LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Jacques Duquesne : La grande triche / Une bonne triche

     

  Jacques Duquesne est surtout connu pour ses sagas sociales implantées dans le nord de la France, sa région natale. On songe ici à la célèbre trilogie Maria Vandamme qui a obtenu le prix Interallié en 1983.  Aujourd’hui, nous partons à la découverte d’un témoin de la seconde guerre mondiale dans le nord de la France. Avec La grande triche – paru en 1977 aux éditions Grasset - Jacques Duquesne fait le focus sur l’épisode de Dunkerque qui a eu lieu juste avant la signature de l’armistice, en juin 1940.

 

          Nous sommes en 1939, à Dunkerque. Le jeune Justin attend la guerre avec impatience car il a des récits et des images de la grande guerre plein la tête et conçoit cette affaire-là comme une question de héros et d’héroïsme. Il est déçu. Pendant plusieurs mois, il ne se passe rien car c’est ce qu’on appelle « la drôle de guerre », période pendant laquelle les allemands n’attaquent pas. De son côté, Valère Manotti  est plein d’ambition et se voit déjà ministre. Selon lui, la guerre permet de redistribuer les cartes et d’ouvrir les portes à celui qui, comme lui, vient d’une famille modeste. Jusqu’à présent, il comptait sur les femmes pour parvenir et s’est acoquiné avec une certaine Marie-France de Roullet, fille d’un général. Et le voilà lieutenant, sur les routes du nord de la France, à l’heure de la débâcle en Belgique et de l’avancée des troupes allemandes sur le sol français. Alors que les bombardements aériens se déchainent sur Dunkerque, Justin, ses parents et ses voisins se lancent sur les routes comme des millions d’autres français, avant de refluer vers la ville puis de s’élancer à nouveau sur les routes. Pendant ce temps, Valère et ses hommes cherchent à se replier sur Dunkerque dans l’espoir de pouvoir embarquer pour l’Angleterre. L’enfant et le lieutenant se rejoindront au niveau de la ville de Coudekerque, alors que les bombardements des stukas font rage et que de nombreux morts sont à déplorer. Valère lui-même trouvera la mort en faisant de son corps un rempart destiné à protéger Justin de la mitraille.

          Tout d’abord, quand on plonge dans ce roman de Jacques Duquesne intitulé La grande triche, on se demande ce que c’est que  cette fameuse « grande triche ». Il s’agit, à mon sens, de pointer la distorsion qu’il existe entre les attentes qu’on peut avoir d’une guerre et ce qu’est sa réalité. La grande triche, elle se joue d’abord sous les yeux d’un enfant, Justin, qui croit que la guerre, c’est une incroyable épopée où l’héroïsme tient le rôle du personnage principal, que la guerre va mettre de l’exaltation dans une vie plan-plan d’écolier sans histoire et qui se retrouve finalement devant la débâcle et l’horreur. La grande triche, Valère en est aussi le jouet. Il croyait que la guerre allait redistribuer les cartes et que, grâce à elle, son avenir serait brillant (il se voyait déjà haut-gradé). Mais finalement, il ne rencontre que la mort au bout du chemin.

          La grande triche zoome aussi en gros plan sur la débâcle du début de la seconde guerre mondiale dans le nord de la France. Les allemands foncent vers la France tandis que des soldats belges, français et anglais refluent vers Dunkerque, dans la pagaille et dans l’espoir de pouvoir embarquer pour l’Angleterre. Alors, les bombardements des stukas font rage et pilonnent Dunkerque, particulièrement les ports et les plages sur lesquelles les soldats attendent un éventuel bateau. Cette période est marquée par la mort de milliers de civils, les destructions des villes inlassablement bombardées, l’exode et la déroute d’autres civils qui veulent survivre, quitte à tout quitter. Cependant, Dunkerque est devenue une véritable souricière et Justin, sa famille et ses voisins quittent d’abord la ville pour y revenir et en repartir, incapables qu’ils sont de discerner quelle est la bonne solution pour sauver leurs vies.   

          Par ailleurs, le roman offre également des allers-retours entre la débâcle de cette année 40 dans le nord de la France, et la vie d’avant de certains personnages, particulièrement celle de l’ambitieux Valère. Avant, il y avait les amours ; celles qui étaient réellement ressenties, et celles qui devaient servir l’ascension sociale tant rêvée. Avant, il y avait les petits boulots ; ceux dont on n’attendait rien, ceux dont on attend un peu, ceux dont on attend un peu plus. Avant, il y avait la vie, toutes ces vies désormais amputées, ruinées et déroutée d’un seul coup par la guerre. Car la guerre arrache aux hommes le destin qu’ils étaient en train de bâtir et alors ce destin-là parait dérisoire, n’avoir jamais existé, n’avoir jamais eu d’importance tant il est vrai que la guerre redistribue les cartes, mais pas tellement dans le bon sens. En tout cas, pas pour les personnages de La grande triche.

          Enfin, le roman pointe du doigt la médiocrité des hommes. A un moment où le petit Justin attendait de la guerre des manifestations d’héroïsme et de solidarité entre les hommes de même nation, il assiste au pillage de maisons abandonnées par ceux qui ont choisi l’exode, il assiste à des morts horribles comme celle de cette femme décapitée par une explosion. Quant à Valère, il assiste à la désertion de son camarade Paolini mais s’il fait preuve de courage en restant dans son bataillon qu’il entend mener jusqu’à Dunkerque, ce courage sera bien peu récompensé car notre lieutenant sera fauché par une rafale de mitraille. Il aura quand même sauvé la vie d’un enfant perdu – Justin – ce qui n’est peut-être pas rien mais certes pas ce qu’il attendait de la vie. Par ailleurs, les civils en veulent aux armées françaises et alliées de continuer la guerre car tant que celle-ci dure, ils sont assaillis par les bombardements. Le chacun pour soi prend donc le pas sur la défense nationale et collective.

         J’ai beaucoup aimé La grande triche. On sent que ce roman est en partie autobiographique et je préfère Jacques Duquesne lorsqu’il se fait rapporteur d’une réalité qu’il a vécue plutôt que simple romancier réaliste et social lorsqu’il imagine la trilogie Maria Vandamme



31/08/2025
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 44 autres membres