son manuscrit envoyé aux éditions Condorcet. Longtemps je me suis couché de bonne heure, c’est aussi l’histoire d’une relation un peu trouble et paradoxale entre deux hommes, dont l’un s’avère être le mentor de l’autre. D’ailleurs, à la fin, Sébastien ne s’apprête-t-il pas à vivre avec Denise comme avec Sholam dans une cellule aménagée ? D’ailleurs, ne se vengera-t-il pas du meurtre de Sholam en dénonçant, contre toute attente, contre sa propre nature, Raymond, l’assassin ?
Il est vrai que pour un roman policier, longtemps je me suis couché de bonne heure laisse de larges pans de questionnement ouverts. Pourquoi le manuscrit se retrouve-t-il dans la besace de Sébastien ? Qui sont les employés de la maison Condorcet ? Ne s’y trame-t-il pas des choses louches ? Quel est le rôle du mystérieux écrivain ? Autant de questions soulevées qui restent sans réponse : cul de sac, pourrait-on dire. Pas vraiment si l’on songe que le narrateur, c’est Sébastien… Il se pose peut-être des questions là où il n’y en a pas. Et puis, si certains personnages restent mystérieux, c’est que Sébastien ne les côtoie pas vraiment. Nous sommes dans une narration interne et non pas omnisciente. Par ailleurs, notre héros s’amuse à suivre dans la rue les personnes qui l’intriguent : il suit donc l’écrivain… qui ne sait pas trop où il va, et cette errance, ce vagabondage, c’est aussi une manière d’écrire… Ouvrir des pistes… qu’on n’emprunte finalement pas… libre au lecteur d’imaginer des tas de romans en prolongeant lui-même ces pistes… Cette manière de concevoir le roman policier est un peu facile, me direz-vous. Peut-être, mais ce roman-ci s’inspire librement de l’écriture de Proust, une écriture alambiquée et pleine d’entrelacs… de pistes, de fausses pistes, d’impasses… (ici, j’esquisse un petit bâillement : cet article est décidément trop long et je suis en train de vous ennuyer prodigieusement, je crois.)
Mais j’y pense ! Il est l’heure d’aller se coucher ! Décidément, avec Jean-Pierre Gattégno, on se couche tard !
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