LECTURES VAGABONDES

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James Cañòn : dans la ville des veuves intrépides / Bon pour une villégiature romanesque

 

          Quand un jeune écrivain novice, homosexuel, New Yorkais d’origine Colombienne entend bien mêler toutes ces influences dans un roman à message politico-féministe, on se dit qu’on risque de tomber sur un drôle de gloubiboulga… mais si ledit jeune écrivain novice s’avère avoir du talent, on peut découvrir une œuvre étonnante et détonante : c’est le cas du roman de James Cañòn, intitulé Dans la ville des veuves intrépides, paru en 2008 aux éditions Belfond.

 

          Nous sommes à Marquita, petit village perdu dans les montagnes colombiennes. Le 15 Novembre 1992, un groupe de guérilleros communistes débarque dans le village et rafle tous les hommes afin d’épaissir leurs troupes. Les plus récalcitrants sont assassinés. Et les femmes restent ainsi : vieilles filles, veuves, orpheline.

Dès lors, il faut s’organiser : c’est Rosalba qui est désignée pour être maire du village. Cependant, Mariquita périclite : désolée et désolante, la bourgade se meurt. Les seuls hommes aptes à procréer sont homosexuels ou beaucoup trop jeunes. Cependant, le temps passe et les enfants mâles deviennent de jeunes hommes que les veuves destinent à la reproduction ; or, le jour du concours, leurs pénis disparaissent. Par ailleurs, le père Rafaël, prêtre du village, s’est porté volontaire pour féconder les femmes ; afin d’éviter la rivalité, il empoisonne les jeunes gens qui sont apparemment redevenus hommes ; le père Rafaël est expulsé du village. C’est alors que Rosalba et Cléotilde, l’institutrice, décident de reprendre les choses en main : elles établissent un nouveau calendrier en rapport avec le temps féminin, c'est-à-dire les menstruations ; elles organisent la vie de la communauté selon des principes socialistes de collectivisme. Et voilà que la ville de Mariquita reprend un nouvel essor et s’appelle désormais la Nouvelle Mariquita. Un jour, trois hommes reviennent au village : avec eux, elles fondent la Nouvelle-Nouvelle Mariquita, dépositaire de l’avenir des communautés, puisque désormais, il pourra y avoir de nouveau des naissances.

 

          Le roman se divise en deux grandes parties : l’une est consacrée à la vie de Mariquita sans les hommes, l’autre, à la constitution d’une Nouvelle Mariquita, village exclusivement géré par les femmes, selon des règles qu’elles seules mettent en place. La mise en place du calendrier féminin fait le départ entre ces deux moments de la vie du village, puisqu’à partir du moment où les femmes décident de compter le temps en fonction du cycle menstruel, elles décident également que le temps sera compté à rebours, et attribue des noms féminins aux diverses périodes.

          Cependant, entre chaque chapitre, s’insère un petit témoignage de divers hommes – paysans déplacés, paramilitaires, guérilleros, soldats – aux prises avec la guerre civile qui sévit depuis plusieurs dizaines d’années en Colombie. Ces témoignages expriment tous la peur, la violence, le désespoir, la solitude : ainsi, en écho à la vie à Mariquita, vie qui s’étiole, puis qui renaît sous l’administration des femmes, nous prenons acte de la vie des hommes dans la jungle, une vie cernée par la guerre et la mort. L’œuvre joue donc également sur le contraste entre les femmes, capables de réinventer une société juste, heureuse et égalitaire, et les hommes qui ne savent que détruire et s’entredéchirer.

          La première partie est tout à fait plaisante à lire : les femmes, seules dans le village, ne savent plus à quel saint se vouer pour sauver leur ville. Le bordel ferme, par manque de clients, le padre Rafaël, prêtre lubrique détesté de toutes, tire cependant parti de la situation puisqu’il se propose pour féconder les veuves… On s’amuse beaucoup de toutes ces anecdotes pittoresques qui égratignent plus ou moins férocement les mœurs du village… et la religion !

          La seconde partie, est tout aussi plaisante à lire, même si le ton devient moins grinçant : les anecdotes restent globalement assez réalistes, mais le merveilleux, le miracle, y tiennent également une certaine place : par exemple, le jour où les femmes décident de baser le calendrier sur les menstruations, toutes les femmes se mettent à avoir leurs règles le même jour ! Car oui, toutes les histoires de Mariquita ont la saveur de petits contes pour enfants, de l’ordre de ceux que racontent les grands-mères sur l’Histoire mythifiée de leur village. Le monde parfait imaginé par Cañòn est raconté comme une genèse : les femmes, l’une après l’autre, décident de vivre nues, comme dans l’Eden (c’est aussi pour marquer l’égalité qu’il y a entre elles), la végétation se resserre, encercle Mariquita qui devient un Eldorado secret, impénétrable pour celui de l’extérieur.

          Il est vrai que je ne partage pas les idées de Cañòn concernant ce monde idéal :

D’abord parce qu’il est exclusivement féminin, et que les hommes y sont tolérés uniquement parce qu’ils permettent la reproduction de l’espèce : cette idée est de l’ordre du féminisme hystérique que j’ai déjà maintes fois taillé en pièces sur ce blog, cette idée va dans le sens d’une conception du monde supérieure qu’auraient les femmes sur les hommes. On est loin de l’égalité des sexes espérée par le féminisme le plus largement partagé.

Ensuite, parce que seul l’amour homosexuel y est célébré. Lorsqu’elles étaient mariées, les femmes n’étaient pas heureuses, mal aimées : les hommes allaient au bordel, tandis qu’elles tenaient la maison et s’occupaient des enfants. L’amour physique hétérosexuel y est montré de manière violente et lubrique. Tandis que l’amour homosexuel est pur, tendre, et réjouissant : d’ailleurs, dans la communauté de Mariquita, toutes les femmes deviennent lesbiennes et trouvent le bonheur et l’épanouissement qu’elles n’avaient pas avec leurs maris. Bref, on retrouve ici la tentation communautariste partagée par certains homosexuels, un truc qui a tendance à m’horripiler.

          Par ailleurs, James Cañòn s’est amusé à peindre les femmes façon Botero : elles sont souvent grosses, laides, poilues, elles sentent mauvais, elles n’ont aucune grâce. Livrées à elles-mêmes, elles sont mesquines, lubriques. Par la suite, elles deviennent hystériques lorsqu’il s’agit d’admettre un homme parmi elles ! Seraient-elles intolérantes ? Ceci-dit, les femmes du roman sont aussi très hautes en couleur, et le fait de les avoir à ce point stylisées donne au roman une pâte particulière, assez Rabelaisienne.

          Bref, même si je sais que je n’irai jamais passer mes vacances Dans la ville des veuves intrépides (pas assez de testostérone à mon goût), je puis néanmoins conseiller ce très joli roman, comme lecture de week-end, pour son côté exotique, baroque et foisonnant.



31/12/2019
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