LECTURES VAGABONDES

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Jean-Philippe Toussaint : La Télévision… débranche aussi le téléphone avant de plonger dans ce roman.


Fichtre ! Il est bien des lectures cocasses pendant les vacances ! Au moment où j'effectue ma retraite spirituelle dans mon ashram corse (une tente Quéchua Décathlon) sans télévision ni écran d'aucune sorte, me voilà en train de lire La Télévision de Jean-Philippe Toussaint, qui, comme son nom l'indique, a pour sujet notre bonne vieille boîte à images, mais pas seulement… Heureusement pour moi, les vacances sont aussi à l'honneur dans ce roman !

Nous sommes à Berlin, en Juillet. Le narrateur décide d'arrêter de regarder la télévision pour mieux se consacrer, entre autre, à son travail : il a en effet obtenu une bourse pour rédiger un livre sur les rapports entre le pouvoir et l'art à travers l'étude d'un tableau du Titien : le Pinceau, qui représente Charles Quint ramassant le pinceau que ledit peintre vient de laisser tomber. Pour ces vacances, notre narrateur est « seul dans Berlin » (décidément !). Ses voisins du dessus, les Drescher, sont partis en villégiature à Knocke Le Zoute, sa femme (Delon… sa Delon, qu'il appelle aussi ma Delon) et ses enfants (un fils et une fille en gestation) se sont envolés pour quelques semaines sur les côtes italiennes. Il va sans dire que notre héros déborde d'enthousiasme devant le travail qu'il a à accomplir, cependant qu'une vaste question se pose à lui : comment nommer le peintre sur lequel il travaille ? Titien ? Le Titien ? Titien Vecellio ? Tiziano Vecellio ? Là-dessus, c'est l'hésitation totale… ce qui ne sied pas, mais alors pas du tout, à l'esprit scientifique et rigoureux de notre chercheur en histoire de l'art. C'est alors qu'il sort pour aller chercher des mouchoirs en papier… Fichtre ! Quel suspense ! Que va-t-il se passer ? RIEN !!!!

Car Jean-Philippe Toussaint a réussi un sacré tour de force, : réaliser le grand fantasme de Flaubert ! Écrire un roman sur le rien, à l'image de ce que propose bien souvent la télévision. En effet, notre narrateur rencontre quelques difficultés dans la réalisation de son projet de recherche picturalo-politique…. Bien sûr, bien sûr, une multitude d'idées lui viennent en tête… mais… il doit arroser les plantes de ses voisins, laver les vitres, se détendre au parc de Halensee… car il fait beau et de nombreuses jeunes filles s'y baladent  nues etc … etc…

 Ne pas croire cependant que ce roman n'est que la narration d'actes sans intérêt. La première de ses qualités est d'être drôle, drôle, TRES DRÔLE ! Un humour 100% wallon (sensiblement différent de l'humour flamand) caractérisé par cette distanciation permanente de l'écrivain face à ce qu'il écrit, par cette fausse candeur qu'il arbore dans la narration de situations parfois un peu scabreuses, et par une absolue légèreté de ton ( même si quelques pages échappent quand même un peu à cette règle).  Un humour à la Benoît Poëlvoorde lorsqu'il est à son meilleur niveau et qu'il se lance dans la description de Namur-Jambes  by night.

Et puis, quand Toussaint (qui sans doute tient compte du réchauffement climatique) revisite la poésie ronsardienne qui parle, entre autre, d'aller voir une rose à la robe pourpre et aux pétales couverts de perles de rosée… ça donne à peu près ça :

Inge à côté de moi sur le lit, un peu raide, tirait légèrement sur les pans de sa robe pour préserver le haut de ses cuisses de mes convoitises supposées de jésuite, ou tout du moins les soustraire aux quelques regards papelards que je devais leur adresser en douce, avant de finir par se relever pour me présenter son fleuron, une fougère, une magnifique fougère, il est vrai, épanouie et bien humide, dont elle me confessa en la triturant délicatement du bout des doigts qu'elle était fragile et délicate, et qu'il convenait de la préparer en douceur à ma présence pour faire en sorte qu'elle ne soit pas trop effarouchée quand je viendrais tout seul pour l'arroser. Je me relevai, fis l'effort de flatter moi aussi quelques feuilles de la fougère avec le bitonio de mon porte-clefs. Les Drescher m'en furent reconnaissants, je crois. Dans le vestibule, avant de partir, ils me remirent un double des clefs de leur appartement.

 

Bref, le genre de truc qui a le don de me laisser hilare sur les flancs des montagnes corses.

Ensuite, il y a évidemment la dimension satirique de roman : satire de la télévision, bien sûr, mais pas seulement. Toussaint se moque peut-être avant toute chose de la littérature et de ses ficelles. C'est ainsi qu'il se lance parfois dans de longues descriptions vestimentaires et locales qui sont surtout là pour faire sentir le côté artificiel, mais néanmoins obligatoire, des descriptions chères à nos romanciers classiques. Une sacrée nique à tous ces pontes du nouveau roman – les Robbe-Grillet, les Sarraute, les Butor - qui ont voulu faire la même chose en nous ennuyant profondément. Et quid des très sérieuses études historico-artistico-littéraires ? Je me souviens m'être lancée dans un DEA sur la symbolique des objets dans l'écume des jours de Boris Vian, projet que j'ai vite abandonné, gagnée par la paresse d'avoir à gloser pendant des pages et des pages sur le génie du pianocktail et surtout sur celui des canons avec la petite rose qui fleurit au bout (je n'y vois d'ailleurs aucune symbolique !) Je ne sais si les recherches du narrateur sur le Titien et Charles Quint auront abouti… Nous le laissons, à la fin du roman, encore indécis quant à l'appellation à adopter concernant le peintre.

Et puis, bien sûr, il y a la satire de caractère à travers notre narrateur, cet antihéros à la calvitie rampante : un peu flemmard, un peu obsédé sexuel, un peu je-m'en-foutiste… mais finalement très drôle et attachant… et que dire de cette propension - très humaine chez les « intellectuels » -  à prendre des décisions péremptoires comme celles d'arrêter de regarder la télévision ou d'arrêter de manger de la viande pour faire pas-comme-tout-le-monde… et finalement craquer devant la retransmission d'un match de hand-ball ou devant un magret de canard bien dodu. Serait-ce à dire qu'il est bien facile de se reconnaître un peu à travers ce « héros » pas très déterminé, en proie à la flémingite aigüe et à d'autres vices moins avouables ?

Vivement donc la rentrée ! Lorsque, la main négligemment posée sur la cuisse, je me coulerai dans le bien-être du décervelage, à admirer les petites rondeurs gourmandes du bel hellène Nikos, tout en me demandant d'un œil distrait si je préfère travailler sur le Potentiel érotique de ma femme ou sur En cas de bonheur.  



17/08/2009
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