LECTURES VAGABONDES

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Jami Attenberg : Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés/Patronne ! Sers-nous encore un coup !  

       

          Je dois bien avouer qu’un titre pareil - Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés - est assez déconcertant, tarabiscoté et peut paraître peu engageant pour celui qui recherche des romans qu’on n’a pas envie de voir se terminer. Eh bien, je dois avouer que le livre écrit par Jami Attenberg - intitulé Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés, paru en 2016 aux éditions Les escales – offre pourtant tout le plaisir qu’on attend d’un bon bouquin.

 

          Nous sommes au début du XXème siècle. La jeune Mazie nait dans un quartier modeste de New York : le quartier du Bowery à Manhattan. Elle ne sera pas élevée par ses parents : son père, violent, bat sa mère qui meurt alors qu’elle est adolescente. C’est sa sœur ainée, Rosie et son mari Louis, qui vont élever Mazie et sa sœur Jeanie. Très vite, la jeune fille est employée dans le cinéma de Venice où elle vend des places. Elle se lie d’amitié avec une bonne sœur – Sœur Ti – qui vient en aide aux plus démunis du quartier. Et puis, elle tombe aussi amoureuse d’un beau capitaine – qu’elle nomme le Capitaine – qui passe sa vie en mer et revient la trouver de temps en temps. De lui, elle tombera enceinte mais perdra l’enfant. Alors que sa sœur Jeanie quitte la maison pour devenir danseuse, Mazie trace sa route dans la cage de verre du cinéma où elle travaille. Elle est appréciée de tous, même si elle aime lever le coude. Elle aura quelques aventures avec des hommes sans jamais s’engager néanmoins. Côté famille, si Jeanie revient à Bowery le temps de soigner la jambe qu’elle s’est fracturée en dansant, Rosie, de son côté, sombre dans une étrange dépression et passe son temps à astiquer sa maison. Et puis, Louis meurt. C’est alors qu’on découvre qu’il était à la tête d’activités pas très nettes, laissant derrière lui beaucoup d’argent qui servira aux sans-abris. C’est pendant la grande dépression que Mazie engagera sa vie dans l’aide apportée aux plus démunis. Mais que reste-t-il de cette sœur courage qu’était Mazie ? Principalement un journal intime qu’elle a tenu de 1909 à 1939. Egalement une autobiographie inédite… et les souvenirs et témoignages des descendants de ceux qu’elle a si bien aidés dans les années 30.

 

          Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés est un roman de construction polyphonique. Il est constitué des témoignages de ceux qui ont connu Mazie, d’extraits de l’autobiographie inédite de Mazie Philipps Gordon, et – et c’est là la majeure partie du roman – du journal intime de Mazie qui déroule sa vie chronologiquement, jour après jour, mois après mois, année après année.  

        Parlons des deux premiers composants du roman. Si les témoignages de ceux qui ont connu Mazie sont tous laudateurs, proches de l’hagiographie - au point que Mazie finit par ressembler vraiment à une sainte - les extraits de son autobiographie inédite – souvent courts – rendent hommage au courage et à la dignité des sans-abris. Ainsi dans sa propre autobiographie, Mazie s’efface pour donner la première place à ceux qui sont les derniers dans la société.

          Mais, comme je l’ai dit plus haut, la majeure partie du roman est composée du journal intime de Mazie. L’ensemble est tonique, vivifiant, plein d’optimisme même si le fond est sombre à tous les niveaux. Si le quartier dans lequel vit Mazie est modeste et populaire, la crise des années 30 ne contribue pas à augmenter les ressources de ses habitants. Par ailleurs, cette chère Mazie n’a pas eu le bonheur escompté : l’homme qu’elle aime n’est jamais là, sans doute a-t-il d’autres femmes dans d’autres ports, puisqu’il est marin. L’enfant qu’elle conçoit avec lui ne verra jamais le jour ; bref, Mazie aura eu une vie de femme et de mère bien décevante. Pourtant, elle ne se morfond pas et considère toujours celui qui a moins qu’elle. A la fin du roman, elle constate qu’elle a toujours eu un lit où dormir, et que ce seul fait est déjà formidable et suffit à lui seul à conclure qu’elle a eu dans sa vie un certain bonheur.

          Pourtant, le roman n’est pas exempt de faiblesses et d’insuffisances. Il se situe dans les années 30, période de crise économique mondiale. On attendait une peinture sociale plus aboutie ; or, celle-ci est vraiment faible, voire inexistante. Si les faits et gestes de Mazie au jour le jour peuvent avoir de l’intérêt, le titre du roman laisse présager une prise en compte sensible des déshérités. Or, qui serait capable de désigner un personnage assoiffé et fauché - ne serait-ce que par son nom - dans ce roman ? La plupart du temps, les assoiffés et les fauchés sont pris en compte en masse, ce qui lisse l’ensemble et aplanit tout relief. Reste un bon petit roman qui fait l’apologie du désintéressement, de l’entraide, et de la bonté des petites gens.

          Fichtre, me direz-vous ! Avec tout ça, voilà bien un roman qui fait dans le bon sentiment bien sirupeux ! Car Mazie ne s’apitoie jamais sur son sort et le roman ne brosse aucun portrait de pauvre SDF qui n’a rien à manger, qui dort dans les poubelles et qui est couvert de poux et de crasse. Reste un roman bien agréable à lire, mais qui, sans doute, ne laissera pas un souvenir impérissable dans ma mémoire de lectrice. 



20/03/2022
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