LECTURES VAGABONDES

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Adélaïde de Clermont-Tonnerre : Fourrure/Une confection de facture un tantinet « cheap »

             Voici le premier roman de la belle et bien née Adélaïde de Clermont-Tonnerre. Il s’intitule Fourrure et parait en 2010 aux éditions Stock.

 

            L’écrivaine sulfureuse Zita Chalitzine est retrouvée morte, droguée à l’alcool et aux barbituriques, à l’arrière de sa Mercédès. Elle porte le beau manteau de vison blanc qu’elle s’était offert avec sa première paye. Zita a une fille – Ondine -  avec laquelle elle n’entretenait plus guère de relations sinon celles de la rancœur et de la haine. L’enterrement de Zita permet à Ondine de pénétrer le monde fréquenté par sa défunte mère : Solange de Beauchamp fut à priori la meilleure amie de Zita. Son fils, Henry, tombe immédiatement amoureux d’Ondine. Et puis, il y a Pierre, le veuf inconsolable qui recueille un manuscrit laissé par sa défunte épouse et le donne à Ondine pour qu’elle le lise et fasse peut-être enfin la paix avec sa mère. C’est ainsi que nous découvrons la vie atypique et quelque peu sulfureuse de l’écrivaine Zita Chalitzine. Née dans une famille modeste, Zita adore son père qui lui transmet la passion des livres mais ne tarde guère à mourir. La mère de Zita s’installe alors comme concierge dans un beau quartier parisien où  les deux femmes ne tardent guère à faire  connaissance de la très chic famille De Vitré. Zita se lie d’amitié avec Solange de Vitré, une amitié ambigüe, pétrie d’envie de la part de Zita qui se sent humiliée par son amie et sa supériorité sociale. Et puis, Zita rêve d’indépendance et voudrait devenir écrivain. Dès qu’elle l’a pu, elle s’est enfuie du petit appartement de sa mère qui passe son temps à se gaver de nourriture. Mais pour payer son loyer et s’assumer, Zita rend visite à madame Claude et entame une carrière de prostituée ; sa clientèle est riche et triée sur le volet et c’est le célèbre écrivain Romain Kiev qui sera son premier amant. Une relation qui durera et s’installera ! Zita ne parvient pas à percer dans le monde de la littérature et c’est Romain Kiev qui écrira pour elle le premier roman qu’elle publiera sous son nom. Pourtant, cette relation s’interrompra un long moment : Zita est amoureuse d’un cousin de Solange prénommé Timothée qui entame un combat perdu d’avance contre le cancer. Zita abandonne tout pour vivre cet amour condamné d’avance. Après la mort de Timothée, Zita sombre dans la dépression… mais découvre qu’elle est enceinte. Ondine sera cet enfant qui apprend qui était son père, grâce au manuscrit laissé par sa mère. Puis, Zita retrouve son premier amant, Romain Kiev pour une brève période : l’écrivain se suicide, laissant de nouveau Zita dans le désespoir. Mais un jour, elle rencontre un homme plus jeune, Pierre, et l’épouse avant de se suicider. Après la lecture du manuscrit, Pierre va trouver Solange de Beauchamp et dans une scène plus grotesque que torride, lui extorque l’aveu de l’immonde machination qu’elle a montée pour ruiner la carrière de Zita. Ayant découvert que Zita avait couché avec son mari Jacob, pour se venger, Solange a raconté aux journalistes que l’écrivaine n’a réalisé aucun de ses romans, que c’était Romain Kiev qui les a tous écrits. Ainsi, l’intégrité de la réputation de Zita sera restaurée tandis que la paix entre la famille de Beauchamp et la famille Chalitzine est scellée par l’amour entre Ondine et Henry, le fils de Solange.

 

            Fourrure est un roman qui pose question quant à sa nature. En effet, on y rencontre des personnes réelles telles que la célèbre mère maquerelle Madame Claude, des personnes que l’auteure cache à peine sous un pseudo – L’écrivain Romain Kiev semble bien être le célèbre Romain Gary. Après quelques recherches sur le net – pas très poussées, je l’avoue – il semble que Zita Chalitzine soit un personnage entièrement fictif - comme la plupart des autres – que l’auteure a mêlé à d’autres personnes réelles. Ainsi, Fourrure serait davantage un roman à clef qu’une biographie romancée et le roman mêle personnages fictifs et non-fictifs. En tout cas, il mélange deux niveaux de narration : la vie de ceux qui restent après le décès de Zita (partie restreinte), et le manuscrit ou journal intime que Zita a laissé principalement pour sa fille, Ondine. C’est dans cette partie-là qu’Adélaïde de Clermont-Tonnerre nous livre le portrait d’une femme libérée, ambitieuse et sulfureuse des années 70

            Cependant, selon moi, l’intérêt d’un roman à clef – tel que La princesse de Clèves de Madame de La Fayette – c’est d’offrir au lecteur une vision critique d’un milieu social et d’une époque dont les acteurs se révèlent être cachés sous des pseudos très facilement identifiables pour les lecteurs de l’époque. Il faut bien dire qu’en l’occurrence, Fourrure est décevant. La plongée dans le milieu de la prostitution de luxe incarnée par madame Claude reste superficielle voire inexistante et l’entremetteuse a surtout le rôle d’offrir à Zita un premier amant prestigieux avec lequel elle partagera une tranche de vie conséquente. Ainsi, l’amant de Zita n’est autre que Romain Gary dont Adélaïde de Clermont-Tonnerre offre un portrait relativement nuancé : homme drôle, généreux, spirituel, il a aussi des côtés sombres : son obsession pour les homards qu’il voit partout, à ses heures de névrose, l’amour possessif qu’il éprouve pour Zita peuvent le rendre parfois antipathique, voire odieux.  Cependant, la plongée dans le monde des écrivains en vogue dans les milieux parisiens est, elle aussi, superficielle et décevante. On croise vaguement, à un moment, Françoise Sagan pour dire qu’elle est à moitié ivre, ce qui n’est guère un scoop.

             En réalité, Fourrure, c’est surtout une bluette sans grand intérêt. Nous sommes dans les années 70, les femmes veulent s’émanciper et faire ce qu’elles veulent de leur corps. Zita fait partie de ces femmes ambitieuses bien décidées à utiliser les hommes pour parvenir. Mais finalement, elle s’enlise dans une histoire sentimentale avec un amour d’enfance nommé Timothée qui finit par mourir d’un cancer du cerveau après avoir mis enceinte Zita. Sortez donc les mouchoirs ! Quant à la percée de Zita dans le monde des livres, elle est vaguement évoquée par petites touches insuffisantes pour penser que cette ambition lui colle vraiment à la peau. On sait que les livres qu’elle édite parlent d’elle et des gens qui l’entourent, ce qui lui amène des rancœurs, notamment de la part de son ancienne amie : Solange, qui jette le discrédit sur l’ensemble des œuvres de Zita. Il faut dire que Zita a couché avec Jacob, le mari de Solange dans une scène bien grotesque, car il s’agit en réalité d’une passe que Jacob sollicite pour rendre jalouse son épouse. On apprend alors que le bien mal marié Jacob n’a jamais vu un clitoris de sa vie ! Alors Zita enlève sa culotte pour lui montrer le sien. J’ai rarement lu une scène aussi grotesque et dénuée d’intérêt que cette exhibition infantile dans le style des jeux de touche-pipi des cours de récré d’école primaire – quant aux hommes et le clitoris des femmes, depuis les années 70 et la libération de la pornographie, il faut sans doute être une sorte d’inverti qui s’ignore pour ne pas savoir ce que c’est.  

              Et je passe sur la scène finale. On apprend que Pierre, le mari de la défunte Zita, fut l’amant de Solange. Pour lui extorquer la promesse de laver l’honneur littéraire de Zita qu’elle a sali, il la baise sauvagement et c’est en se pâmant de plaisir que Solange promet… Quant à l’amour coup de foudre d’Henry, fils de Solange, et d’Ondine, le jour de l’enterrement de Zita, on n’y croit pas une seconde. D’ailleurs, on se demande ce que ces personnages viennent faire dans ce roman, puisque leur rôle s’avère être ultra limité.

             On l’aura compris, pour moi, ce roman, s’il n’est pas désagréable à lire, reste bien superficiel. J’ai vu que Fourrure avait été sélectionné pour un prix littéraire monégasque ! Ce qui ne m’étonne pas. Mais ne pas s’attendre à une satire bien caustique de la grande bourgeoisie ! Avec ce monde-là, Adélaïde de Clermont-Tonnerre manque singulièrement de distance : donc livre à réserver aux amateurs de bluettes sans grande conséquence.



02/10/2016
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